L’égalité de genre, c’est bon pour la santé cognitive !

Eve, Le Blog Développement personnel, Egalité professionnelle

Une récente étude franco-américano-norvégienne met en évidence une corrélation entre la réduction des inégalités de genre et celle des écarts femmes/hommes en matière de déclin cognitif. Ces résultats permettent d’émettre l’hypothèse que les inégalités sociales entre les femmes et les hommes seraient à l’origine d’inégalités face aux effets du vieillissement… Lesquelles inégalités viendraient conforter stéréotypes et présomptions d’incompétence pesant sur les femmes. En d’autres termes, le serpent se mord la queue. Et si c’était par l’égalité que l’on parvenait à augmenter les capacités cognitives de l’ensemble de la population?

La rédaction du webmagazine EVE a lu cette étude. Synthèse commentée.

 

Un fait alarmant : le déclin cognitif plus rapide et plus précoce des femmes

Les chercheurs et chercheuse Eric Bonsang (Paris Dauphine), Vegard Shirbekk (Columbia/Norvegian Institute of Public Health) et Ursula M. Staudinger, respectivement économiste, sociologue et psychologue, tou.t.es trois expert.es des problématiques du vieillissement, se sont intérrogé.es sur les causes d’un phénomène dont on commence timidement à parler dans les médias : la précocité et la rapidité du déclin cognitif chez les femmes.

En juillet 2015, une étude de l’Université Duke de Caroline du Nord, présentée lors de la Conférence de l’Association internationale d’Alzeimher, révélait que l’état cognitif des femmes de plus de 70 ans  se détériore deux fois plus rapidement que celui des hommes du même âge. Plus alarmante encore, une étude de l’Université de Californie parue dans la revue scientifique PlosOne en janvier 2017, rapporte que la diminution de l’acuité mentale et des capacités de mémoire et de logique commence dès la quarantaine chez les femmes, soit avec plus d’une décennie d’avance sur les hommes.

Plusieurs hypothèses strictement physiologiques sont explorées, telles les éventuels effets des hormones et de la ménopause. Sans conclusion probante jusqu’ici. On cherche aussi du côté de la sur-représentation des femmes dans la population soignée pour dépression (la maladie comme les traitements pouvant affecter à plus ou moins long terme les capacités cognitives). On s’intéresse encore à la piste des possibles conséquences d’une médecine indifférenciée, soignant les deux sexes avec de mêmes substances qui pour la plupart ont été testées essentiellement sur des sujets masculins. Mais là aussi, les chercheurs restent prudents.

 

Une carte des inégalités face au vieillissement cognitif qui recoupe la carte globale des inégalités de genre

Bonsang, Shirbekk et Staudinger ont voulu, eux, étudier les éventuelles origines socio-culturelles de cette inégalité face au déclin cognitif. Pour cela, ils ont fait passer des tests de mémoire, d’acuité et de logique couramment employés en médecine gériatrique à un panel de 110 000 hommes et femmes âgé.es de 50 à 93 ans issu.es de 27 pays différents. Ils ont observé des contrastes édifiants entre les pays où les femmes de tous âges surpassent les hommes en matière de performance cognitive et ceux où le vieillissement creuse des écarts sensibles de capacités cognitives entre les sexes.

Troublante coïncidence : la carte des inégalités de détérioration cognitive liée à l’âge recoupe celle des inégalités de genre. Ainsi, la Suède qui se place dans le quarté de tête des pays les plus avancés sur l’égalité selon le Forum Economique mondial est aussi le pays où la performance cognitive des femmes de 50 ans et plus est la meilleure. En miroir, Inde et Ghana qui témoignent d’un retard préoccupant en matière d’égalité des genres sont aussi les pays les plus touchés par le déclin cognitif précoce des femmes. Et entre ces deux extrêmes, on trouve les pays d’Europe presque dans le même ordre pour les deux classements.

 

L’insertion professionnelle, économique et sociale, clé de la performance cognitive durable

Corrélation n’est pas causalité. Néanmoins, le faisceau d’indices se renforce quand les chercheurs observent, sur le temps plus long, que dans les pays où l’égalité progresse, les performances cognitives des femmes seniors augmentent en parallèle.

La dynamique est notamment marquée pour les progrès de l’insertion professionnelle des femmes. Eric Bonsang, auteur de nombreux travaux sur les effets de l’activité professionnelle sur le vieillissement cognitif,  rappelle que le fait d’avoir un travail, le contenu de ce travail mais aussi les loisirs et les modes de vie ont des effets certains sur le rythme et l’ampleur de la détérioration des capacités cognitives. Là où les femmes sont écartées d’une vie sociale et professionnelle stimulante, il est attendu qu’elles soient désavantagées sur le plan du vieillissement cognitif  à la fois par rapport aux hommes de leur pays et par rapport aux femmes d’autres pays. 

 

De la nécessité vitale de stimuler l’ambition des filles autant que celle des garçons

Mais les chercheurs ne s’en tiennent pas au seul critère d’intégration économique et professionnelle. Ils pointent aussi les effets des « rôles genrés ». Etre assignée, dès l’enfance et de façon plus ou moins sournoise, à une féminité traditionnelle portant l’accent sur la maternité et la tenue du foyer, défavoriserait les femmes dans le développement initial des capacités cognitives.

Le socle de ces capacités serait en quelque sorte moins solide quand on les a développées sans projection de dépassement d’une destinée sociale assignée que lorsqu’on les a investies dans une certaine aspiration à un projet de développement individuel et socio-économique. Ce socle de capacités serait surtout nettement plus vulnérable à terme quand on laisse une partie des compétences acquises (notamment dans la petite enfance) en friches, faute d’être amené.e à les « muscler » au quotidien.

De l’intérêt donc, de donner accès à l’école aux petites filles mais aussi de stimuler dès le départ leur ambition. C’est aussi en devenant seniors qu’elles en tireront de vrais bénéfices.

 

 

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE