Rencontre avec Catherine Le Drogo-Ferrari, directrice Marketing Produits Business chez Orange

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« Une carrière, ce n’est pas une trajectoire rectiligne, ni une courbe de Gauss, elle s’enrichit d’expériences diversifiées autour de motivations constantes « 

Technophile de la première heure, Catherine Le Drogo-Ferrari, aujourd’hui Directrice Marketing Produits Business chez Orange, conduit depuis 23 ans une carrière remarquable dans l’univers des Télécom. Femme de vision et d’innovation, elle a accepté de nous raconter son parcours, au cœur de la fascinante histoire récente des révolutions de son secteur.

Au fil du récit de ses aventures professionnelles, elle livre un point de vue singulier sur autant de notions en mouvement que sont l’innovation, la diversité ou la « carrière »…

Rencontre avec une femme de valeur(s), optimiste et résolument ouverte d’esprit. Une femme hautement inspirante.

 

Eve le blog : Bonjour Catherine, le blog EVE veut donner la parole à des modèles inspirants de réussite, des personnes qui mènent une carrière remarquable en restant fidèles à elles-mêmes. C’est en ce sens que nous venons vous demander de nous raconter votre parcours…

Catherine Le Drogo-Ferrari : Je ne sais pas si je suis un modèle… Mais il est vrai que tout au long de mon parcours, je suis restée fidèle à mes envies, à l’écoute de ce qui me fait vibrer.

Eve le blog : Quelles envies, quelles « vibrations » vous ont poussée vers le secteur des Télécom, dès le début des années 1990 ?

Catherine Le Drogo-Ferrari : J’ai toujours aimé la technologie. Après mon diplôme d’école de commerce, j’ai été recrutée par une SSII, nous étions au début des années 90, on commençait à parler des technologies du numérique, j’ai souhaité intégrer le département de R&D multimédia de Télésystèmes, pour travailler sur des télé-services à vocation éducative (télé-enseignement) et culturelle (gestion de bases de données de musées).

Vous voyez, la question des contenus s’est posée très tôt dans mon parcours.

La question de la place des femmes dans ce milieu aussi, d’ailleurs! Je me souviens, dans ce premier job, d’un manager me disant « Bon Catherine, tu transcris ce que les garçons disent« . Pour lui, j’étais copiste! Les personnes à qui je m’en suis ouverte m’ont répondu « C’est comme ça dans cet univers, il faudra que tu t’y habitues!« . J’ai refusé de m’y habituer!

Eve le blog : Pas si simple de refuser de « s’habituer » à certains codes d’un milieu quand on veut y faire sa place…

Catherine Le Drogo-Ferrari : La compétence et le travail bien sûr, permettent de garder le cap. Mais je crois que la clé, c’est de préserver ce que l’on est, tout en valorisant ce que l’on a, ses atouts.

Pour ma part, ce que je suis, c’est avant tout une grande « curieuse culturelle« . Le fait de démarrer ma carrière dans un environnement international avec des interlocuteurs de différentes cultures m’a beaucoup apporté et m’a donné le sens de l’écoute pour s’adapter à de nouveaux environnements. Apres la R&D et des projets européens gagnés sur appels d’offre, j’ai rejoint en 1995 France Télecom Mobiles International pour participer aux réponses pour l’attribution de fréquences GSM à l’international.

L’année suivante, à 29 ans, je me suis retrouvée directrice marketing et communication de la filiale roumaine, un poste important par le budget à gérer (second budget de communication du pays après Coca-Cola) et les missions (paramétrer et lancer les offres, former les chefs de produits, qualifier les points de vente, support géomarketing aux équipes de design réseau, relations avec les instances de régulation…).

Ensuite, j’ai été en charge du département marketing pour gérer le business development et lancer les offres mobiles dans les pays où une licence aura été attribuée à France Telecom (Pays-bas, Danemark, Egypte, Pologne, …). Je retiens de cette époque qu’on peut lancer une belle entreprise en quelques mois, cette expérience sera précieuse pour la suite.

