Jean-Christophe Laugée, directeur du Fonds Danone pour l’Ecosystème : « le vrai grand enjeu d’une bonne gouvernance, c’est d’articuler des relations positives avec son écosystème. »

Eve, Le Blog Dernières contributions, Egalité professionnelle, Leadership, Responsabilité Sociale, Rôles modèles

 

 

Il y a des interviewé-es à qui il faut tirer les vers du nez… Et puis il y en a qui d’emblée, manifestent leur enthousiasme et se livrent avec une incroyable générosité. Jean-Christophe Laugée, directeur du Fonds Danone pour l’Ecosystème appartient résolument au camp des seconds.

Le jour où nous avions rendez-vous pour le questionner sur son parcours, son métier et sur son expérience en tant que participant à EVE 2013, il n’avait pas fini de nous serrer la main que…

 

 

Jean-Christophe Laugée : Ah! Je dois dire que je suis ravi d’avoir rendez-vous avec vous. J’adore le Programme EVE. C’est simple, c’est dans le top 3 de mes expériences managériales. Pour moi, dans ce programme, il y a tout ce qui fait la recette d’un séminaire excellent sur le « change ».

 

 

Programme EVE : Puisque vous en parlez avec tant de gourmandise, filons la métaphore… Quels sont les ingrédients qui, selon vous, en font une « excellente » potion du changement?

 

Thomas d’Ansembourg, à EVE 2013

Jean-Christophe Laugée : Ca devient cliché quand on parle d’EVE, mais quand même : la qualité des intervenant-es, pour commencer. Pfffuit… Ils sont tous et toutes plus brillant-es les un-es que les autres. Thomas d’Ansembourg, est impressionnant, Iman Bibars que j’avais recommandée m’a épaté, Jean-Edouard Grésy, Joanna Barsh, Mike Horn, j’en oublie… En fait, au-delà de ceux qui m’ont marqué personnellement, ce qui est formidable, c’est que tout est intéressant et qu’en même temps, il y en a pour chacun-e, selon ce qu’il ou elle est venu-e chercher, selon où il ou elle en est de son propre développement. Donc, ça, les intervenant-es, c’est la première carte maîtresse d’EVE.

Instant de respiration à EVE 2013

Ensuite, il y a les participant-es : des hommes, des femmes, de différentes entreprises, de différentes cultures, aux vécus multiples. Ca crée de la curiosité. Mieux que ça, ça crée du réseau fondé sur la curiosité. Donc du réseau solide et prometteur de plein de choses, une vraie mine, de vraies relations appelées à devenir durables. C’est aussi permis par l’incroyable dynamique de bienveillance à EVE, personne n’y fait le show, chacun-e se montre comme il est et va à la rencontre des autres. Je ne sais pas comment vous avez réussi à créer ça, mais le résultat est là, ça fait un bien fou sur le moment et ça donne vraiment envie de réussir ça à son tour, dans sa vie, dans son équipe, dans son environnement…

Anne Thevenet-Abitbol, Marisa Guevara et Sophie Monhurel sur la scène d’EVE 2013

J’en viens maintenant au troisième élément du succès de ce séminaire (et après, j’arrête, sinon, on va dire que j’en fais trop, ce qui ne serait pas le cas puisque je suis très sincère quand je vous dis tout ça). Le troisième atout de ce séminaire, donc, ce qui le rend vraiment unique, c’est qu’il challenge vraiment, fondamentalement le sujet féminin/masculin. Il dépasse son sujet, « le leadership au féminin », pour aborder différemment le leadership tout court et au bout du compte, parler de choses universelles qui concernent tout le monde. En fait, il porte le sujet d’après : être soi-même. C’est le pas de côté qu’il faut faire pour envisager l’avenir de la question de l’égalité et faire comprendre que c’est pas un sujet « femmes » ni même un sujet « rapport hommes/femmes », c’est une question de société…

 

 

Programme EVE : En abordant la question femmes/hommes comme une question de société, relevant de l’intérêt général, vous nous offrez une transition parfaite, pour vous faire parler de vous, maintenant que vous nous avez parlé de nous (et dans des termes très élogieux). Vous êtes, Jean-Christophe, à la tête du Fonds Danone pour l’Ecosystème qui a vocation, précisément, à agir pour l’intérêt général, parce que celui-ci entre en résonance avec les intérêts de l’entreprise…

