Il faut donner de l’ambition à l’entrepreneuriat au féminin!

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Rencontre avec Nathalie Cariou, experte en liberté professionnelle et financière, fondatrice des Leadeuses du web

 

 

 

Nathalie Cariou accompagne des entrepreneur-es dans leurs démarches de création et développement. Experte des questions financières, elle apprend aux personnes à gagner de l’argent… Et à l’utiliser! Car, il se pourrait bien que notre éducation fausse en large partie notre vision de l’argent et restreigne, de ce fait, nos capacités à en faire un usage libre et épanouissant.

Nous l’avons rencontrée pour parler de cela… Et aussi des Leadeuses du Web, le réseau qu’elle a fondée pour donner encore plus d’élan aux ambitions des femmes.

 

 

 

 

Eve le blog : Bonjour Nathalie… Vous faites un métier qui porte l’inspirant titre d’ « experte en liberté professionnelle et financière ». Qu’est-ce que cela recouvre exactement?

Nathalie Cariou : Je me définis aussi comme « coach en intelligence financière ». Mon rôle est d’aider les entrepreneur-es à construire leur business, en leur apprenant à gagner de l’argent, et pour cela, à penser l’argent autrement. J’interviens notamment auprès de femmes entrepreneures.

 

 

Eve le blog : Pourquoi tout particulièrement auprès des femmes? Ont-elles plus de difficultés que les hommes à gagner de l’argent?

Nathalie Cariou : Les femmes n’ont a priori pas moins d’atouts que les hommes pour gagner de l’argent. Il n’y a pas de gènes féminins ou masculins de la capacité à gagner de l’argent ou à entreprendre.

Mais de la même façon que l’on constate un plafond de verre dans l’accès aux responsabilités pour celles qui sont salarié-es, on observe des plafonds de verre chez les cheffes d’entreprise. Dans l’écosystème entrepreneurial, on trouve une multitude de petites, voire très petites entreprises féminines, mais plus le chiffre d’affaires monte, moins les femmes sont représentées.

 

 

Eve le blog : A quoi cela tient-il? Les femmes entrepreneures ont-elles moins d’ambition que les hommes entrepreneurs?

Nathalie Cariou : On dit souvent des femmes qu’elles ont une moindre appétence à la prise de risque, qu’elles sont plus rétives à exprimer leur ambition, que leur audace est bridée par toutes sortes de complexe (d‘imposture, de la bonne élève…). Il y a du vrai là-dedans, et ce sont nos cultures stéréotypées qui sont à faire évoluer, mais moi qui travaille au quotidien avec des femmes entrepreneures, je peux vous assurer que beaucoup ont déjà fait sauter pas mal de ces freins, ne serait-ce qu’en se lançant dans la création d’entreprise.

Ce qui ralentit la progression des femmes entrepreneures, ce n’est pas le défaut d’envie de créer, ni une moindre capacité d’innovation ou une insuffisante ambition, c’est selon moi, le rapport des femmes à l’argent et le rapport de la société à l’égard de l’argent des femmes. Les deux vont d’ailleurs ensemble.

 

 

Eve le blog : Qu’est-ce qui « fait problème » avec l’argent des femmes?

Nathalie Cariou : Le fait que la société leur explique que l’argent, ce n’est pas leur problème! C’est un peu direct comme façon de le dire, mais il faut bien sortir du déni.

L’histoire de l’argent des femmes en tant que ressource gérée de façon indépendante par elles-mêmes est une histoire courte (ndlr : voir chronologie en fin d’article). Il en reste, dans l’imaginaire collectif, une figuration de l’interlocuteur financier en personnage quasi-exclusivement masculin : le banquier est un homme qui parle à un homme, le conseiller en patrimoine est un homme qui parle à un homme, l’agent immobilier, le notaire idem… Ce sont des réminiscences du siècle dernier, qui persistent dans les mentalités sans que ce soit d’ailleurs toujours une réalité aujourd’hui (ndlr : les femmes comptent aujourd’hui pour 56% des effectifs* et 47%** de l’encadrement du secteur bancaire).

