Marie-Hélène Delaux, une femme adaptée… à son temps!

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Maire-Hélène Delaux – Entretiens de l’UNEA

Après vingt ans de carrière à divers postes dans la banque, Marie-Hélène Delaux a créé sa propre entreprise.

Une entreprise comme les autres et différente à la fois : une agence de communication adaptée, comptant parmi ses collaborateurs 80% de travailleur-ses handicapé-es.

Ce qui ne fait aucune différence avec une autre « boîte de comm », c’est la qualité, la précision, le respect des délais et le prix des prestations proposées. Ce qui fait toute la différence, c’est le sens que cette entrepreneure avisée donne à son métier, et à sa vie, en prenant le parti de faire autrement, pour tirer pleinement partie de toutes les richesses de la diversité.

Portrait.

 

Le virus de la comm’

« C’était il y a 25 ans, à l’époque, quand on sortait d’une école de commerce, on trouvait facilement du boulot… J’ai postulé dans la banque, mais pas forcément pour un poste de banquière.« 

Ainsi démarre la carrière de Marie-Hélène Delaux, sur une candidature spontanée qui la mène au poste de rédactrice en chef d’un magazine à destination des clients et prospects entreprises du Crédit Lyonnais. Chemin de fer, production de contenus, maquettes, chaîne graphique, relations avec les imprimeurs n’ont bientôt plus de secrets pour elle et si parfois, on la « prend pour une touriste » dans les couloirs de l’entreprise, elle n’en a que faire : sans le savoir, elle a attrapé le virus de la comm’.

 

Par delà les frontières

Au bout de quelques années, pourtant, on l’encourage à « faire de la banque« , c’est en quelque sorte un passage obligé pour progresser dans le groupe. Chargée d’affaires entreprises, elle s’essaie au commercial, à la prospection, à l’analyse de bilan… Elle y apprend beaucoup, y donne satisfaction, mais le coeur n’y est qu’à moitié. Aussi, quand, après la naissance de son premier enfant et que son conjoint se voit offrir un poste à l’étranger, elle saute sur l’occasion : « en deux heures, la décision est prise, je demande un congé sabbatique et hop! on y va« .

Direction la Pologne. Pas la destination la plus simple pour de jeunes parents : « On est en 1995, beaucoup de produits de grande consommation auxquels on est habitués en France sont rares là-bas… A commencer par les couches-culottes qui se vendent par 6, au prix de l’or, quand on en trouve! » Le marketing, la relation clients, le déploiement d’une offre de services, la société de consommation y sont encore des notions floues, de façon générale. Le Crédit Lyonnais la missionne précisément pour participer à la mise en place du service marketing de sa filiale à Varsovie.

Deux ans plus tard, c’est pour la Suède que la famille, qui s’est à nouveau agrandie, fait ses valises. Au lycée français de Stockholm, Marie-Hélène se lie d’amitié avec une autre mère de famille, qui, comme elle, a le goût de la presse, de l’écriture, de la communication. Ensemble, elles relancent le journal de l’école. Et s’éclatent! Il n’y a pas à chercher, c’est pour ça que Marie-Hélène faite.

 

Passion : relations humaines

Quand son congé sabbatique s’achève et que le retour en France s’annonce, LCL n’a, hélas, pas mieux à lui proposer qu’un poste de commercial, à Evry.

Vendredi, avant-veille de rentrée, elle fait grise mine.

Soudain, le téléphone sonne : « Madame Delaux, ici, la direction de la communication du Crédit Lyonnais, vous seriez disponible pour un entretien lundi? » Le ciel s’éclaircit. Et là voilà bientôt embauchée au poste de rédactrice en chef de la Lettre des Cadres du groupe. « Je savais que j’aimais la communication d’entreprise… J’ai découvert que j’avais aussi une passion pour les ressources et les relations humaines« , dit celle qui ne se lasse pas, encore aujourd’hui, des miracles que la curiosité d’esprit permet et des inflexions qu’elle sait donner à la vie.