Jean-Christophe Laugée : Oui, pour penser l’intérêt général, c’est aussi les interactions entre les intérêts particuliers et cet intérêt général qu’il faut mettre en perspective. Il faut cesser de les opposer les uns à l’autre. Certes, l’intérêt privé fait appel à la notion de profit, mais restent entières les questions de savoir comment ce profit est créé et comment il est redistribué. C’est une question d’utilité et de sens qui se pose en permanence à chacun-e, dans l’entreprise comme ailleurs. Pourquoi est-ce que je fais ce que je fais et vers quoi je vais.

L’entreprise Danone, en particulier, se la pose depuis longtemps, c’est le fameux double projet économique et social. Il n’y a pas d’autres intentions à prêter à cela que celles d’une entreprise consciente de ses interdépendances. Avec ses clients, ses fournisseurs, mais aussi avec tout son environnement, les paysages, les ressources, les humains, les contextes sociaux et culturels. Tout ça nous impacte, de tout cela nous dépendons, dans tout cela, notre avenir s’inscrit… Alors, oui, le vrai grand enjeu d’une bonne gouvernance, c’est d’articuler des relations positives avec son écosystème.

 

 

Programme EVE : Vous venez de décrire l’ambition du Fonds Danone pour l’Ecosystème. Est-ce qu’on peut en raconter aussi l’histoire? Et du coup, au passage, sans être trop indiscrètes, votre propre histoire professionnelle?

Jean-Christophe Laugée : J’ai rejoint le fonds Danone pour l’Ecosystème à sa création, il y a 5 ans. Et c’est effectivement arrivé dans la continuité de mon parcours.

J’ai une formation en droit social et après deux expériences dans d’autres entreprises, je suis entré chez Danone en 1998, à un poste de RH/RDO (Ressources Humaines et Développement des Organisations) en usine. En 2002, on m’a proposé de prendre la direction des RH du Dairy dans un pays où la croissance de l’entreprise était en plein boom : la Russie. C’était une expérience extraordinaire : en six ans, nous sommes passés de 120 millions à 700 millions de chiffres d’affaires, j’accordais des promotions quasiment tous les jours (rire). Le business étant ce qu’il était, je me suis penché sur une question clé pour Danone dans les pays à forte croissance (mais pas seulement, d’ailleurs) : l’entreprise en tant qu’employeur « of choice » et son rôle social. Nous avons pu analyser qu’à la faveur des transformations rapides de la société russe dans les années 1990, la population n’avait plus d’espace de socialisation, qu’il y avait un vrai vide de la « vie hors boulot ». Avec du coup, effectivement, des gens très engagés dans leur travail, mais pour des questions d’équilibre, il nous semblait indispensable que nous participions à recréer des points d’intérêt autres. C’est comme ça que, tout en lançant le pilote du programme de développement durable de Danone, j’ai aussi pris contact avec des ONG, des associations, des acteurs de la société civile… Et qu’on a monté, par exemple, entre autres, un partenariat avec des orphelinats.

En 2008, on m’a rappelé en France en me disant « Jean-Christophe, là, maintenant, il te faut une expérience siège« . Bon. J’avais envie de faire du marketing, parce que j’aime le produit, parce que j’aime la marque et parce que c’est au coeur du business. Alors, nous avons parlé du « développement durable » parce que chez Danone ça aussi ça fait partie du business ! J’ai commencé par les fondamentaux du développement durable et par mettre en oeuvre la méthodologie Danone Way. Un jour Muriel Pénicaud (ndlr : alors DGRH de Danone) m’a appelé en me disant « Viens dans mon bureau, j’ai un truc à te proposer« …

 

 

Programme EVE : Et alors?…

Jean-Christophe Laugée : Alors, elle m’a fait venir pour me présenter le projet du Fonds Danone pour l’Ecosystème et me dire qu’on avait pensé à moi pour le lancer et le diriger! Bien sûr, je réponds : Davaï ! (ndlr : go! en russe). Et d’ailleurs, dans la foulée, j’appelle les anciens membres de mon comité de direction en Russie pour les embarquer dans l’aventure!

