Led by HER : pour l’autonomisation des femmes vulnérables par l’entrepreneuriat

Eve, Le Blog Développement personnel, Egalité professionnelle, Leadership, Responsabilité Sociale, Rôles modèles

 

Rencontre avec Chiara Condi, fondatrice et Présidente de Led by HER

 

 

 

Led by HER est un programme d’accompagnement à la création d’entreprise qui s’adresse aux femmes ayant subi des violences.

Pour en parler, le blog EVE a rencontré sa créatrice, Chiara Condi.

 

 

Eve le blog : Bonjour Chiara. A quand remonte votre engagement en faveur des personnes en situation de vulnérabilité?

Chiara Condi : Je suis italo-américaine, je viens d’un milieu assez aisé et j’ai fait mes études en partie aux Etats-Unis (à Harvard), en France (à Sciences Po) et à Londres (à la London School of Economics). J’ai toujours eu conscience d’être privilégiée, mais je n’ai jamais trouvé ça normal. Déjà enfant, il me paraissait insupportable que d’autres n’aient pas ce que moi j’avais reçu et qui me permettait de m’épanouir dans de bonnes conditions et de me projeter dans un avenir que je pourrais choisir. Cela pour dire qu’il m’a toujours semblé une évidence de m’engager contre les injustices.

Quand j’étais étudiante aux Etats-Unis, j’ai développé un programme d’insertion, géré par des étudiants formés par des professionnels et dont le principe est d’aller vers les sans-abris, là où ils sont, et parfois bien plus invisibles qu’on le pense. C’est fondateur dans mon approche de l’aide aux autres : il ne suffit pas de dire « on met des choses en place et les gens qui ont besoin n’ont qu’à venir les chercher« , parce que les gens qui sont en difficulté d’insertion sont en réalité confrontés à la toute première des injustices, qui est l’inégalité d’accès à l’information.

Cette expérience s’est terminée pour moi quand j’ai quitté les Etats-Unis pour poursuivre mes études en Europe, mais le Programme continue à exister et à se développer, je suis très fière d’avoir pu créer quelque chose qui me dépasse largement aujourd’hui.

 

 

Eve le blog : Une fois vos études terminées, quelle orientation professionnelle prenez-vous?

Chiara Condi : Je voulais bien sûr continuer à travailler sur ces questions d’insertion, de lutte contre la pauvreté et d’aide au développement. Je suis entrée à la BERD où l’on m’a rapidement proposé de rejoindre une équipe qui conduisait des projets économiques, sociaux et environnementaux pour les femmes. Sur le papier, c’est le job de rêve! Et pour moi qui avait malgré tout une formation assez classique, prendre des responsabilités dans une institution internationale, cela semblait la meilleure des voies pour avoir une action impactante à grande échelle. J’ai déchanté en prenant conscience que ces grandes organisations répondent en premier lieu aux agendas des pays donateurs et ensuite seulement, aux besoins des populations auxquelles elles sont réputées s’adresser.

Moi qui croyais que le changement venait des institutions qui donnaient aux individus les moyens d’agir, j’ai alors basculé dans la perspective totalement inverse :  j’ai la conviction que le changement procède des initiatives de terrain et que c’est aux institutions de suivre. Bref, avec tout ça, j’ai démissionné de la BERD, le jour même où on m’offrait une promotion.

 

 

Eve le blog : Et que faites-vous alors?

Chiara Condi : Je  fais un bon break, de vraies grandes vacances pour me retrouver, sans vraiment savoir ce que je ferai après, mais pour prendre vraiment le temps de mûrir mon projet de vie.

Hélas, au bout de quelques mois je suis tombée très malade. J’ai vécu ensuite, après ma guérison, quelque chose qui, je crois, peut se rapprocher de ce que vivent les personnes qui reviennent de la grande pauvreté ou d’une autre situation personnelle critique : tout le chemin pour se reconstruire, reprendre le pouvoir sur sa vie, recommencer à se projeter dans l’avenir est un parcours dont on sous-estime la longueur, la solitude, les difficultés et les moments de chagrin et de découragement.

Il m’est apparu qu’il y avait là, un moment charnière de la réinsertion. C’est le moment où vous n’êtes plus dépendant, plus prisonnier de la maladie, de la violence ou de la misère, mais où votre autonomie est en train de se re-construire, vous êtes capable de vous en sortir, vous êtes sur la bonne voie, mais vous êtes encore fragile et il n’y a pas grand monde pour comprendre combien ce que vous vivez est dur et vous demande de courage pour vous accrocher.

