Un potentiel de 26% de croissance mondiale attendu de l’égalité femmes/hommes

Eve, Le Blog Egalité professionnelle

L’étude du mois : « The Power of parity » de McKinsey & Cy

 

 

Nous vous l’avions promis, le blog EVE ouvre de nouveaux espaces de réflexion et discussion en cet automne : après l’évolution de notre chronique livre qui devient « le livre du mois » et la création d’une nouvelle rubrique consacrée aux chiffres de l’égalité et du leadership partagé, vous avez désormais rendez-vous à intervalles réguliers avec notre bulletin des études récemment parues qui éclairent nos sujets (l’égalité professionnelle, le management et le leadership équilibrés, les transformations des organisations et du travail…).

Pour ce premier numéro de la rubrique « l’étude du mois », nous décryptons pour vous le rapport « The Power of Parity : How advancing women equality can add $12 trillion to global growth » du McKinsey Global Institute, révélé le mois dernier.

 

 

De 12 000 à 28 000 milliards manquants à l’économie mondiale

Dès la couverture du document, le fait est posé : traiter femmes et hommes à parfaite égalité (scénario « full potential« ) sur le marché du travail et dans la vie professionnelle, permettrait à l’économie mondiale de produire 28 000 milliards de dollars supplémentaires en 2025, soit 26% de croissance.

L’objectif d’une égalité parfaite étant ambitieux, admettons que l’on s’en tienne dans un premier temps à aligner le monde entier sur le pays le mieux disant : on peut alors encore compter sur 12 000 milliards en plus, soit une croissance de 10-12%, à peu près équivalente à la projection que faisait l’OCDE en 2012 en prenant le postulat d’une réduction de moitié des inégalités femmes/hommes à l’horizon 2030.

 

 

De 20% à 60% de perspectives de croissance, selon les pays

Si l’on entre dans le détail, voyons qui a le plus d’efforts à faire, mais aussi du même coup le plus fort potentiel de croissance à dégager en faisant progresser l’égalité : l’Inde arrive en tête, avec un espoir de 60% de PIB supplémentaire ; suivie de la zone de l’Asie du Sud et de l’ensemble Moyen-Orient/Afrique du Nord qui peuvent compter sur 48% et 47%.

Europe, Chine et Amérique du Nord se contenteront, si l’on peut dire, de 20%. Autant dire que même les pays les moins « avantagés » seraient hautement bénéficiaires des progrès de l’égalité : rappelons à toutes fins utiles que la croissance annuelle des pays occidentaux oscille actuellement entre 0% et 3%. Alors, 20%, forcément, c’est tentant !

 

 

Un indice d'(in)égalité construit à partir de 15 critères

Mais comment le McKinsey Global Institute a-t-il procédé pour construire ces chiffres?

En élaborant un indice d'(in)égalité sur la foi de 15 critères clés : 5 de ces critères relèvent du marché du travail (taux de féminisation de la population active, mixité des filières, écarts de rémunération, progressions de carrières, accès aux positions de leadership) et 10 se rapportent à la société dans son ensemble (participation à la vie politique, accès à la santé, inclusion digitale, violences sexistes…).

 

 

Les champs critiques des inégalités femmes/hommes

Cet indicateur permet déjà d’identifier des champs critiques. A l’échelle mondiale, le plus fort des inégalités se situe en 3 domaines :

– la non-rémunération du « care work »,

– l’insuffisant accès aux postes de leadership dans le champ professionnel,

– l’insuffisante représentation politique.

 

Pour ces trois critères-là, l’humanité est dans le rouge foncé. Mais la situation est également plus que préoccupante pour les 5 qui suivent :

– écarts de rémunération,

– droits et protection légale,

– participation à la population active,

– violences sexistes,

– santé maternelle.

 

 

Une croissance sous-évaluée et amputée de manque-à-gagner imputables aux inégalités

Il en ressort deux enseignements principaux: du fait des inégalités femmes/hommes, la croissance est à la fois sous-évaluée et amputée d’importants manque-à-gagner.

 

Pour commencer, la croissance est sous-évaluée, quand :

– l’insuffisante participation à la population active recensée témoigne en creux d’une sur-représentation féminine dans les secteurs informels (selon un rapport de la Commission européenne en 2013, les femmes comptaient pour 70% à 90% des travailleur-ses de l’économie informelle),

– la non-rémunération du « care work », dont l’étude McKinsey révèle qu’il est effectué à 75% par les femmes, implique l’absence de prise en compte de toute une part de la création de valeur dans le chiffrage de la richesse des pays (création de valeur que le Prix Nobel Stiglitz évaluait en 2012 à 33% du PIB de la France)

– les écarts de rémunération entraînent une sous-estimation de la valeur produite par le travail des femmes.