Cette aventure, quatre ans après (ouh! la! la, je n’ai pas vu le temps passer), c’est plus de 50 projets, 50 000 personnes impactées dans le monde et 50 millions d’euros engagés pour l’économie inclusive. 50/50/50, c’est facile à retenir!

 

 

Programme EVE : C’est si passionnant de vous écouter qu’on aimerait vous faire parler des 50 projets… Mais nous allons devoir nous limiter à quelques-uns (pour commencer en tout cas!). Par exemple, le tout premier d’entre eux, ce fut lequel?

 

Un projet de sourcing lait en Ukraine, avec un système de coopératives animées par des “babouchka”

Jean-Christophe Laugée : Le premier, c’était un projet de distribution de proximité à vélo, en France, en partenariat avec La Petite Reine, une entreprise écologique d’insertion.

Je voudrais surtout m’arrêter sur le second, si vous êtes d’accord. Parce que ça va bien vous montrer que chacun de ces projets est unique et que chacun raconte aussi une histoire passionnante, même si parfois cocasse. C’était un projet de sourcing lait en Ukraine, avec un système de coopératives animées par des « babouchka » (ndlr : des grands-mères, en russe). Bon, déjà, aller bâtir des coops dans un pays qui a connu les kholkhozes et dans lequel ça fait 10 ans qu’on martèle « entreprise individuelle, entreprise individuelle, entreprise individuelle« , ça vous développe le sens pédagogique. Mais ça challenge aussi vos façons de faire : parce que nous, nous étions arrivés persuadés que notre offre, fondée sur un bénéfice retour pour les fermiers, était parfaite. Mais en face, nous avions des gens qui attendaient aussi un bénéfice pour leur village. Donc, du coup, tu remballes tes certitudes sur ce que tu crois que les autres veulent et tu t’arrêtes le temps de les écouter dire eux-mêmes ce qu’ils en attendent : en l’occurrence, si en plus de l’augmentation de leur revenu individuel en tant que fermiers, ils ont besoin d’un coiffeur pour le village parce que c’est qui leur manque, eh bien, il faut oser investir aussi dans un coiffeur.

Et, c’est toute la démarche du Fonds Danone pour l’Ecosystème qui se met en place : on ne fait pas à la place, on fait avec ; on ne fait pas du up-bottom ni du bottom-up, on co-construit. Là où ça devient vraiment écosystémique, c’est que tout le monde y trouve son compte, parce que ça nous permet aussi, à nous, non seulement de sécuriser nos approvisionnements mais encore d’innover, de challenger nos façons de faire, de nous inspirer de ce qui se passe ailleurs et de considérer nos expériences réussies dans des contextes autres, comme des pilotes pour nos contextes occidentaux.

 

 

Programme EVE : Voulez-vous nous parler d’autres projets?

 

Iman Bibars, à EVE 2013

Jean-Christophe Laugée : C’est volontiers que je vous en parlerais, pendant trois jours entiers sans dormir, même. Parce que tous les projets du Fonds Danone pour l’Ecosystème sont aussi enthousiasmants les uns que les autres.

Mais comme je dis « On fait avec, on fait pas à la place« , je pense que pour aller au bout de cette démarche, je dois donner la parole aux porteurs et porteuses de ces projets, plutôt que de parler à leur place. Alors, je vous retourne la question, est-ce que vous, vous accepteriez de les interviewer, de les faire parler de leurs projets? Vous connaissez déjà Ana Bella Estevez et Iman Bibars, nous pouvons en présenter d’autres, des femmes et des hommes dynamiques, innovants, généreux, ouverts, qui ont des parcours de vie incroyables, partout dans le monde, qui ont des idées incroyables pour créer, ils et elles vont vous passionner

 

 

Programme EVE : Alors banco! On décide donc aujourd’hui que le blog EVE et le Fonds Danone pour l’Ecosystème, c’est une affaire à suivre?

Jean-Christophe Laugée : On décide ça, oui!

 

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel et Marisa Guevara, pour le blog EVE

 

 

Vous l’aurez donc compris, nous aurons bientôt l’occasion de reparler du Fonds Danone pour l’Ecosystème et de mettre en lumière des porteurs et porteuses de projets inspirant-es. A suivre…

Comments 1

  1. Pingback: Jean-Christophe Laugée, directeur du Fon...

Comments are closed.