A mesure que le groupe évolue, notamment au travers du rachat par le Crédit Agricole en 2002, ses fonctions s’étendent : devenue responsable de comm’RH, elle gère, organise et élabore journaux papiers, sites intranet, séminaires et événements, baromètres sociaux et enquêtes internes… Un poste multifonctions où elle découvre aussi toutes les missions sociétales dans lesquelles le groupe est impliqué, à commencer par la promotion de la diversité et l’intégration des personnels handicapés. Puis elle passe responsable du web pour CA-CIB.

 

« Et si on faisait appel à un prestataire adapté? »

Début 2008, la crise financière s’abat sur le secteur bancaire. Toutes les dépenses sont comprimées. La comm’ en particulier, en prend un coup. Ca tombe mal : Marie-Hélène a justement un projet de développement de contenus vidéos pour le site Internet du groupe. Pas question d’y renoncer. Mais il faut la jouer fine pour défendre son budget. Marie-Hélène pense immédiatement à mutualiser l’ensemble des vidéos du groupe. Et à faire appel à une agence audiovisuelle adaptée.

Une agence quoi??? « Un prestataire adapté, c’est une entreprise ordinaire qui recrute au minimum 80% de travailleurs handicapés aux postes de production, explique-t-elle. Quand une autre entreprise fait appel à ce type de prestataires, elle récupère des Unités Bénéficiaires (UB), ce qui lui permet de remplir indirectement son quota d’emploi protégé et d’éviter ainsi de payer les amendes que doivent régler les sociétés de plus de 20 salarié-es qui ne répondent pas à l’obligation d’employer au moins 6% de travailleur/ses handicapé-es« .

La somme que pourrait économiser le groupe en confiant la production des vidéos de Marie-Hélène et des autres filiales à un sous-traitant de ce type n’est pas nulle… Sauf que la Mission handicap a bien cherché : une boîte de prod’ audiovisuelle adaptée, elle n’en a pas trouvé.  « Dommage », susurre le responsable de la Mission, « si un porteur de projet se présentait, on l’aiderait » !

 

La mue d’entrepreneure

Marie-Hélène, du tac au tac, lui répond : « Et si je montais une agence de comm’ de ce type, tu me ferais bosser? » Banco, c’est oui, sans hésiter! Alors, il n’y a plus qu’à.

Marie-Hélène fait sa mue d’entrepreneure en commençant par regrouper les ressources en présence : « je connais l’édition, le web, le fonctionnement et les contraintes des annonceurs, j’ai dans ma famille un directeur financier, une directrice artistique, un réalisateur… C’est un puzzle de compétences, il n’y a plus qu’à l’assembler« .

Chose promise, chose due, le Crédit Agricole lui accorde une promesse de subventions de 50 000 €, la met en relation avec BNP Paribas et Société Générale qui contribuent également au projet. Le 4 octobre 2009, les statuts de la SARL Sabooj sont inscrits au greffe du Tribunal de Commerce de Paris. Le nom a été choisi avec son fils qui lui a dit « Maman, il te faut un truc jeune, un truc en langage texto par exemple. Et un truc qui ressemble à tout ce que tu aimes faire, les vidéos, les images animées, les machins en mouvement. Il faut que ça bouge!« 

Le 15 octobre, la demande d’agrément « entreprise adaptée » est déposée. « Ensuite, le temps est infiniment long, je n’aurai la réponse qu’en juillet 2010. Je ne peux pas attendre, je bâtis le business plan de Sabooj sans compter sur les subventions de l’Etat, même si l’agrément conditionne aussi la libération des aides promises par mes partenaires« . C’est tout de même un soulagement quand le dossier revient des services de la préfecture avec la mention « accepté ». Elle se lance alors dans le recrutement des salarié-es en situation de handicap : un monteur et plusieurs graphistes, tous sourds ou malentendants.

 

Les sourds et malentendants : des communicants nés!

Un aperçu de l’équipe (et du style) de Sabooj

On pose la question naïvement : pourquoi des sourds et malentendants, dans une agence de communication ? On aurait plus facilement imaginé des personnes en fauteuil roulant, par exemple.