Pour le résumer de façon un peu crue, c’est d’abord parce qu’une partie importante de la richesse créée par les femmes est invisibilisée (pour ne pas dire « confisquée ») que les indicateurs de croissance sont en deça de la réalité qu’ils prétendent décrire. Rendez au travail des femmes sa valeur et en toute logique, vos chiffres de production de richesse croitront!

 

Parfaitement convaincante sur le plan macro-comptable, la démonstration n’est peut-être cependant pas suffisante pour emporter le morceau à l’échelle micro-économique : car après tout, si l’on est cynique, quel intérêt pour l’entrepreneur-e lambda de contribuer à l’augmentation d’un chiffre global de croissance de la nation et du monde si cela passe par la réduction immédiate de sa marge, au bénéfice d’une augmentation des rémunérations de ses salariéEs?

C’est là qu’intervient le second argument de l’étude McKinsey : la croissance est également amputée par d’importants manque-à-gagner imputables aux inégalités, quand

– les femmes sont insuffisamment bien protégées par la loi, mal soignées et encore trop souvent maltraitées, donc en plus ou moins grande incapacité de participer dans de bonnes conditions à la production de richesse ;

– les femmes ayant aujourd’hui un niveau de qualification satisfaisant pour plus de 60% d’entre elles dans le monde restent écartées des responsabilités dans le monde professionnel à plus de 68% et des responsabilités politiques à plus de 84%, soit un monumental « gâchis » de compétences.

 

 

Pour une égalité performante ou pour une égalité en pratique?

Ce thème de l’économie privée du talent, de l’énergie et de la force de travail des femmes n’est pas neuf chez McKinsey. On le retrouve au coeur de toute la série des rapports « Women Matter » qui ont mis en évidence, dès le milieu des années 2000, une corrélation entre mixité des équipes dirigeantes et performance des entreprises.

C’est là un discours qui aura suscité plusieurs critiques, d’aucun-es s’inquiétant notamment d’y lire une rhétorique de « la plus-value des femmes », contenant le risque de conditionner l’égalité à sa rentabilité (quitte à supporter de la voir régresser si elle s’avérait finalement décevante en termes de performance).

 

Critique entendue et/ou nouvelles maturations du propos sur l’égalité dans le champ économique, le ton n’est plus tout à fait le même dans cette étude « The Power of Parity ».

D’abord, parce que le champ est élargi : on ne parle plus seulement de catégories « managers, senior managers et leaders » mais de l’ensemble des populations, avec une vraie préoccupation d’intérêt général, ramenant l’économie à sa raison d’être humaine (permettre à l’ensemble des populations de vivre mieux).

Ensuite, parce que le niveau d’ambition est relevé : on ne vise plus une seule « mixité » à géométrie optionnelle ni même des « progrès de l’égalité » à rythme variable, mais on se projette dans le scénario « full equality ». Une façon de renouer avec l’exigence du principe de justice tout en en explorant les effets économiques.

Enfin, parce qu’on dépasse le dogme utilitariste : le « pourquoi » de l’intérêt à l’égalité semble suffisamment démontré et relayé pour que la seule question qui semble valoir aujourd’hui soit celle du « comment » réussir l’égalité.

 

 

Comment faire?

Pour rendre l’égalité effective, l’étude « The Power of Parity » désigne 6 priorités (et propose 75 exemples de « bonnes pratiques« ) :

> Incitation et soutien financier à l’égalité dans le champ de la famille et des entreprises,

> Investissement dans la technologie et les infrastructures pour réduire les « gaps » d’accès à l’éducation , à l’information et à la connectivité,

> Création d’opportunités économiques : encouragement à l’entrepreneuriat des femmes et accompagnement à l’inclusivité dans les secteurs innovants,

> Renforcement du potentiel des femmes en portant l’accent sur l’adéquation entre leurs qualifications et leur emploi, la formation continue et le développement de leur leadership,

> Evolution des mentalités et comportements, pour sécuriser les femmes dans des espaces et rôles autres que ceux assignés par les normes traditionnelles,

> Régulation juridique et politique, pour compléter les corpus de droits des femmes quand ils sont encore lacunaires et faire appliquer les lois qui existent.

 

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE.