Le chiffre du mois : 82% des salarié.es à temps partiel sont des femmes

Eve, Le Blog Egalité professionnelle

Pour faire suite au Rapport EVE & DONZEL paru en septembre 2015, le webmagazine EVE vous propose chaque mois d’analyser un chiffre de l’(in)égalité et/ou du leadership (encore insuffisamment) partagé.

Le chiffre

82% des salarié.es français.es à temps partiel sont des femmes. (source : Eurostat – INSEE, 2013). Cela représente une femme active sur trois (DARES, 2012).

A l’échelle européenne, c’est en France que le pourcentage de femmes à temps partiels est le plus élevé, mais les chiffres d’autres pays tels que la Suède, 72,2% ou l’Italie, 80% confirment  que partout, ce sont les femmes qui sont très majoritairement en situation de temps de travail réduit.

 

L’analyse

Le temps partiel, un « choix » en question ?

Mis en place en France dans sa forme actuelle en 1973 et développé dans les années 1980 et 1990, le travail à temps partiel est une solution d’aménagement du temps de travail permettant aux salarié.es de dégager du temps pour d’autres activités (personnelles ou professionnelles) et aux employeurs  d’ajuster le volume horaire dédié à un poste aux besoins de la fonction.

A l’intersection des libres choix de vie de chacun.e et des arbitrages économiques des personnes, des ménages et des entreprises, le temps partiel a également son volet « subi ». Pour un certain nombre d’employé.es, il est un pis-aller et représente une forte précarité et des formes de pénibilité au travail telle la fragmentation des journées (par exemple, dans les fonctions où le besoin de main d’oeuvre connait des pointes matinales et vespérales).

 

Temps partiel et parentalité : quand les ménages arbitrent!

La réalité donne à voir une forte augmentation des temps partiels féminins à l’arrivée du premier enfant. En face de l’argument légitime du désir de prendre du temps pour vivre sa parentalité à leur façon qu’expriment certain.es, la pénurie et le coût des solutions de garde, les contraintes horaires des activités extra-scolaires entrent aussi en ligne de compte dans la décision que prennent de nombreux ménages de réduire le temps de travail de l’un des deux parents.

Au moment de faire les calculs, l’intérêt économique imposerait un arbitrage évident : c’est le moins rémunéré des deux qui renonce à un pourcentage de son salaire. En l’occurrence, les femmes percevant en moyenne autour de 20% de moins que les hommes, il n’est pas étonnant, selon cette logique, que ce soit une majorité des femmes qui recoure au temps partiel. Il faut sans doute, pour cerner pleinement le phénomène de sur-féminisation du temps partiel, prendre également en compte le poids des stéréotypes qui favorise une confusion entre parentalité et maternité.

 

Un temps partiel pour se poser?

Le choix du temps partiel s’explique aussi, à l’arrivée d’un enfant, par l’irruption brutale des problématiques d’articulation des temps de vie dans le quotidien des foyers. La notion de « double journée » prend tout son sens et toute son intensité! Il est alors tentant, dans les situations où s’observe un fort déséquilibre de répartition des responsabilités familiales, de demander un temps partiel dans l’espoir de cesser de cavaler incessamment après la montre!

Mais des études récentes ont mis en évidence un phénomène de burnout maternel touchant particulièrement les femmes au foyer et femmes à temps partiel. Quand on réduit son temps de travail en entreprise, gare à ne pas démultiplier son temps de travail domestique!

 

Au risque du 5 en 4!

Il n’est pas rare non plus que la tâche au bureau ne soit pas aussi allégée par un temps partiel qu’on l’aurait espéré. Le plus souvent non remplacé.es, les salarié.es à 80% se retrouvent fréquemment à compresser la semaine de 5 jours en 4.

Le temps de présence a diminué, mais les journées sont plus intenses et conscience professionnelle oblige, plus d’un.e rapporte à la maison le travail inachevé dans le temps défini.

 

Partiel-lement invisibilisé.es?

Quand semaine allégée rime avec planning de travail plus serré, c’est aussi le temps du networking et de la vie informelle de l’organisation qui passe souvent à la trappe.

Si le présentiel est de moins en moins un dogme dans les organisations, la visibilité des collaborateurs et collaboratrices en temps partiel (tout comme en télétravail) est un point de vigilance tout particulier : il faut combattre les mésinterprétations sur l’engagement de ces salarié.es et veiller à ce qu’ils/elles ne soient pas les grandes oublié.es des communications internes, des plans de formation et des promotions.

