Publicité sexiste : qu’en dit la GenY? « On n’est pas des crétins! »

Eve, Le Blog Actualité, Egalité professionnelle, Rôles modèles

Accepter une mission de chargée de cours quand on a un job à temps (très) plein, une famille avec enfant en bas âge et une maison en travaux, est-ce une folie furieuse? Pas si sûr.

Depuis une dizaine d’années, je parviens à caler quelques heures d’enseignement supérieur dans mes semaines pleines à craquer de Woman&Mother GenX en plein développement de carrière.

Pour arrondir les fins de mois? Pas vraiment, l’enseignement c’est prestigieux, mais ça rapporte peu. Alors, pourquoi? Parce que j’ai très tôt repéré que la fréquentation des étudiant-es était une formidable source d’inspiration pour ma vie personnelle et professionnelle et pour mes chantiers de réflexion.


Thème de réflexion : la pub sexiste, une nécessité commerciale?

Une des images sexistes sur lesquelles les étudiant-es ont réagi

Lundi dernier, au programme de mon cours dispensé aux étudiant-es de l’Ecole Supérieure de Commerce de Brest : « La publicité, enjeux et critiques de la communication tarifée ». 3è partie de la séance : « Pour une critique déontologique de la publicité ». Sous-partie : « le sexisme publicitaire, une nécessité commerciale? ».

Je montre une série d’exemples à la classe : l’affiche d’un site Internet de recrutement qui présente une demoiselle court vêtue sous le slogan « augmentez vos chances d’être recrutée » ; la campagne de communication d’un groupe de commerçants régional qui met en scène une femme agenouillée aux pieds d’un homme ; la publicité d’un loueur de voiture qui joue sur le vieil adage macho « femme au volant, la mort au tournant » et d’autres encore…


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« La pub sexiste, c’est surtout moche »

L'esthétique de la pub sexiste laisse les étudiant-es dubitatif-ves

Je demande à mes étudiant-es leur avis de futurs pros de la comm’ : d’après vous, quelle est la cible? Que dit le message? Est-ce efficace? Quelle image la marque veut-elle donner d’elle-même?

Une jeune femme lève le doigt : « Pardon, mais euh… C’est surtout moche! »

« Moche, vous voulez dire moralement moche? » cherché-je à approfondir, en prof tatillonne qui cherche évidememment midi à quatorze heures. « Non, moche tout court. L’image est moche, les gens dessus sont pas classes, les couleurs sont moches, c’est pas beau. »

Un jeune homme, conscient des contraintes dans lesquelles les communiquants travaillent : « Non, mais là, on voit que c’est fait à l’arrache. C’est torché, c’est pour ça que c’est pas très classe. » Première conclusion : la pub sexiste passe pour de la pub baclée. Comme si on n’avait pas eu assez de temps ou d’esprit de trouver une meilleure idée.


Le porno-chic, plus chic que porno?

Si chic que ça le porno-chic?

Toutefois, honnêteté intellectuelle oblige, j’évoque le cas spécifique de la tendance porno-chic qui a envahi l’imagerie publicitaire dans les années 1990 : là, les campagnes étaient loin d’être « faites à l’arrache », mais au contraire, très travaillées, sans mauvais jeu de mots, je dirais qu’elles étaient particulièrement léchées.

« Oui, enfin, même chic, le porno, c’est du porno. C’est pas ce qu’on fait de plus fin. » me répond un étudiant, dans un sourire un peu gêné. L’image stéréotypée de la femme-objet n’est donc jamais un argument subtil. Les 18-21 ans que j’ai en face de moi le disent sans détour.


Adopter des comportements bêtes et dangereux pour se conformer à une image virile? Non merci!

Ce n’est pas subtil, certes. Mais est-ce efficace? Lucas* lève le doigt : « Si ça doit faire envie, il faut que ça fasse vraiment envie. Par exemple, une pub de voiture qui vante la puissance, la vitesse, ça me fait pas trop envie. Je vais peut-être passer pour un papy au volant, mais moi, je suis super prudent, j’ai pas envie de me foutre dans la fossé pour prouver que je suis un mec. » Pas question de se faire dicter des comportements bêtes et dangereux par la publicité. Le stéréotype du mâle risque-tout ne fait plus rêver le jeune détenteur d’un permis B.

