Engagement des hommes: « La mixité, c’est le contraire d’un « truc de loser ». C’est un acte de leadership! »

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Rencontre avec Marie-Christine Mahéas, directrice de l’ouvrage Mixité, quand les hommes s’engagent – Explications, propositions, actions

 

 

Le blog EVE s’intéresse tout particulièrement à la question de l’engagement des hommes en faveur de l’égalité professionnelle. Y ont-ils intérêt? Et pourquoi? D’ailleurs, ont-ils seulement le choix? Et s’ils ne l’ont pas tout à fait, comment les rendre acteurs d’une inéluctable évolution socio-économique sans relancer la « guerre des sexes »?

Autant de questions, parmi d’autres encore, sur lesquelles le réseau PWN s’est penché… Jusqu’à produire un ouvrage collaboratif complet, qui vient de paraître aux éditions Eyrolles.

Donnant la parole à des figures repérées de l’expertise sur l’égalité pro (de Jérôme Ballarin à Avivah Wittenberg-Cox, en passant par Armelle Carminatti, Laurent Depond, François Fatoux, Antoine de Gabrielli, Jean-Michel Monnot, Valérie Rocoplan, Patrick Scharnitzky ou Catherine Vidal), cet ouvrage mariant les qualités du guide des bonnes pratiques et celles de l’essai agitateur pour les esprits est dirigée par Marie-Christine Mahéas, brillante femme d’affaires franco-canadienne et pilier de PWN.

Rencontre.

 

  

 

Eve le blog : Bonjour Marie-Christine. Vous êtes une brillante business woman, très repérée par les médias pour votre implication dans le mouvement de l’économie positive… Vous êtes également connue pour votre engagement en faveur de la mixité professionnelle. A quand remonte votre intérêt pour cette question?

 

Marie-Christine Mahéas : Je suis ingénieure de formation et je mène depuis 20 ans une carrière heureuse dans le monde de l’aérien, du voyage et du conseil. Je n’ai pas eu de traumatisme personnel, je ne me suis pas sentie discriminée en tant que femme et j’ai toujours cherché les environnements mixtes, internationaux et ouverts aux différences d’origines, de points de vue, de cultures. Ayant vécu en Amérique du Nord, j’avais à la fois une certaine habitude de voir les sujets de diversité et de mixité à l’agenda et une vision un peu négative de certains mouvements féministes très radicaux. Je n’avais donc pas vraiment de dispositions pour « militer » en faveur de l’égalité.

Aussi, quand à mon retour en France, il y a une quinzaine d’années, me rapprochant de femmes de mon réseau personnel qui s’étaient engagées dans PWN, j’ai eu une certaine réticence à l’idée d’entrer dans un network féminin. J’y suis allée un peu à reculons, je l’admets, mais j’ai ensuite fait l’expérience du grand confort que c’est de pouvoir échanger dans un cadre très bienveillant, avec des personnes qui partagent un vécu commun, sans devoir se défendre incessamment d’être féministe ou pas féministe, quand on aborde le sujet des inégalités. Pouvoir aborder cette réalité des freins à la progression professionnelle des femmes sans déni et sans esprit vindicatif, mais avec lucidité et dans un esprit volontaire, m’est apparu comme la voie qui me permettrait précisément de m’engager officiellement en faveur de la mixité.

 

 

Eve le blog : Votre positionnement sur l’égalité vous prédisposait donc à penser la question de l’engagement des hommes…

Marie-Christine Mahéas : Je ne peux pas concevoir que l’égalité soit une seule affaire de femmes. Ca concerne tout le monde, évidemment. Et ça interroge bien sûr les hommes, qui détiennent encore 80% à 90% des positions de pouvoir (ComEx) et que la montée en puissance des femmes challenge. Je n’ai aucune envie de relancer « la guerre des sexes », alors dans mon esprit, la bonne attitude à avoir, c’est d’embarquer les hommes dans l’aventure de l’égalité… Ce qui a aussi des vertus pragmatiques : comme ce sont eux qui sont majoritairement aux postes de décision, c’est plutôt malin de les convaincre plutôt que de les braquer.

Ce que j’avais cependant constaté, dès l’arrivée de cette question de l’engagement des hommes à la table des discussions, c’est qu’on se heurtait à deux grands obstacles : le premier, c’est une méconnaissance de la situation des femmes (disons-le tout net, la plupart des hommes sous-estiment l’ampleur des inégalités et minimisent leurs effets sur la vie des femmes de leur entourage comme sur leur propre existence) ; le second c’est que, malgré la bonne volonté de beaucoup d’hommes prêts à entendre la vérité sur les inégalités et prêts à s’impliquer, ils avaient eux-mêmes des problèmes de positionnement dans cet engagement.