Eve le blog : En 2000, vous rejoignez Wanadoo…

CatherineLe Drogo-Ferrari : A cette époque de ma vie, j’ai besoin d’un poste un peu plus sédentaire : je viens d’avoir ma première fille et je ne peux plus passer tout mon temps en voyage (rire).

Mais le timing est excellent : Internet arrive au grand public et j’ai clairement envie de faire partie de cette aventure. On pressent déjà que l’avenir sera au web nomade. Or, je suis justement bilingue mobile/internet : on me confie la création de l’activité « Wanadoo mobile » puis la direction des opérations de l’unité « services payants » du Portail. Dans un environnement Portail tourné exclusivement vers le marché de la publicité où le client est l’annonceur, je propose un modèle complémentaire générateur de valeur sur Internet, avec une offre de services de contenus destinée directement au consommateur, qui est notre premier client avant d’être un produit d’audience.

Du point de vue managérial, c’est le modèle de l’intrapreneuriat qui s’impose : si au sein de France Telecom on sait monter un operateur en 6 mois, on doit savoir monter une activité, quelle qu’elle soit en 6 mois. Avec une équipe de 10 personnes chez Wanadoo, nous allons fonctionner en start-up avec un P&L en propre, la culture de l’expérimentation, toute la vitalité, et l’angoisse aussi si on ne décolle pas, que ça implique.

Eve le blog : Après trois années à développer les activités de service en ligne du Portail Wanadoo, vous décidez de revenir au Mobile…

Catherine Le Drogo-Ferrari : Je fais partie de ceux qui, au début des années 2000 pensent que, bientôt, on commandera son billet de train sur son téléphone, qu’on pourra aussi y écouter sa musique, y regarder la télé ou encore gérer ses mails… Cela signifie qu’il faut entrer en contact avec les constructeurs de mobiles, les grands acteurs d’Internet (Yahoo, AOL …) et les producteurs/diffuseurs de contenus (chaînes de télé…).

A la tête d’un service « grands comptes et activités publicitaires » puis en charge de la ligne de produits Vidéo/TV, je fais rapidement le constat que le WAP n’est pas à la hauteur des attentes de nos interlocuteurs. L’arrivée de la 3G et de mobiles plus performants va permettre une promesse de service plus avancée. Les grandes chaines de TV françaises nous suivent pour le lancement de la 3G fin 2014 et Orange est le premier operateur au monde à lancer un bouquet de chaines TV sur un réseau 3G ! La télé mobile compte parmi les innovations majeures portées par Orange. Nous avions l’opportunité d’illustrer une technologie en rupture avec un service connu de tous, c’est à la fois une prouesse technique et un positionnement novateur, mettant en avant les usages permis par le réseau plutôt que le réseau lui-même.

Mais en matière d’innovation, il faut aussi, sinon être modeste, en tout cas se souvenir que l’on est innovant parce que les autres le sont aussi : nous devons tous énormément à Apple, par exemple, qui, avec l’i-phone, nous a fait faire un bond en avant extraordinaire dans l’expérience client depuis un mobile et a fortement contribué au décollage de l’internet mobile en rendant le service simple à utiliser, en déclinant aussi un écosystème éprouvé par i-tunes avec l’Appstore destiné aux applications. Apple nous démontre que l’excellence d’exécution et la mise en place d’un écosystème favorisant les initiatives extérieures sont les maitres-mots d’une innovation réussie.

Eve le blog : Peut-on filer cette métaphore écosystémique de l’innovation dans le business à l’organisation des entreprises ? En d’autres termes, diriez-vous qu’aussi vrai que dans un secteur innovant, il faut des acteurs multiples et d’horizons divers sur le marché, il faut aussi des professionnels d’origine et de culture variées au sein des entreprises de ce marché ?

Catherine Le Drogo-Ferrari : Ca me parait une évidence. Pour son avenir, Orange se doit de s’adapter aux ruptures du marché qui viennent à la fois de ses concurrents traditionnels qui poussent les prix de l’accès vers le bas avec le « low cost » et aussi des acteurs de l’internet qui prennent de la valeur sur les services. Les frontières s’estompent entre fixe et mobile, telecom et internet, cela doit se traduire de facto au niveau des équipes.