Mais je pense que fondamentalement, la question de l’argent est une question de regard sur l’argent, plus encore que ça, d’acceptation de l’argent. L’argent a une puissance en soi, c’est une énergie. Cela peut être intimidant pour tout le monde, mais ça l’est forcément plus pour les personnes à qui l’on a dit, subrepticement, depuis toujours « Ne t’en approche pas! Tu n’es pas assez fort-e pour faire face à ce que l’argent peut provoquer et qui pourrait te dépasser!« .

 

 

Eve le blog : Laissez-vous entendre que les femmes auraient peur de gagner trop d’argent?

Nathalie Cariou : L’argent fait l’objet de beaucoup de fantasmes : la peur de céder à ses sirènes, d’en vouloir toujours plus, d’y perdre le contact avec la réalité, de s’égarer loin de sa voie, de renoncer à son authenticité, de sacrifier ses valeurs

La légende triste que l’on nous raconte, c’est celle du riche pourri par l’argent, dont la vie n’a plus de sens, plus d’autre raison que d’accumuler toujours davantage, à n’importe quel prix et sans scrupules, jusqu’à y laisser son humanité. Et plus les personnes attachées aux valeurs humaines se tiennent éloignées de l’argent, plus elles laissent de la place à celles qui vont effectivement conforter cette vision détestable de l’argent. La fable devient une réalité observable, rendant encore plus difficile d’affirmer qu’on veut gagner de l’argent.

Cette histoire d’argent démoniaque qui ruine le sens, les femmes la rejettent encore plus que les hommes. Elles sont très rares à assumer le fait de créer une entreprise pour gagner de l’argent… Elles disent même souvent que leur objectif, pour commencer, c’est de ne pas en perdre. Ce qui est d’ailleurs aussi un frein à l’entrepreneuriat : apprendre à perdre de l’argent, sans que ce soit la fin de tout (car cela arrive, c’est contenu dans l’idée même de « prise de risque »), c’est presqu’aussi important que de savoir en gagner. L’argent pose deux questions fondamentales : comment en obtenir et comment l’utiliser.

 

 

Eve le blog : Arrêtons-nous sur la première question « comment obtenir de l’argent »… La réponse semble simple : n’est-ce pas en travaillant que l’on obtient le plus sûrement de l’argent?

Nathalie Cariou : C’est effectivement ce que l’on nous a appris : le travail comme moyen prioritaire, sinon comme seul moyen, de gagner de l’argent, et cela en matérialisant notamment le travail sous la forme du temps de travail. Ca nous va bien, parce que ça nous parait « juste ». Mais c’est une fiction et une fiction frustrante, parce que très vite, on se rend compte que même dans les environnements les plus cadrés, avec des grilles de rémunération qui prétendent fixer la valeur du travail de chacun-e sur des critères soi disants objectifs, il y a des inégalités et des questions non résolues, car insolubles, sur le mérite et la valeur du travail des un-es et des autres. Tout le monde a fait l’expérience de la personne « injustement » mieux payée que soi : on trouve ça moralement scandaleux, en oubliant que l’argent et la morale sont deux planètes différentes.

Ce que l’argent et la morale ont en commun, cependant, c’est la notion de valeur. Celle-ci s’exprime certes dans la façon dont on gagne de l’argent, quand il est important, bien sûr, d’avoir une activité qui enrichit pas seulement son compte en banque mais aussi sa personne ; mais il est tout aussi important de trouver le sens dans la façon dont on utilise son argent.

 

 

Eve le blog : Pourtant, là encore, les choses paraissent simples : on utilise son argent avant tout pour subvenir à ses besoins…

Nathalie Cariou : Ce qu’on nous apprend, dès l’enfance, c’est à trouver un travail qui nous permettra de « gagner notre vie », puis d’ assurer notre « niveau de vie ». C’est effectivement le premier motif d’emploi de l’argent, qui résonne en creux avec une peur : celle de manquer. C’est une vision assez limitée de soi et de sa vie, qui emprisonne dans la nécessité matérielle et entretient de l’angoisse de mourir si l’on n’a pas ou pas assez d’argent.