 

 

Eve le blog : Pourquoi serait-ce difficile pour un homme de prendre fait et cause pour l’égalité?

Marie-Christine Mahéas : Une étude Catalyst de 2009 décrit très bien les trois principales difficultés qui freinent l’engagement des hommes : la peur (du regard de leurs pairs, de dire des bêtises, de se faire tacler par les femmes), l’ignorance (de la réalité des situations et des subtilités du sujet) et l’apathie (c’est le sentiment que puisqu’on en parle beaucoup, ça doit forcément avancer et que ça se fera en son temps, pourvu qu’on soit un peu patient-es).

A partir de là, on identifie des leviers pour faciliter l’engagement des hommes. Contre la peur, on ouvre la discussion avec bienveillance mais sans complaisance, on libère la parole, on invite au débat en permettant à chacun-e de participer quel que soit son niveau initial de culture sur l’égalité. Contre l’ignorance, on fournit de la matière : des chiffres, des concepts, des idées convaincantes et appropriablesContre l’apathie, on propose des actions réalisables, on partage les bonnes pratiques, on encourage les initiatives

 

 

Eve le blog : Vous décrivez là l’intention éditoriale de Mixité, quand les hommes s’engagent – Explications, propositions, actions, récemment paru aux éditions Eyrolles?

Marie-Christine Mahéas : Ce livre est effectivement conçu comme un outil à disposition des hommes que le sujet intéresse, pour commencer, et qui voudraient ensuite s’engager.

C’est un livre qui parle aux hommes, parce qu’il tient compte de ce qu’est la masculinité dans l’environnement socio-culturel. Nous ne faisons pas comme si les hommes étaient insensibles à tout ce qui les valorise traditionnellement, nous ne leur demandons pas non plus de faire table rase du jour au lendemain de la façon dont ils se sont construits ; mais nous leur montrons que cette masculinité peut être aussi emprisonnante pour eux que la féminité l’est parfois pour les femmes.

Nous leur livrons le business case de la mixité : ce sont des exigences, des changements à accepter, des objectifs à tenir mais il y a aussi la colonne des avantages, où l’on retrouve un meilleur équilibre de vie, des relations personnelles et professionnelles plus enrichissantes avec les femmes comme avec les autres hommes et tout un horizon stimulant d’innovations, de transformations des façons de faire, de regard neuf sur le monde…

 

 

Eve le blog : Le livre que vous dirigez a aussi le mérite d’être très pratique. On peut en quelque sorte tout de suite « se mettre à la mixité » quand on vient de le refermer…

Marie-Christine Mahéas : Le livre a effectivement une forte dimension « practices sharing ». Nous présentons de nombreuses initiatives, nous portons l’accent sur celles qui marchent, nous soulignons des points de vigilance sur celles qui sont possiblement contre-productives…

C’est aussi un livre qui a vocation à être inspirant : nous avons demandé à douze grands patrons de témoigner de leur propre engagement pour la mixité. Je crois que présenter des figures exemplaires, qui ont un parcours professionnel remarquable et de grandes réussites économiques à leur actif, c’est dire aux hommes que l’égalité, c’est tout le contraire d’un « truc de loser »! C’est précisément un acte de leadership. Nos grands témoins sont des « champions », au sens anglo-saxon du terme, ce sont de vraies figures modèles qui donnent envie de porter avec fierté le maillot de l’égalité.

 

 

Eve le blog : Pensez-vous justement que le leader de demain devra forcément être un bon manager de la mixité?

Marie-Christine Mahéas : Tout nous porte à penser que le modèle de leadership du futur sera centré autour des compétences relationnelles, de la capacité à entendre les signaux faibles, de la compréhension des enjeux sociétaux, de l’agilité dans les interactions, de l’art de stimuler l’engagement et la créativité des collaboratrices et collaborateurs… Alors oui, dans ce contexte, savoir manager la mixité sera une corde indispensable à l’arc du leader de demain.

 

 

Eve le blog : Est-ce à dire que derrière l’égalité femmes/hommes, il y a tout le vaste champ de l’innovation sociale…

Marie-Christine Mahéas : Sans conteste, la mixité est un facteur de progrès économique et social. C’est aussi, bien sûr, un vrai booster pour l’innovation : ce qu’il y a derrière, c’est de nouvelles formes d’organisation, de management, de légitimités, de façons de collaborer et donc aussi de concevoir, de produire et de communiquer.

L’égalité femmes/hommes, c’est à la fois une voie inéluctable et de grandes promesses de changement.

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE, avec la complicité de Thévi de Coninck (Agence Harp)

 

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