En débat : le flexwork est-il l’avenir du travail ?

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Le flexwork, on en entend de plus en plus parler et pour cause : la crise sanitaire et ses confinements, en amenant un grand nombre de salarié·e·s à télétravailler, ont accéléré le processus de réflexion des entreprises sur les différentes modalités de travail. Après Twitter qui déclarait possible « le télétravail à vie » pour certain·e·s de ses salarié·e·s en mai 2020, Facebook et Google emboîtaient le pas, annonçant réfléchir à la possibilité de rendre une partie de leurs bureaux. Après un an de crise et de télétravail en masse, l’heure du bilan, pourtant, semble davantage préfigurer un changement de braquet qu’un déploiement général du tout-télétravail. Mais l’idée a germé et l’hexagone n’est pas en reste. Confortées par certaines réussites (comme celles d’AXA, de BNP Paribas et de Bouygues Immobilier), les entreprises semblent être de plus en plus nombreuses à miser sur des formules de travail hybrides et/ou de flex office et à opter pour une transition « modalités de travail conventionnelles/modalités de travail innovantes » à plus grande échelle. En un mot, on s’intéresse dorénavant à mettre en place des formules flexibles qui marchent plutôt qu’à remettre en question la pertinence et la viabilité des formules flexibles.

Cependant, le « flexwork », en renvoyant par son étymologie même à des notions de souplesse, d’agilité et de flexibilité, a tendance à prêter à confusion. Souvent réduit au télétravail, il peut pourtant s’effectuer à l’intérieur même d’une entreprise, à condition de revêtir certains aspects. Mais alors… quelle est sa définition exacte ? Quelles sont ses différentes formes ? À quels bénéfices et à quels freins est-il associé ? Et, in fine, est-il vraiment l’avenir du travail ? On fait le point sur ces questions.

Mais au juste, qu’est-ce que le flexwork ?

Temps partiel, télétravail, job-sharing… comment s’y retrouver ?

Dans sa définition la plus prosaïque, le flexwork, c’est avant tout un arrangement planifié des modalités de travail salarié·e/employeur qui n’entre pas dans le cadre d’une semaine de travail dite « conventionnelle », soit 35h hebdomadaires en France.

Les deux solutions de flexwork généralement mises en avant sont :

L’arrangement de travail alternatif : dans cette configuration, l’arrangement entre salarié·e et employeur est défini à l’avance et fait l’objet d’une planification stricte. Si le temps de travail est partiel, ses horaires ne varient pas. De la même manière, le·s lieu·x de travail est/sont défini·s de manière fixe, bien qu’ils puissent alterner.

L’arrangement de travail flexible : ici, le/la salarié·e est tenu·e de faire un certain nombre d’heures tous les jours ou toutes les semaines mais peut par exemple commencer ou finir sa journée de travail quand il/elle le veut. Son lieu de travail peut également changer en fonction des besoins et de l’arrangement négocié avec l’employeur, avec plus de souplesse que sur un mode alternatif.

Il faut ensuite distinguer trois modalités d’articulation du flexwork :

  1. L’arrangement autour du temps : il concerne la fréquence des arrangements flexibles salarié·s/employeur qui est alors en première ligne. Celle-ci peut être par exemple permanente, alternée, temporaire ou occasionnelle.
  1. L’arrangement autour du/des lieux : Le travail flexible peut s’effectuer dans différents endroits : à la maison, en déplacement, sur un poste de travail non personnalisé à l’intérieur de l’entreprise (flexoffice), dans un espace de co-working, etc. En d’autres termes, en flexwork, le lieu de travail peut être fixe et/ou mobile et n’est pas seulement lié au télétravail, comme on le pense souvent.
  1. L’arrangement autour d’un poste : C’est-à-dire le « job-sharing», soit le fait que deux salarié·e·s ou plus se partagent les tâches dévolues à un seul poste.

Des combinaisons entre arrangements flexibles et alternatifs, de postes, de temps et/ou de lieux sont bien entendu possibles, le flexwork permettant justement une variété importante de formules, de la plus régulée à la plus individualisée.

