Bouchra Aliouat, modèle d’énergie positive

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Portrait

Bouchra Aliouat est Secrétaire Générale de la Fondation KPMG France.

Cette charismatique trentenaire au tempérament résolument communicatif compte parmi les personnes qui assument ce qu’on appelle un « parcours atypique« … C’est que cette baroudeuse dans l’âme, qui foisonne de centres d’intérêts, a fait mille et un boulots (depuis pizzaïola jusqu’à « créa » dans la pub, en passant par vendeuse de prêt-à-porter, femme de chambre, croupière de casino, hôtesse d’accueil dans une émission de télé…) avant d’embrasser sa vocation : oeuvrer à l’intérêt général en faisant de l’entreprise un acteur citoyen légitime et responsable.

 

Portrait d’une femme passionnément curieuse, fondamentalement ouverte sur le monde, résolument inspirante pour toutes et tous celles et ceux qui aspirent à réaliser leurs rêves et entrevoient que le plus sûr chemin pour atteindre les étoiles passe par des voies de traverses.

Toucher du doigt ses rêves…

« La première nuit à New York City, on s’en souvient toute sa vie. » La scène se passe à la fin des années 1990, au Nord de Manhattan : une Française de 21 ans ans, juste débarquée avec son barda, s’allonge sur la couchette un peu « roots » d’une auberge de jeunesse, regarde la nuit américaine par la fenêtre et « touche du doigt son rêve« . Elle se l’est si souvent imaginé, elle l’a tant espéré, depuis si longtemps, ce voyage aux USA, Bouchra, que rien ne pourra ternir son émerveillement ni entamer sa joie.

Ni le décalage horaire, ni le quartier un peu délabré où elle atterrit, quand elle s’était plus volontiers figuré « le Harlem de la série Arnold et Willy » que celui des rues « pas les plus safe » de la grosse pomme. Ni même la perspective un peu vertigineuse de n’avoir en poche qu’un Visa J1, de maigres économies… Et en bouche, l’anglais un peu hasardeux des Français qui ont avalé des listes de verbes irréguliers à l’école mais à qui on a à peine appris à dire « Passez-moi le sel » dans la langue de Shakespeare!

 

Quand ce n’est ni oui ni non, considérer que c’est oui… Et y aller au culot!

Peu importe, Bouchra Aliouat a toujours aimé aller à la rencontre des gens et fait confiance à la vie pour lui offrir des opportunités et à elle-même pour savoir les saisir. Avec son irrésistible accent de little frenchy et un sourire immense en guise de passeport, elle tape aux portes pour demander un petit boulot, interpelle ceux qu’elle croise dans les cafés pour se faire raconter leur histoire et partager la sienne. Elle a alors tôt fait de se trouver des copains parmi un groupe d’étudiants qui lui parlent d’un « plan » : « Va à Los Angeles à cette adresse, demande untel de notre part et on te filera un logement et un travail« .

Ni une ni deux, elle prend son billet pour la Côte Ouest. Débarque à l’adresse donnée : un campus universitaire. Trouve la personne recommandée, responsable du « global stuffing » de la fac, « une sorte d’agence d’interim pour étudiant-es« . Qui l’envoie passer un entretien dans un parc d’attractions. Mission : pizzaïola.

C’est une expérience, soit, mais Bouchra est plutôt venue pour améliorer son niveau d’anglais que pour tartiner de la sauce tomate. Après quelques jours en cuisine, elle demande à son manager de passer à la caisse. Comme il ne lui « répond ni oui ni non, [elle] considère que c’est oui« , elle y va donc « au culot« , s’empare d’un fonds de caisse et se colle derrière le comptoir, à la prise des commandes.

 

Aligner ses envies, ses valeurs et ses compétences 

La voilà enhardie et désormais bien plus à l’aise in english qui, trois mois plus tard, décide d’aller voir du côté de Reno – Nevada comment le rêve américain s’y incarne.

La ville est une « mini Las Vegas« , cité fiévreuse et noctambule, électrisée par les néons polychromes des casinos et le tintement entêtant des machines à sous. Après y avoir occupé un emploi de « housekeeper » dans un grand hôtel, « avec la tenue complète, le tablier et le petit chariot« , elle se fait embaucher au « Circus Circus » où on lui confie la responsabilité d’un stand…

« Une expérience géniale, un peu burlesque, très excitante… Et décisive dans [sa] carrière » qui lui fait prendre conscience qu’aussi vrai qu’elle a envie de faire un « boulot amusant au quotidien« , elle aura besoin de « donner du sens » à son travail, d’y mettre en accord ses compétences, son énergie et ses valeurs. Et si ce n’était pas si incompatible qu’on le dit?