 

Et si le temps partiel féminin contribuait à augmenter les écarts sociaux-économiques femmes/hommes?

Le temps partiel représente un manque-à-gagner salarial immédiat, que les personnes assument comme le prix d’un choix ou subissent, faute de mieux. Mais il faut savoir que c’est un coût durable : moins rémunéré.e au temps t, on est moins indemnisé.e en cas de chômage et on perçoit une moindre pension de retraite après cessation de l’activité.

Le rapport Perspectives de l’Emploi 2010 de l’OCDE alerte par ailleurs sur la perte de chance des personnes à temps partiel pour l’obtention d’un emploi pérenne et note leur plus grande vulnérabilité lors de plans sociaux. Le même document souligne, pour les populations les plus démunis, le risque d’effet boule de neige sur un accroissement de la pauvreté : bailleurs et institutions financières accordent une moindre confiance aux employé.es à temps partiel, ce qui met directement en péril leur accès au logement.

 

 

En pratique(s)

Comment dans ces conditions, rendre au temps partiel un rôle libérateur ?

Prendre le temps d’identifier ses besoins profonds et ouvrir le dialogue avec l’environnement familial et professionnel

Avant de s’imposer l’évidente solution du temps partiel, il est essentiel de cerner très précisément ses besoins et d’ explorer toute la panoplie des solutions pour y répondre. Urgence de souffler, désir intime de passer du temps avec ses enfants, souhait de s’impliquer dans la vie citoyenne, d’avoir davantage de loisirs, de monter une start-up, d’écrire un bouquin, envie de voir autre chose, sentiment que la vie professionnelle ne répond à son projet de vie, marre de son environnement de travail etc. ne sont pas à mettre dans le même sac!

Chacune de ces motivations est à instruire en tant que telle… Et dans le dialogue avec l’environnement familial et professionnel. Re-négocier le partage des tâches domestiques et des responsabilités au sein du foyer peut être une bonne idée avant de décider de prendre une journée par semaine pour en faire encore davantage à la maison!

Quand ce sont les trajets qui pèsent ou l’aller-retour de 10 minutes pour emmener les enfants aux activités qui bloque tout le mercredi, le télétravail ou le travail bi-localisé peuvent apporter de la souplesse dans l’agenda.

Et si cette tentation du temps partiel fait écho d’abord à une envie de changements et d’évolutions, c’est peut-être le moment de réfléchir activement à son projet professionnel et d’actionner les bons leviers pour prendre un nouvel élan?

 

A l’échelle des organisations, repenser le rapport au(x) temps

La sur-représentation des femmes dans la population employée à temps partiel interpelle aussi les entreprises et organisations. Facteur mécanique de perte de mixité, c’est aussi potentiellement une mise en jachère de talents. Une attention particulière à la poursuite de la progression professionnelle du personnel à temps partiel s’impose donc.

Au-delà d’une vigilance accrue des RH à l’intégration continue de toutes et tous, c’est tout le rapport au(x) temps que l’entreprise est invitée à repenser.

Le temps de travail, qui n’est plus seulement celui de la présence, mais aussi le temps des autres vies des collaborateurs et collaboratrices qui est celui d’expériences autres, au cours desquelles se développent des compétences et des savoir-être qui gagnent à être reconnus et valorisés.

Plus généralement, une personne qui atteint son équilibre, trouvant son compte à la fois dans le travail, la vie familiale, la vie sociale et ses activités personnelles, s’avère plus sereine, plus ouverte et plus inspirée. 

Il est temps d’en finir avec la culture du présentéisme et d’innover dans la perception et la valorisation des parcours diversifiés.

 

Libérer le temps des hommes, aussi!

Amenée par l’exigence de faire leur juste place aux femmes, cette question des temps de vie doit aussi s’adresser aux hommes. De plus en plus nombreux à s’inscrire dans des schémas familiaux non traditionnels et à exprimer leur désir de s’épanouir dans tous les espaces de l’existence, ils restent trop rares à se porter volontaires au temps partiel comme à d’autres solutions d’aménagements du temps de travail qui portent le marqueur d’un investissement accru dans la vie familiale.

Pour mieux répartir les responsabilités au travail comme dans la vie privée, il est donc indispensable d’engager les hommes non seulement à partager le pouvoir comme les tâches domestiques, mais aussi à se libérer des assignations qui restreignent l’expression de toutes les facettes de leur personnalité.

 

Elina Vandenbroucke et Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.