« Ce qui compte, c’est d’avoir de la liberté pour faire changer les choses»

Eve, Le Blog Dernières contributions, Rôles modèles

Barbara LAVERNOS, L’Oreal Executive Vice-President Operations // Barbara LAVERNOS, Directrice Générale des Opérations de L’Oreal

Grand entretien avec Barbara Lavernos

Barbara Lavernos est Executive VP Operations du Groupe L’Oréal, membre du ComEx. Un an après son intervention remarquée à EVE International 2017, elle revient pour nous sur son parcours et donne à lire sa vision du leadership.

Vous avez commencé votre carrière professionnelle aux achats. Qu’est-ce qui vous a menée à cette fonction ?

Barbara Lavernos : Le hasard. Ingénieure chimiste de formation, je ne voulais pourtant pas passer ma vie dans un labo ! J’ai candidaté chez L’Oréal et on m’a proposé les achats. Un métier basé sur la technique, avec une dimension commerciale et des interactions avec l’interne comme avec l’externe, ça m’allait très bien ! J’ai découvert le monde des entreprises dans toute sa diversité – dimensions des entreprises, secteurs… – et surtout que derrière chaque entreprise, il y a une histoire, un parcours d’entrepreneur, de la passion… J’ai adoré cette période de ma carrière.

En tant que grand donneur d’ordre, quelle vision de la responsabilité à l’égard de l’écosystème économique avez-vous développée au cours de vos années aux achats ?

Barbara Lavernos : Je n’aime pas la notion de grand donneur d’ordre. L’Oréal représente un acteur clé dans le monde des fournisseurs, de par les montants d’achats que le groupe commande à différents fournisseurs et prestataires. Pour le reste, je crois profondément à la relation partenariale entre acheteur et fournisseur. Nos fournisseurs sont nos compagnons de route et ils sont pleinement parties prenantes du succès de L’Oréal. Je nous vois plutôt en leader d’un écosystème économique à l’égard duquel nous avons des responsabilités : celle d’être équitables, éthiques, mais aussi celles de les faire monter en maturité sur autant de questions fondamentales pour l’avenir que l’empreinte écologique, l’insertion des personnes éloignées de l’emploi, la mixité…

Après cette expérience de Directrice Générale des Achats du Groupe, vous passez de l’autre côté du miroir en prenant la tête d’un business…

Barbara Lavernos : En effet, en étant à la tête de l’activité Travel Retail (les duty free des aéroports), je deviens fournisseur ! Je change de place à la table et vis des années passionnantes à explorer ce qu’on a appelé le 6è continent.

Et puis, vous êtes nommée Executive VP des Opérations de L’Oréal et entrez au ComEx. Etait-ce un objectif, pour vous ?

Barbara Lavernos : j’aime manager, j’aime prendre des responsabilités et avoir de l’influence pour faire bouger les lignes… J’ai donc une certaine ambition…. Pour emmener mes équipes vers le succès… Mais je ne me suis pas fixée comme objectif d’entrer au ComEx de L’Oréal. Le fait d’avoir été patronne des achats à l’âge de 35 ans m’a déjà fait bénéficier très tôt de visibilité et de capacité d’agir. Je n’ai pas eu le temps de nourrir des frustrations à cet égard ! A partir de là, ce qui a compté pour moi, c’était d’avoir des jobs où j’aurais suffisamment de liberté pour faire la différence et faire grandir mes équipes et le business de L’Oréal.

Est-ce qu’au cours de votre parcours, vous avez parfois vécu le fait d’être une femme comme une « différence » ?

Barbara Lavernos : La question m’a été incessamment posée. Pendant longtemps, je n’étais pas à l’aise avec cela parce que j’avais l’impression que la différence venait précisément du fait qu’on me posait la question, alors même que moi, je ne me la posais pas. J’ai grandi dans une famille égalitaire, je me suis sentie à ma place en école d’ingénieur·e·s, j’ai toujours travaillé avec des hommes sans me sentir face à des discriminations, je n’ai pas eu besoin de lutter pour faire reconnaître ma légitimité et j’ai toujours été un peu réactive par les discours victimaires notamment sur les questions d’articulation des temps de vie (les choix personnels d’organisation familiale sont évidemment clé pour réussir professionnellement ! Et mon mari le comprend très bien et me soutient…). Aujourd’hui, je vois les choses un peu différemment : la question du plafond de verre a été scientifiquement objectivée, on a chiffré, on a rationalisé, on a identifié les mécanismes qui font qu’ encore aujourd’hui, les femmes n’accèdent aux positions les plus élevées que trop rarement ; et c’est beaucoup plus confortable de tenir un discours sur le sujet avec de vrais éléments d’analyse que de devoir témoigner de son propre parcours. Je suis donc désormais beaucoup plus disposée à prendre la parole sur ce sujet… A condition qu’on ne m’interroge pas sur le débat « y a-t-il un leadership féminin et un leadership masculin », une question que je trouve complètement décalée !

Même si un parcours individuel ne dit effectivement pas toute la vérité sur un fait social global, n’est-il pas important de témoigner en tant que rôle modèle ?

Barbara Lavernos : Oui, nous avons toutes et tous besoin de rôle modèle. Je vous le dis avec d’autant plus de conviction que j’ai pris des responsabilités à l’époque où le seul modèle de femme de pouvoir qu’on nous donnait à voir, c’était la working girl carnassière en veste à épaulettes. Moi, je n’avais pas du tout envie de ressembler à cela. Je pense que ce qui compte, c’est la diversité des rôles modèles, pour que chacun·e puisse s’approprier son propre style, sans devoir se conformer à une norme univoque. Pour moi, la fonction d’un rôle modèle, c’est aussi de démystifier le pouvoir : parler simplement de ses expériences, y compris de ses hésitations, de ses ratés, des moments où on a eu peur, où on s’est dit qu’on n’y arriverait jamais… Et où on y est quand même arrivé, en prenant son courage à deux mains, en osant prendre des risques, en se lançant dans l’aventure !

Est-ce que pour vous, cette humilité, cette accessibilité, cette simplicité font partie des qualités du leader du demain ? Quelles autres qualités lui voyez-vous ?

Barbara Lavernos : Le leadership d’avenir, c’est d’abord savoir assurer la transition entre les modes anciens de leadership et les nouveaux modes de leadership qu’attendent notamment les nouvelles générations… Et ce n’est pas facile parce que les personnes qui sont aux manettes aujourd’hui ont appris que la légitimité procède des compétences techniques, que les process sont rois, que le contrôle est la raison d’être du management… Il y a un vrai shift à opérer… Sans pour autant faire n’importe quoi au nom de l’agilité : évidemment qu’il y a besoin de process et qu’ils doivent être appliqués, évidemment qu’il y a aussi besoin de compétences et d’expertise pour mener à bien des projets complexes. Ce qui change, c’est la façon d’animer les équipes, de les orienter, de faire émerger la créativité, la stimulation, le sens du collectif… La transparence, le partage, la fidélité à ses propres valeurs et aux valeurs de l’organisation, la proximité sont des qualités essentielles pour exercer un leadership positif et efficace.

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE. Avec la complicité d’Aurélie Gasnier.