Avec le recul, je dirais que c’est cette réflexion qui a fondé l’esprit de Led by HER : être là, pour des femmes ayant subi des violences au moment où elles passent à une nouvelle étape de leur vie, et créer une communauté solidaire avec elles et autour d’elles pour accompagner solidement et durablement ce chemin vers l’autonomie.

 

 

Eve le blog : Concrètement, comment Led by HER intervient auprès de ces femmes?

Chiara Condi : Led by HER est un Programme de re-empowerment que nous avons crée avec deux écoles de commerce partenaires, l’ESCP et l’IESEG et qui est basé sur l’accompagnement à la création d’entreprise.

Il s’adresse à toute femme qui a subi des violences, quel que soit son origine, son âge, son milieu socio-économique… C’est un programme qui se déroule sur une année, au rythme de 8 ateliers par mois de début septembre à fin juin, animés par des professionnel-les de haut niveau (mis à disposition par nos partenaires, parmi lesquels l’ESCP, l’IESEG, Le Playground et plusieurs autres cabinets de coaching…).  Chaque femme est aussi mentorée dans son parcours par un homme ou femme formé-e par des coachs pour l’aider à établir les diverses étapes de son projet.  Elles sont ensuite accompagnées en deuxième et troisième année en développement personnel et sur le suivi business de leur activité et peuvent continuer à bénéficier du mentorat.

Nous voulons apporter l’excellence à ces femmes et nous avons l’objectif clairement affirmé de former des leaders! Ce qu’elles sont d’ailleurs, effectivement très entreprenantes, pour certaines à la tête de boîtes qui commencent à bien marcher. Et elles forment une vraie communauté solidaire qui s’entraide et se bouge pour amplifier le mouvement.

Elles sont d’ailleurs en train de préparer le Be and Become Day, un festival sur l’entrepreneuriat féminin avec une idée assez novatrice qu’elles ont élaborée avec des entrepreneur-es et dirigeant-es de grands groupes lors d’une journée organisée par En Mode UP.

Ce que j’observe avec bonheur, c’est qu’elles se conçoivent vraiment comment des entrepreneures et pas comme des femmes victimes de violence qui se sont lancé dans l’entrepreneuriat. C’est un distingo essentiel : elles se débarrassent de l’identité de victime. Car victime, ce n’est pas une identité, pas un statut, pas quelque chose que vous restez à vie parce qu’accidentellement, au cours d’une période de l’existence, vous avez été maltraité-e. C’est quelque chose qui peut être dépassé.

 

Eve le blog : N’est-ce pas alors, selon vous, tout le regard de la société sur les victimes qu’il faut changer? 

Chiara Condi : Je suis convaincue qu’il faut changer non seulement le regard de la société, mais aussi la façon de traiter, concrètement, les victimes. Dans nos sociétés, les victimes, et en particulier les femmes victimes, sont doublement mal traitées : par ceux qui directement les agressent, les exploitent, les harcèlent ; mais aussi par toute une société qui ne veut pas les voir et les renvoie à la honte de leur situation. Les femmes sont découragées de témoigner, non seulement auprès de la police alors que pourtant il y va de leur survie quand elles sont en grand danger, mais aussi, ensuite, à faire part de leur expérience en public, parce qu’elles ont peur que cette identité de victime les poursuivent à jamais et qu’elles en aient à payer le prix social en plus d’avoir essuyé les coups et les violences. C’est inadmissible.

J’étais très fière, quand je suis allée faire mon TedX à Barcelone, que les femmes de Led by HER m’y accompagnent (elles ont créé une vidéo et vendu leurs produits et services et ceux de leurs mentors sur un site de crowdfunding pour cela) et qu’elles viennent témoigner à visage découvert à mes côtés : c’est à elles de prendre la parole sur le sujet des violences et de prendre le pouvoir pour que ça change.

La société doit accepter de regarder en face ces femmes qui refusent la honte et disent haut et fort : « Je n’ai pas l’air d’une victime, en effet, car je suis comme vous. J’ai été victime à un moment, comme ça peut nous arriver à toutes et tous. Mais, je suis vraiment comme vous, pleine d’espoir et d’ambition,  je veux réussir ma vie!« . Je crois qu’il faut parvenir à susciter une véritable empathie à l’égard des personnes qui ont été victimes : l’empathie, ce n’est pas de la condescendance, pas de la pitié, c’est le fait de se voir dans l’autre et de le considérer exactement comme on veut être soi-même considéré-e.

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.

 

 

Retrouvez  « Led by HER » aux Apérettes 

Vous avez rendez-vous le 24 septembre sur la Péniche Concorde Atlantique avec les entrepreneures accompagnées par Led by HER qui présenteront leurs créations et produits lors des Apérettes Entreprise.

Plus d’info ici.