« Parce que les sourds et malentendants sont des communicants nés ! s’exclame Marie-Hélène Delaux. Ce sont des gens qui démontrent tous les jours que le langage parlé n’est qu’une option parmi tant d’autres pour s’exprimer, se faire comprendre. C’est quoi d’autre, la communication, que de maîtriser des codes de compréhension existants et d’en inventer d’autres pour faire passer efficacement un message ? »

Elle poursuit : « De façon générale, ceux pour qui se faire comprendre est a priori une difficulté sont d’excellents pros de la comm’ : ils ne partent pas du principe que ce qu’ils ont à dire est le plus important, mais considèrent que la première question à se poser, c’est ce que les autres vont comprendre. Les sourds et malentendants sont naturellement tournés vers la réception. C’est une compétence primordiale dans nos métiers. Beaucoup de campagnes en apparence brillantes, dans la communication traditionnelle, sont ratées parce qu’on a justement oublié, à un moment ou à un autre de leur conception, qu’il fallait qu’elles parlent à quelqu’un, qu’il fallait se placer en face (et à la place) des personnes à qui elles s’adressent pour les toucher. Une personne qui lit sur les lèvres ou pratique le langage des signes sait intuitivement se placer en face de son interlocuteur. C’est une réalité concrète pour lui et c’est une métaphore inspirante pour notre métier.« 

 

Poursuivre une quête de sens

(c) Sabooj

Est-ce à dire que travailler avec des personnes handicapées amène, plus généralement, à faire davantage attention aux autres et à mieux se mettre à leur place, à comprendre des univers multiples et divers?

« C’est une évidence, pour Marie-Hélène Delaux, le monde des sourds est un autre monde et c’est un monde très enrichissant. Le langage des signes y donne partiellement accès et c’est pour faciliter les échanges au sein de l’entreprise que nous sommes tous formés à signer. Mais ça ne s’arrête pas là. Travailler avec des personnes en situation de handicap, c’est poursuivre une quête de sens bien plus fondamentale. C’est voir les choses autrement. C’est effectivement accepter l’idée que la posture dans laquelle on se trouve, quand on est valide, même si elle est la plus facile, car la plus facilitée par la société, n’est ni une posture unique ni la posture la plus légitime et encore moins celle qui rend le plus inventif ou le plus fort. »

 

La qualité, le meilleur des arguments contre les préjugés 

Voir les choses autrement, certes, mais « sans céder sur l’exigence », insiste Marie-Hélène Delaux.

Autrement dit, les travailleurs handicapés ont besoin de compréhension mais pas de complaisance. « Mon leitmotiv, c’est : « pour le client, même délai, même prestation, même qualité, même coût ». »

En effet, il y a « beaucoup de préjugés sur les travailleurs handicapés, comme « ça va être plus cher » (c’est faux, le dispositif permettant de récupérer des UB en fait au contraire un avantage), « ça va être plus lent » (c’est faux, c’est une question d’organisation, comme dans toute situation professionnelle) ou « ça va être moins bien » (c’est faux, bien sûr, on sait tous et toutes, aujourd’hui que la diversité est productrice de richesse, de créativité, de différenciation) ». La directrice de Sabooj met donc un point d’honneur à mettre en avant l’argument commercial le plus convaincant qui soit pour promouvoir Sabooj : la qualité du travail fourni. « Nous sommes une agence de communication comme une autre, qui livre dans les temps et aux prix du marché, du boulot abouti. »

Et ça marche : Sabooj, première agence globale adaptée de communication parisienne, avec un portefeuille d’une soixantaine de grands comptes (parmi lesquels nos partenaires le Crédit Agricole S.A., la SNCF ou L’Oréal) vient de déménager dans des locaux plus grands, pour accueillir de nouveaux collaborateurs d’ici à la fin de l’année.

Adaptée, Sabooj, l’est assurément, comme Marie-Hélène, avant tout à son temps…

 

 

Marie Donzel, avec la complicité de Barbara Bod (Direction RH – Diversité & Handicap du Crédit Agricole)

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