Je crois que pour comprendre cette attention portée à la diversité des équipes au sein d’Orange, il faut aussi évoquer l’importance que revêt pour notre activité « l’expérience client ». Nous devons être proches de nos consommateurs finaux, nous devons être « lisibles » pour eux, nous devons comprendre leurs problématiques et intégrer leurs façons de s’approprier les innovations qui ne sont pas toujours celles que nous avions imaginées. Alors, oui, plus nous sommes différents au sein des équipes, plus nous sommes représentatifs, compréhensifs des « signaux faibles » et agiles.

Eve le blog : Aujourd’hui, nous vous rencontrons au technocentre du groupe Orange. Quelles fonctions y exercez-vous?

Catherine Le Drogo-Ferrari : J’ai rejoint le technocentre en 2011, à un poste de directrice des partenariats mobiles, des grands acteurs comme Facebook, Google aux start-up Lookout, Family&Co….

Et depuis avril dernier, je dirige la division « Marketing Produits Business » avec pour mission de développer des solutions Télécom innovantes pour les professionnels. En livrant des produits tels que les Business apps, les livebox pro, le M2M qui comprend désormais l’internet des objets, les services de messagerie, cette entité a la formidable opportunité de jouer sur un large spectre de métiers et compétences en alliant les domaines telco, internet et SSII. C’est passionnant de faire partie d’une telle aventure…

Eve le blog : Quel regard portez-vous sur votre « carrière », après 23 ans dans l’univers des Télécom?

Catherine Le Drogo-Ferrari : J’ai été marquée en début de carrière, par les propos d’un consultant, qui, dans le cadre d’une formation des nouvelles recrues, nous enseignait qu’une carrière, c’est une courbe de Gauss : on progresse puis à la quarantaine on décline en douceur vers la retraite. Moi, je n’ai pas le sentiment de suivre une courbe de Gauss, mais celui de vivre dans un monde qui bouge très vite et d’y prendre part pleinement.

J’ai toujours aimé être au cœur des activités qui démarrent et qui nécessitent de s’adapter, de se renouveler, voire obligent parfois carrément à changer son mode de raisonnement. Il va de soi que quand on est amené à traiter avec Facebook, on n’arrive pas avec un plan quinquennal sur un Powerpoint! C’est un exemple un peu trivial, mais qui dit bien que l’on ne peut se projeter dans le présent comme dans l’avenir qu’en tenant compte de réalités imprévues, qu’en se rendant disponible pour les « chocs » (technologiques, méthodologiques, culturels…). Il faut développer des capacités de connectivité à l’environnement, qui bouge tres vite dans les technologies de l’information.

Aussi, il me semble que la vie est plus affaire d’opportunités à saisir en gardant toujours à l’esprit ce qui fait du sens pour soi et qui donne envie d’avancer. Je n’ai pas a proprement parler de plan de carrière : je veux seulement, depuis toujours, être là où ça va se passer avec la motivation constante que cela rende vraiment service.

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Eve le blog : Alors, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui veulent, comme vous, être là où ça va se passer?

Catherine Le Drogo-Ferrari : De rester ouvert d’esprit, bien sûr. Et d’être dans l’énergie positive. Je crois qu’il faut être optimiste, fonctionner à l’envie et parfois à l’intuition, en cherchant toujours à donner du sens à ce que l’on fait. Nous sommes impactants dans la vie des gens, dans les Télécom c’est encore plus flagrant qu’ailleurs, il faut s’en rappeler pour pouvoir tout oser en conscience de l’impact de nos actions.

Propos recueillis par Marie Donzel, avec la complicité de Patricia Maynial, pour le blog EVE

 

 

Lire aussi :

 

– Notre interview d’Emmanuelle Jardat, directrice de l’innovation et de la RSE pour la direction « entreprises France » d’Orange.

– Notre entretien avec Laurent Depond, directeur de la diversité pour le groupe Orange

– Notre article consacré au Challenge Mixité Orange Business Service

– Notre interview d’isabelle Denervaud, Partner Telecom Internet et Media chez Sia Partners et membre de la commission « femmes et digital » de l’Institut G9+