 

Multiplier les expériences pour prendre de l’avance

Les métiers de la comm’ lui semblent répondre à cette ambition. Alors de retour en France, elle passe le concours de l’INSEEC, en vue d’entrer à Sup de Pub. La formation est coûteuse? Bouchra s’est « suffisamment démenée aux USA pour ne pas être effrayée par un crédit« . Elle a pris de l’avance, lors de son expérience américaine : « Quand d’autres ont encore des freins, reculent devant les obstacles, [elle a] appris à oser, sûre qu’on ne perd rien à tenter, puisque que de toute expérience il y a quelque chose à retenir, quelque chose qui enrichit« .

Elle se sait libre et se connait aussi une force de travail redoutable : tandis qu’elle s’investit dans le BDE de l’école et s’inscrit en parallèle à la fac, elle prend un job d’hôtesse… A la Star Academy! Tous les vendredis et samedis soirs, depuis les coulisses, elle voit défiler vedettes adulées et crooners en herbe sur la scène strass et paillettes d’un show télévisuel à mi chemin entre conte de fée et conte cruel. Le dimanche et en soirée, on la retrouve à la bibliothèque, bûcheuse modeste aux lunettes de vue penchées sur les chefs d’oeuvre et la littérature et de la philosophie. Le reste du temps, elle est au coeur battant de la vie associative étudiante, organisant soirées et rencontres culturelles ou sportives, levant des fonds pour des projets collectifs, ambiançant le quotidien de son école…

 

Inspirations pour un modèle de management juste et équilibré

Son CV de débrouillarde assumée aux expériences bigarrées tape dans l’oeil, forcément, de Dina Scherrer, direcrice du développement de J. Walter Thompson bientôt appelée au board de la très tendance agence Australie.

« Je me fous de ton diplôme, Bouchra. C’est bien, tu as été assez déterminée pour finir tes études. Mais ce qui m’intéresse, c’est qu’apparemment, tu n’as peur de rien et que tu t’en sors partout où tu vas« , lui lance cette brillante autodidacte qui, quand on lui parle des codes de l’univers de l’entreprise en général et de la pub en particulier, n’a qu’une idée en tête : les faire voler en éclat pour installer ses propres règles du jeu. « Par exemple, on est au début des années 2000, personne ne parle vraiment d’articulation vie professionnelle/vie privée, encore moins dans le milieu assez désinvolte et un peu macho de la pub, où l’on se plait à commencer bosser quand la nuit tombe. Mais Dina, qui a des enfants, prend ses mercredis, elle refuse de se laisser impressionner par l’idée qu’on devient plus créatif à partir de 18 heures, quand c’est le moment pour elle d’aller chercher les enfants à l’école. Ceux qui veulent travailler avec elle ont intérêt à ne pas jouer les snobs. »

Avec ça, Dina Scherrer fait partie des « managers qui font le pari de la confiance » : elle mise sur Bouchra, avec un savant dosage de bienveillance et d’exigence pour la faire grandir. « Je perçois aujourd’hui l’incroyable chance que j’ai eu de commencer ma carrière avec une personne aussi inspirante et droite » dit-elle aujourd’hui, en forme d’hommage à la « mentor » de ses débuts, qu’elle tient toujours pour un « modèle » inspirant dans son quotidien de manager.

 

Où les chemins de la curiosité mènent à KPMG…

Les aventures ultérieures de Bouchra dans le monde de la pub sont cependant plus frustrantes. Elle comprend que Dina est un peu « un OVNI » dans ce milieu et que les valeurs (de conviction, d’équilibre, de respect) qu’elle y insuffle n’y sont pas partagées par tous.Et puis, c’est « CDD sur CDD, ça n’aide pas à se projeter, surtout quand on a un crédit à rembourser« .

Mais l’univers de la comm’ a ceci d’exceptionnel qu’il favorise « l’ouverture d’esprit, la socialisation, l’adaptation » et que c’est un « incroyable accélérateur de réseau« . Aussi, quand une connaissance professionnelle fait savoir à Bouchra qu’un poste est ouvert chez KPMG pour prendre en charge l’animation d’un partenariat avec Enactus, Bouchra qui voit « de loin ce qu’est KPMG » est surtout curieuse de comprendre ce qu’un géant de l’audit et de l’expertise-comptable a à voir et à faire avec une ONG pionnière dans ce qui ne porte pas encore le nom de « social business« .