La deuxième motivation pour gagner de l’argent, c’est l’avoir : on veut posséder des choses en exerçant le pouvoir de les acquérir. Ce désir-là est très bien compris par le marketing et la publicité qui savent parfaitement répondre à notre place à la question « que faire de mon argent? », avant même que nous nous la posions. Quitte à nous déposséder, d’ailleurs, de ce sentiment de « pouvoir » que nous recherchons par « l’avoir ». Nous désirons être en situation de « pouvoir » acheter tout ce que l’on veut, mais dans le même temps, nous faisons toutes et tous l’expérience de la déception d’un argent qui ne servirait qu’à consommer.

La troisième motivation, c’est la réalisation, l’accomplissement de quelque chose qui compte pour soi. Pour cela, il faut effectivement ne pas ressentir le manque : se sentir en sécurité et pouvoir se donner les moyens de sa liberté. Mais il faut aussi et surtout avoir un projet. C’est ce qui rend entrepreneur-e… Pas seulement au sens propre de « créateur/créatrice d’entreprise », mais plus généralement, pour tout le monde, entrepreneur-e de sa vie, de ses choix.

 

 

Eve le blog : Avec la communauté des Leadeuses du web, que vous avez fondée, vous encouragez les femmes à entreprendre, et notamment sur le terrain hautement porteur du digital. L’époque vous parait-elle particulièrement propice à l’entrepreneuriat au féminin?

Nathalie Cariou : Les femmes entrepreneures peuvent bénéficier aujourd’hui d’une double dynamique : premièrement, l’entrepreneuriat au féminin fait l’objet d’une attention inédite, avec des dispositifs d’accompagnement dédiés ; deuxièmement, la transition digitale leur ouvre une vraie fenêtre d’opportunités, d’autant que traditionnellement, les femmes créent davantage dans le secteur des services que dans celui des biens.

Maintenant, ça ne va pas se faire tout seul et il faut se méfier du miroir aux alouettes : on parle beaucoup d’entrepreneuriat au féminin, on annonce des chiffres en augmentation pour les créations par des femmes, mais il faut entrer dans le détail de la structure de ces entreprises féminines (ce n’est pas la même chose d’être auto-entrepreneure, se dégageant un revenu plafonné, et de créer une société qui va potentiellement croître) et de leur développement à moyen-long terme. Car le risque, c’est d’avoir un entrepreneuriat à deux vitesses, voire carrément une sorte de faux entrepreneuriat très précaire, avec un grand nombre de free-lances ou de personnes ayant un tout petit niveau d’activité conjugué à une protection sociale très faible. Vous retrouvez cela dans certains pays en développement qui affichent des taux apparemment enviables de femmes cheffes d’entreprise, mais il s’agit d’une multitude de toutes petites structures qui dans les faits, ne permettent pas à ces femmes d’accéder ne serait-ce qu’à un revenu décent pour elles-mêmes. Il faut promouvoir l’entrepreneuriat au féminin, mais il faut le faire avec autant d’ambition que pour l’entrepreneuriat tout court!

 

 

Eve le blog : Est-ce précisément la mission que vous assignez aux Leadeuses du Web?

