Le Rapport EVE & DONZEL passe le chiffrage de l’égalité à la question.

Eve, Le Blog Dernières contributions, Egalité professionnelle, Leadership, Rapport EVE, Rôles modèles

Cliquez ici pour consulter le rapport dans son intégralité.

Rencontre entre Sylvie Bernard-Curie, Présidente du Comité des Sages d’EVE et Marie Donzel, Dirigeante de Donzel & Cie.

Eve le blog : Bonjour Marie. Nous vous connaissons comme « plume » du blog EVE. Mais je crois que ce n’est qu’une partie de vos activités…

M. Donzel & S. Bernard-Curie à EVE 2015

Marie Donzel : Je suis consultante en innovation sociale. Souvent identifiée sur les questions d’égalité, je travaille sur d’autres sujets également passionnants : les re-définitions du travail et des parcours de vie, la responsabilité sociétale, l’éthique d’entreprise, les relations parties prenantes…

Je me suis installée comme consultante après une première carrière de communicante dans l’édition. Parce que je voulais continuer à mettre en œuvre mes savoir-faire acquis dans ce premier métier, j’ai d’emblée conçu l’offre de mon cabinet en articulant le fond et la forme : chez Donzel & Cie, nous « phosphorons », nous analysons les situations, nous explorons des sujets prospectifs, nous amenons des idées, et nous proposons aussi les outils et contenus qui donnent à lire et comprendre tout cela.

C’est une posture en rupture avec une vision segmentée des métiers qui voudrait que le consultant pense et le communicant parle. Je veux être ces deux personnes à la fois ! Ce que les responsables du Programme EVE ont parfaitement compris en refusant de me « ranger » dans une seule case. Ainsi, j’anime au quotidien le blog EVE, aux côtés de Valérie Amalou, et je travaille avec le Comité des Sages sur d’autres projets, comme par exemple, ce Rapport EVE & DONZEL.

Eve le blog : Parlons justement de ce rapport EVE & DONZEL. De quoi s’agit-il exactement ?

Marie Donzel : Ce rapport est sous-titré « Leadership féminin – Egalité professionnelle : 50 chiffres pour savoir, comprendre, débattre et agir ». Tout est là

Savoir, c’est regarder avec lucidité les indicateurs d’(in)égalité.

Comprendre, c’est faire parler les chiffres en expliquant leur construction et en en guidant la lecture et l’interprétation.

Débattre, c’est discuter des chiffres et de leur utilisation.

Et tout cela permet d’agir en faveur de l’égalité de façon plus pertinente, en identifiant ce qui est prioritaire, ce qui résiste, ce qui fait levier etc.

 

 

Eve le blog : Quelle méthodologie avez-vous appliquée ?

Marie Donzel : Nous avons commencé par réunir un corpus documentaire. Pour cela, le Programme a mis à notre disposition une équipe de douze personnes issues des directions RH, diversité et knowledge des entreprises partenaires.

Ensemble, nous avons réuni près de 300 études parues pour la plupart entre 2010 et 2015. Soit pas loin de 2000 chiffres. Et il fallait que nous arrivions à en distinguer 50, parmi les plus saillants !

Pour cela, nous avons identifié 8 grands thèmes stratégiques et monté autant de commissions pour les instruire.

 

 

Eve le blog : Comment se sont passé les travaux en commission ?

Marie Donzel : Les discussions en commission ont tout de suite été animées : chaque fois que nous tombions sur un chiffre, nous entrions dans un grand débat !

Par exemple : les femmes comptent pour 39% de la population active dans le monde. Mais c’est quoi la population active? La définition de l’OIT, reprise par la plupart des pays du monde, retient le critère de l’emploi et de la recherche d’emploi. Ca laisse à l’écart toutes et tous les travailleuses et travailleurs de l’économie informelle. Donc, vous vous posez légitimement la question : « combien de personnes travaillent dans l’économie informelle? » . C’est par essence difficile à comptabiliser, mais une étude  de la Commission européenne estime que ce sont de 70% à 90% des femmes. Puis vient la question des contours de l’économie informelle. Pas seulement les activités illégales et criminelles, mais aussi tout le travail non statutaire, et éventuellement non rémunéré. Faut-il y intégrer les « tâches domestiques » dont le rapport Stiglitz de 2012 évaluait la contribution à 33% du PIB de la France?

Nous voilà parti-es d’un chiffre apparemment basique, d’ordre simplement statistique, et en train de poser la question de ce qui « fait travail », de ce qui « fait valeur », de ce qui « fait richesse ». Tout un débat philosophique!