Elle est « la dernière à passer l’entretien« , après « tous les diplômés de Sciences Po, ceux qui ont un DEA d’économie, ceux qui ont dix ans de plus [qu’elle] et déjà bossé dans des ONG. » Le jury, composé de Denis Neveux et deux américains « à qui le nom des grandes écoles françaises ne dit rien » mais qui voient très concrètement de quoi est capable une personne de 26 ans qui a déjà sur son CV une dizaine d’expériences professionnelles aussi variées que les siennes, a un coup de coeur pour elle.

Banco! Elle décroche le poste qui consistera à déployer en France un programme américain d’aide aux communauté en difficultés par la promotion de l’entrepreneuriat, au travers de l’animation d’un réseau d’étudiant-es bénévoles.

 

A la tête d’Enactus France

La voilà donc à la tête d’Enactus France, s’en allant faire « la tournée des universités pour recruter des étudiants, leur expliquer ce qu’est l’entrepreneuriat social, en quoi c’est une expérience qu’ils pourront valoriser autant voire davantage qu’un stage classique« .

Elle monte des événements, bâtit des séminaires de formation, planifie des road shows, conçoit et anime des ateliers pratiques de développement des compétences et engage les jeunes dans une grande compétition internationale de projets socialement innovants. En parallèle, elle rencontre les dirigeant-es français et les représentant-es des pouvoirs publics pour les impliquer dans ce mouvement porteur. On la retrouve aussi aux quatre coins du monde, sur le terrain, avec les acteurs du « social business » partout où ils oeuvrent à changer la donne.

Le job, comme taillé sur mesure pour cette enthousiaste multitâches, est aussi l’occasion de se trouver un nouveau « parrain« , en la personne de Denis Neveux. Ce manager de haut vol qui « a les vraies qualités d’un leader » lui apprend à cultiver ses points forts et à travailler ses points d’effort. Lui-même excellent rédacteur, il lui enseigne notamment l’art d’écrire qui exige « de se lâcher dans l’exigence« . Ce pourrait être là le leitmotiv d’une vision globale du développement de soi, quand il faut conjuguer l’audace avec la rigueur, la créativité avec la méthode, la prise de risque avec la conscience d’être impactant. Tout cela « forge la manager juste » qu’elle veut être.

 

Une Fondation en cours de création… 

Et ça tombe bien, car KPMG a précisément de nouvelles ambitions pour elle. Jean-Luc Decornoy lui parle de l’intention de la direction générale de créer une Fondation dédiée à l’éducation et l’insertion des jeunes.

L’idée a émergé à la suite d’une série de rencontres entre Jean-Luc Decornoy et Jacky Lintignat avec des profs, des proviseurs et des élu-es de la Région Île de France. Parmi ces dernier-es, une députée, ex-ministre de l’emploi et de la solidarité, réputée autant pour son sens de l’innovation que pour son franc-parler et sa ténacité. Elisabeth Guigou interpelle directement les dirigeants de KPMG avec une question simple : « Nos lycéens des quartiers dits sensibles ont du mal à trouver des stages. Vous leur donneriez leur chance?« . Oui, oui, bien sûr… Guigou les prend au mot, organisant dans la foulée une réunion à l’Assemblée nationale avec sept proviseurs prêts à effacer les lignes blanches qui séparent symboliquement le monde de l’éducation de celui de l’entreprise pour le bénéfice des jeunes qu’ils ont sous leur responsabilité.

Epatés par l’énergie, l’ouverture, la détermination qui s’expriment lors de cet échange, Jean-Luc Decornoy et Jacky Lintignat décident qu’ils peuvent proposer des stages, oui, mais faire bien plus encore. Un « programme lycée » se dessine, qui deviendra le premier pilier de la Fondation KPMG, officiellement créée en 2007 et dont Bouchra Aliouat, à trente ans, prend la tête.

 

Les trois piliers de la Fondation : stimuler l’ambition des jeunes, accompagner le développement de l’entrepreneuriat social et soutenir les actions citoyennes des collaboratrices et collaborateurs de KPMG

D’abord seule à la barre mais activement soutenue par le top management en général et Jacky Lintignat (encore un « parrain aux qualités inestimables« ) en particulier, puis entourée d’ « une équipe de choc, 100% féminine« , Bouchra donne corps et ampleur à ce « programme lycée » voué à stimuler des vocations professionnelles ambitieuses chez ceux à qui l’on ne dit pas assez souvent, voire presque jamais, qu’ils ont de la valeur et du talent. La Fondation embarque les collaborateurs de KPMG dans un dispositif de mentorat de jeunes, initie des journées de découverte de l’entreprise, apporte soutien matériel et mécénat de compétences à des projets pédagogiques et culturels porteurs pour le développement personnel des lycéens.