Nathalie Cariou : J’ai créé les Leadeuses du web fin 2013, après avoir assisté à un événement consacré au digital qui rassemblait 200 personnes, dont pas plus de 20% de femmes dans la salle et aucune sur l’estrade. Lors de cet événement, comme dans beaucoup de rencontres consacrées au web et à la transformation digitale, il a été dit que cette révolution économique, c’est aussi la révolution des pratiques : le fonctionnement en communautés et en réseaux, l’entraide et l’échange… Cette dynamique enthousiasmante, dont on salue l’esprit ouvert et participatif, re-crée aussi des phénomènes d’entre-soi : beaucoup d’entrepreneurs du web fonctionnent en mini-réseaux informels qui se font travailler les uns les autres, on se soutient, on se coopte, on constitue des équipes qui vont ensemble de projets en projets… Avoir accès à ces groupes, pouvoir soi-même en créer est clé pour réussir dans le digital : c’est ce qui va permettre d’aller chercher des clients, y compris des grands comptes, en apportant cette fameuse combinaison « compétences/agilité » qui rend si attractives les entreprises nouvelle génération.

Avec les Leadeuses du web, je veux favoriser la rencontre entre femmes entrepreneures innovantes pour qu’ensemble, elles puissent s’aider, conjuguer leurs compétences et se mettre en visibilité. Qu’elles ne laissent pas un terrain aussi riches d’opportunités que le digital aux seuls hommes ! Qu’elles ne se contentent pas des restes, non plus! Qu’elles se mettent donc ensemble, comme le font les hommes depuis toujours, sans sacrifier à leur liberté, mais en se reconnaissant des intérêts partagés et en se soutenant les unes les autres.

 

 

Eve le blog : les Leadeuses du Web tiennent d’ici quelques jours leur grand séminaire annuel. Quel est le programme?

Nathalie Cariou : Les Leadeuses du web se retrouvent à Paris les 18 et 19 juin pour leur grand événement annuel, rythmé par trois formats de rencontres : les plénières, avec des personnalités inspirantes qui partageront leur vision de l’ambition au féminin (Aude de Thuin, Dominique Prieux Martinot, Myriam O’Carol), les ateliers (à double niveau : débutantes et confirmées) pour s’initier et/ou se perfectionner à des aspects fondamentaux du business et de la vie d’entrepreneure (les RP, l’e-réputation, le marketing, les investissements…) et les moments de networking, pour partager le vécu et faciliter la rencontre entre femmes qui peuvent faire affaire ensemble et donner ainsi de l’ampleur à leurs projets. J’ai souhaité, pour que ce networking soit vraiment efficace, que la plus large palette des secteurs et métiers soit représentée.

Les Leadeuses du Web sont là pour créer des connivences et des synergies, afin de démultiplier pour toutes les bénéfices des efforts de chacune.

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.

 

 

* Observatoire des Métiers de la Banque, 2012

** Financi’Elles, 2014

 

 

L’histoire « courte » de l’argent des femmes

 

1875 : Les femmes françaises mariées peuvent ouvrir un livret de Caisse d’Epargne avec l’autorisation de leur mari, mais ne peuvent effectuer de retrait qu’en présence de celui-ci. Il faudra attendre 1881, pour qu’elles ouvrent un livret sans autorisation et 1895 pour qu’elles puissent faire des retraits seules.

 

1907 : Les femmes françaises peuvent disposer de leur salaire (qui n’est plus automatiquement reversé dans la Communauté gérée par leur seul « chef de famille »)

 

1942 : Les femmes françaises peuvent ouvrir un compte bancaire, avce l’autorisation de leur mari

 

1965 : Les femmes obtiennent le droit d’exercer une profession et d’ouvrir un compte bancaire sans autorisation du conjoint et de gérer leurs biens propres

 

1967 : Les femmes sont autorisées à exercer la profession d’agent de change

 

1985 : La réforme du Code Civil permet aux femmes de co-gérer le patrimoine familial

 

 

 

 

Lire aussi : 

– Notre rencontre avec Laurence Dejouany, auteure de Les femmes au piège de la négociation salariale ou Comment demander de l’argent à son patron sans le fâcher

– Notre interview de Pascaline Le Berre, auteure de Femmes, Osez enfin votre valeur! 

– Notre entretien avec Frédérique Cintrat, auteure de Comment l’ambition vient aux filles?

– Notre lecture du livre de Marine Defrennes, Elles ont réussi dans le digital