 

 

Eve le blog : En fait, vous tirez la pelote pour aller chercher ce qui se cache derrière les chiffres ?

Marie Donzel : Exactement. Je passe les chiffres à la question. Mais c’est pour leur bien ! Le chiffrage est une activité scientifique, qui exige donc une posture de doute critique.

Pour moi, il y a un vrai combat intellectuel à mener sur ce point. La tendance actuelle, en partie héritée de l’utilitarisme en sciences sociales, est à une confiance quasi-absolue aux chiffres et presque qu’aux chiffres, comme s’ils suffisaient à dire le fait et à démontrer l’idée. Mais le chiffre n’est pas une preuve en soi, c’est un outil à disposition de l’argumentation et du débat.

Les travaux du rapport EVE & DONZEL m’ont d’abord convaincue qu’il y a un vrai travail à faire pour ré-envisager la construction des indicateurs et leur utilisation dans les discours et les pratiques.

 

 

Eve le blog : En dehors de cette réflexion sur la place du chiffre, quels sont les grands enseignements de ce rapport?

Marie Donzel : Le premier enseignement de ce rapport, c’est le foisonnement des données sur l’égalité professionnelle.

C’est du jamais vu  et c’est une bonne nouvelle en soi : la question de l’égalité professionnelle est à l’agenda des entreprises, des organisations politiques et des médias. 

Il faut juste de méfier du miroir aux alouettes : ce n’est pas parce qu’on parle de plus en plus d’égalité femmes/hommes que ça progresse.

En l’occurrence, tous les indicateurs ou presque sont au rouge… Mais il y a quand même des champs où ça bouge.

 

 

Eve le blog : Dans quels domaines voyez-vous des évolutions ?

Marie Donzel : L’accès à la formation initiale est en nette progression. Le niveau de qualifications des femmes n’est plus un obstacle à leur insertion professionnelle dans l’ensemble du monde occidental. Elles comptent même aujourd’hui pour la majorité des « haut diplômé-es » dans la zone OCDE.

Ce qui reste une problématique, c’est la possibilité pour elles de transformer ce capital de compétences acquises en milieu académique en compétences reconnues dans le monde du travail. Cela renvoie au complexe de la bonne élève, mais adresse aussi aux deux institutions que sont l’école et l’entreprise la question des « règles du jeu » et de leur lisibilité.

 

 

Eve le blog : Et du côté de l’accès aux responsabilités, où en est-on? 

Marie Donzel : C’est un champ où l’on avance, et plutôt rapidement. Notez qu’on part de très bas (7% de femmes PDG sur le monde!), ça laisse de belles marges de progression. Mais il y a une dynamique manifeste : une récente étude KPMG montrait que la part des femmes dirigeantes d’entreprises de plus de 1000 salarié-es a doublé au cours des 10 dernières années. Il va falloir observer si cette évolution se poursuit à bon rythme dans les temps à venir.

Il va aussi falloir étudier de près si cette meilleure visibilité des femmes dans le top management favorise l’égalité et la mixité à tous les échelons des organisations. C’est l’étape d’après, et je soupçonne qu’on entre là dans le dur !

 

 

Eve le blog : Pouvez-vous préciser ce qui se joue dans cette « étape d’après »?

Marie Donzel : Le grand défi qui attend les politiques d’égalité publiques comme privées, c’est, selon moi, le sort des femmes des classes moyennes. Elles sont très nombreuses, paient le plus lourd tribut aux inégalités de rémunération en particulier, sont particulièrement exposées au risque de déclassement et de paupérisation, et ne sont la cible prioritaire ni des politiques publiques, qui se concentrent souvent sur les femmes en situation de vulnérabilité, ni des politiques d’entreprise qui se sont beaucoup attachées ces dernières années à la promotion des « talents » féminins, avec un certain prisme « cadres et cadres sup' ». C’est un peu caricatural comme opposition, la réalité étant comme toujours plus ambiguë, mais reste que la situation des femmes « normales » est un enjeu en soi, à prendre à bras le corps.

La « femme normale », c’est la femme qui n’est ni démunie ni nantie, c’est aussi la femme qui n’est ni victime ni superwoman, ni complètement invisible ni complètement reconnue à sa juste valeur. Mon intuition, c’est qu’elle est en chacune de nous ! 

 

 

 

 

Propos recueillis par Sylvie Bernard-Curie, Associée DRH – Talents de KPMG, Présidente du Comité des Sages d’EVE.