Bouchra et son équipe développent aussi les activités de la Fondation, en cohérence avec l’intention fondatrice d’insertion et en bénéficiant de l’aide active des services et métiers de KPMG : un « programme entrepreneuriat«  voit le jour, pour promouvoir la création d’entreprise et le social business dans les quartiers, en partenariat avec des acteurs de premier plan tels que l’ADIE et l’ADIVE…

Puis, parce qu’au sein même de l’entreprise, la Fondation KPMG « parle, suscite l’envie de s’engager, soulève des énergies étonnantes et révèle que de nombreux-ses collaborateurs et collaboratrices sont des citoyen-nes très engagé-es« , un troisième pilier se met en place, pour soutenir l’engagement associatif de 450 salarié-es au travers de coups de pouce et coups de projecteurs aux assos qui leur tiennent à coeur et aux projets d’intérêt général dans lesquels ils investissent leur temps libre.

 

Un « laboratoire d’innovation sociale » qui diffuse de nouvelles idées dans toute l’entreprise 

Comme l’ont voulu ses initiateurs et telle que la fait croître Bouchra Aliouat, la Fondation, qui reçoit l’appui spontané et indispensable des salarié-es, des fonctions supports, des RH, des équipes métiers et de nombreux partenaires, résonne dans toutes les dimensions de l’activité et de la vie de KPMG : elle fait écho à la nécessité stratégique d’installer une présence utile dans l’écosystème des territoires, vient s’inscrire en cohérence avec la politique d’émergence et de déploiement des talents pilotée par les RH, répond à la demande de sens des collaborateurs et collaboratrices, stimule l’esprit d’initiative, de responsabilité et de curiosité de chacun-e…

Elle « devient un véritable laboratoire d’innovation sociale » qui diffuse de nouvelles idées, expérimente de nouvelles façons de faire, valorise des qualités autres que celles auquel le monde traditionnel du travail fait appel, met en lumière des personnalités ordinairement discrètes qui dévoilent de vraies facettes de leaders dans des contextes différents où ils peuvent jouer un rôle auquel ne sont pas habitués les autres…

 

« Une fondation, ce n’est pas la stratégie du coeur ; c’est au coeur de la stratégie« 

A tous ces titres, la Fondation apporte au KPMG autant que ce que KPMG lui apporte. Et après? Est-ce un problème? Pas pour Bouchra qui voudrait qu’on « arrête de dire qu’une Fondation, c’est la stratégie du coeur. Car une Fondation, c’est au coeur de la stratégie« .

Ardente promotrice, depuis toujours, de l’élargissement des horizons et de la fertilisation croisée des cultures, elle conçoit la Fondation comme un « potentialiseur d’énergie positive« , car de « l’énergie, il y en a, à revendre, partout. Il faut seulement aller la chercher chez celles et ceux qui l’ont et les mettre en situation de pouvoir en faire bénéficier les autres.« .

« Quand on a à donner, il n’y a pas plus frustrant que de ne pas trouver à qui donner. Surtout quand donner, c’est en soi une voie d’empowerment. C’est vrai pour les collaborateurs de KPMG qui désirent sincèrement faire profiter des jeunes de leur expérience, c’est vrai aussi pour les jeunes du programme lycée qui ont tant à nous apprendre pourvu qu’on soit prêt à les entendre, les accueillir, les respecter ; et tout particulièrement pour les jeunes filles, dit-elle encore, qui m’épatent. Ces adolescentes en ont vraiment sous le pied, j’ai envie qu’elles osent appuyer sur la pédale d’accélération, qu’elles n’aient pas peur, qu’elles ne se retiennent pas d’oser« .

Alors, pour conforter et vivifier cette envie d’oser chez les jeunes femmes et leur donner confiance en leur potentiel, Bouchra a aussi décidé d’employer les heures que lui laisse sa vie de femme très active pour s’investir à titre personnel aux côtés d’Athina Marmorat, dans l’association Rêv’Elles qui entend proposer des rôles-modèles accessibles aux jeunes femmes des quartiers défavorisés pour les convaincre qu’elles aussi, elles peuvent, à leur tour, comme elle, « toucher du doigt leurs rêves« .

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE, avec la complicité de Géraldine Ferry (KPMG)

 

 

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