« En plus, quand je vois un type qui fait le kéké, ça m’embêterait que ma copine pense que c’est à ça que j’ai envie de ressembler. Même si ça peut me faire marrer, je préfère éviter de le montrer, histoire de pas passer pour un gros lourd. » Les filles imposeraient-elles de nouvelles règles du jeu de séduction? Si l’on en croit la réaction de ces quelques étudiants, se faire complice du stéréotype sexiste, c’est perdre des points en drague. Un excellent argument pour convaincre les hommes que le sexisme n’est jamais là pour leur rendre service.


La pub sexiste, c’est finalement « que » de la pub

C'est grotesque, c'est caricatural, c'est agaçant... Mais est-ce que ce n'est pas surtout inutile, au fond?

Quand je fais cours, j’encourage l’expression des opinions contraires et je suis toujours heureuse qu’un-e étudiant-e ait le courage d’aller dans un sens qui n’est pas forcément celui que les autres me supposent. Tristan* ose : « Moi, franchement, ça me fait rigoler, la pub du loueur de voiture. C’est pas méchant. Il ne faut pas dramatiser non plus. C’est que de la pub. »

Ce « que » m’interpelle. Tristan a raison : quand la publicité se fait potache, vulgaire et sexiste, elle n’est « que » de la publicité. Son message est désagréable pour les un-es et éventuellement divertissant pour les autres. Mais a-t-il vraiment une influence sur la société?

« On n’est pas des crétins, on sait faire la part des choses, on sait se rendre compte qu’un truc débile est débile. On prend pas tout au premier degré. Et puis la pub, c’est plein de trucs comme ça qui servent à rien, qui disent pas grand chose. »

Bavard et inutile, le sexisme publicitaire? Au tarif d’une campagne d’affichage ou de la diffusion d’un sport en prime-time, ça mérite peut-être que nos amis les créas se donnent la peine de faire de la pub qui ne soit pas « que » de la pub, mais qu’elle ait aussi un impact réel et positif sur l’image de marque.


Et si le stéréotype ne faisait bientôt plus recette?

Et si les jours des stéréotypes sexistes commençaient à être comptés. On a envie d'en rêver.

Le soir venu, après avoir donné mes 6 heures de cours de la journée, j’ai envie d’approfondir le sujet avec une personne de la GenY qui ne sera pas évaluée par moi à la fin du semestre, et cherchera moins, je le pense, à tenir un discours destiné à me satisfaire. J’appelle une amie et je lui demande de me passer sa fille, Julie*, 20 ans.

« Tu penses quoi, toi, Julie, de la pub sexiste? » Julie trouve ça « démodé ». Question de génération? « Vous, votre génération, vous voyez les choses en lutte des sexes mais je ne crois pas que ce soit vraiment notre problème, à nous, les jeunes. D’accord, il y a des inégalités, on le voit bien, les garçons sont privilégiés pour certains trucs, les filles ont besoin de se battre pour avoir la même chose. Mais plus personne n’a en tête l’image de la femme au foyer, soumise, recluse dans sa cuisine, qui sait pas conduire et qui se comporte comme une dinde avec son ordinateur. La pub sexiste ne me choque pas plus que ça. C’est surtout qu’elle ne me concerne pas. En plus, dans notre génération, avec Internet, on peut plus facilement choisir de regarder ce qui nous intéresse et de zapper ce qui ne nous parle pas. Ca va être plus compliqué de nous mettre des idées toutes faites dans la tête. C’est pas comme au temps où il y avait trois chaînes de télé et que tout le monde regardait la même chose, était influencé par les mêmes discours. »

Pas tous féministes, les GenY mais tous apparemment bien disposés à ne pas se laisser imposer des valeurs qui ne sont pas les leurs. Alors, pour attirer l’attention des garçons et filles de cette génération, sans doute faudra-t-il donc faire quelques petits travaux de rénovation dans nos structures mentales : les stéréotypes n’ont peut-être pas la peau si dure que ça.


Marie Donzel




* Les prénoms ont été changés


Pour aller plus loin :

– lire notre article « Polémique : pas de bra, pas de confiance en soi« 

– la rétrospective des pubs les plus racistes et les plus sexistes de l’histoire de la comm’ dans L’express

– le top 10 des pubs sexistes par TerraFemina

– le livre de Jacques Séguéla Les pubs que vous ne verrez plus jamais