Rencontre avec Sara Paubel & Stephanie Merran, fondatrices de l’entreprise “Ce Que Mes Yeux Ont Vu”

Eve, Le Blog Leadership

Sara Paubel & Stéphanie Merran sont deux femmes de courage qui ont créé leur entreprise culturelle à fort impact social, Ce Que Mes Yeux Ont Vu. Elles se sont rencontrées au Grand Palais où elles travaillaient ensemble à construire des opérations destinées à rapprocher l’art des publics éloignés ou précaires. A travers leur entreprise, elles ont voulu continuer à développer le lien social via la production, la création et l’animation d’ateliers culturels.

1/ Comment est venue l’idée de “ Ce Que Mes Yeux Ont Vu ”? Quelle est l’histoire de ce projet ?

Avant de créer l’entreprise, nous travaillions déjà ensemble au sein d’un grand musée parisien et dans le cadre de nos fonctions, nous allions toutes les semaines dans un centre d’hébergement d’urgence pour travailler, avec un médiateur, autour d’une thématique qui nous permettait de rattacher l’exposition à des questions d’actualité, de philosophie, de société. Il se créait à chaque fois une discussion passionnante entre les hébergés, autour de la table.

Nous avons pris conscience d’une évidence qui est devenu un moteur, un impératif pour notre future entreprise : la rencontre entre un groupe de personnes et un tableau, une sculpture ou un spectacle leur permet d’échanger et de créer du lien au-delà du contenu culturel et artistique qui leur est présenté. De là est né « Ce Que Mes Yeux Ont Vu », pour continuer à mener des projets avec un impact social plus fort encore. Nous avons eu envie, également, d’inclure le monde de l’entreprise dans nos activités. Le constat et la conviction qui nous habitent, c’est que le salarié a besoin d’art et de culture pour s’oxygéner, pour (re)faire connaissance avec ses collègues, et pour changer de regard sur le monde qui l’entoure, pour mieux travailler ensemble au quotidien.

Nous proposons aujourd’hui des journées-ateliers artistiques et culturelles aux associations et aux entreprises. Toutes ont un très fort impact social.

2/ Quelles ont été les réactions des parties prenantes (d’un côté les acteurs de l’insertion des personnes en grande précarité et de l’autre les responsables de grandes entreprises) quand vous leur avez soumis le projet ? Quelles sont les attentes qui s’expriment de part et d’autre ?

Aujourd’hui, les grandes associations qui œuvrent auprès des personnes en difficultés ou en grande précarité sont convaincues de l’importance de la culture dans la réinsertion des personnes qu’elles accompagnent. Un projet culturel permet de reprendre confiance en soi, de s’exprimer en groupe, de puiser en soi des souvenirs enfouis. Nous sommes à l’écoute des besoins des associations pour les intégrer dans nos projets et s’insérer dans le travail social.

Les entreprises, elles, nous confient leurs contraintes dans la réalisation de leurs Journées Solidarité Entreprise et des problématiques qui touchent leurs collaborateurs. Beaucoup sont en quête d’un meilleur équilibre vie professionnelle et vie personnelle. Comment faire coïncider ses propres valeurs à celles de l’entreprise à laquelle on appartient ? Elles souhaitent développer une démarche RSE et ont envie de proposer à leurs salariés des activités qui restent des moments de plaisir tout en ayant du sens. Ces journées doivent souder les équipes, leur permettre de s’oxygéner et de puiser en eux des ressources créatives ; c’est encore mieux si elles ont un véritable impact social. C’est valorisant et satisfaisant de joindre l’utile à l’agréable !

3/ Vous prenez le vecteur de l’art pour créer du lien social. Pourquoi ? Que peut particulièrement l’art pour le progrès social ? Pensez-vous que nous sommes toutes et tous aujourd’hui « en manque » d’art ?

Nous sommes convaincues que l’art et la culture sont des besoins de première nécessité. Ils sont le propre des êtres humains.A travers le temps, l’art aborde tous les sujets, toutes les problématiques. Il fait aussi appel aux sentiments les plus profonds de chacun. C’est en cela qu’il nous semble fondamental dans une société. Il faut donner la possibilité d’aborder ces questions et d’exprimer ces sentiments pour aller au-delà. C’est alors que des rencontres extraordinaires se produisent. L’art, si éloigné a priori de certaines populations, se révèle être ce qui remplit le plus le regard de chacun pour peu qu’on l’y accompagne. Nous l’avons constaté dans nos parcours et les témoignages que nous recueillons pendant nos ateliers en attestent. Cela nous conforte dans l’idée que l’art et la culture sont aussi des engagements professionnels pour nous.

4/ Quel bilan tirez-vous de l’expérience deux ans après son lancement ? Quelles sont vos perspectives pour la suite ?

Le bilan est très positif : 22 projets, autant avec des associations et des entreprises, c’est 1062 participants, presque 42 000 bénéficiaires et autant de rencontres que nous avons rendues possibles. C’est aussi 45 partenaires qui nous font confiance et nous permettent de changer le regard de chacun pour une meilleure inclusion sociale.

Cette année, il nous faut doubler le nombre de projets, nous avons encore plein d’idées à mettre en œuvre et d’artistes à mobiliser ! Nous souhaitons également intégrer un centre d’hébergement d’urgence pour y monter un Bureau d’Urgence Culturel : comme le bureau de l’assistante social ou celui du médecin, c’est un lieu où l’on parle de livres, d’expositions, de bons plans culturels. C’est un Bureau pour créer du lien, qui répond à un besoin fondamental de ces personnes qui en manquent.

 Propos recueillis par Valérie Hernandez Amalou et Marie Donzel