Ainsi, un·e salarié·e qui est à temps partiel, qui partage son poste avec quelqu’un·e d’autre, qui télétravaille une partie du temps mais travaille l’autre partie du temps dans un espace de travail flexible au sein de son entreprise… vit à fond l’expérience du flexwork !

Ce qui fait du flexwork une solution de travail d’avenir

Une solution du présent

Ce qui tend à faire apparaître le flexwork comme une solution d’avenir est avant tout… qu’il est une solution de travail du présent ! Ainsi, les contrats à temps partiel, le télétravail, les heures de travail et jours de vacances flexibles font déjà partie de notre culture professionnelle. En France, 18,4% des salarié·e·s étaient d’ailleurs en temps partiel juste avant la crise du Covid. À la faveur de celle-ci, le télétravail partiel et/ou total s’est développé, rendant encore plus concret le flexwork. Selon le baromètre Malakoff Humanis, le nombre de télétravailleu·r·se·s a en effet bondi de onze points entre novembre 2019 et mai 2020, passant de 30% à 41%. Si les chiffres semblent être revenus à la normale en décembre 2020 (à 31%), le nombre de jours télétravaillés est plus élevé qu’avant la pandémie puisqu’il est passé de 1,6/semaine en novembre 2019 à 3,6 jours/semaine fin 2020.

L’expérience en a convaincu plus d’un·e !

Alors que 75% des salarié·e·s et 66% des dirigeant·e·s pensent que le télétravail va continuer à se développer, 86% des télétravailleu·r·se·s veulent poursuivre le travail en distanciel partiel, portant le nombre idéal de jours télétravaillés à 2/semaine au lieu de 1,4/semaine avant la crise. Cet engouement pourrait être une première étape vers des solutions encore plus flexibles !

Une solution qui tend à se développer

D’une part, la digitalisation des outils de travail et l’augmentation de l’autonomisation de certaines tâches de routine, qui rendent plus que jamais possible le télétravail, ouvrent davantage encore la brèche du flexwork. D’autre part, les jeunes générations, qui maîtrisent bien le numérique, sont aussi celles qui souhaitent le plus de mobilité, d’agilité et de flexibilité et qui représentent le mieux l’avenir du monde professionnel. Elles sont les plus à même de faire bouger les lignes et de négocier des conditions de travail visant à leur faire gagner en souplesse et donc en qualité de vie.

L’addition de ces facteurs est vite faite et tend à ériger le flexwork comme un modèle d’avenir pour les salarié·e·s.

Côté organisations, les formules flexwork, en promettant en autres des coûts immobilier moins élevés, séduisent également. Parmi les autres arguments cités en faveur du flexwork, un gain de productivité et de créativité, une montée en compétences des salarié·e·s et une adaptation des modalités de travail « à la carte » en cas de besoins ponctuels.

Des difficultés d’application… à l’impossible application

Le contrôle et la mise en place de formules « flex »

Ce qui joue le plus en la défaveur du flexwork côté organisations, c’est avant tout le difficile contrôle des salarié·e·s bénéficiant d’arrangements flexibles. Faute d’une excellente coordination et de pratiques claires et transparentes, réfléchies en amont et adaptables en fonction des réalités constatées sur le terrain, le passage au flexwork sera difficile à mettre en place. La transition d’un·e salarié·e et/ou d’une équipe vers le flexwork peut, de plus, changer les dynamiques existantes en termes d’objectifs et d’engagement. Le télétravail, quant à lui, pose la question de la cohésion des équipes et des risques, qu’à terme, un manque de collaboration active dû au distanciel peut représenter pour les entreprises.

Les managers sont donc en première ligne pour veiller au bon déroulement des processus qui encadrent le flexwork. La crise leur a d’ailleurs permis de cerner les contraintes soulevées par le déploiement du télétravail. Alors qu’ils/elles étaient 18% à rencontrer des difficultés pour le mettre en place en 2018, ils/elles sont 40% aujourd’hui.

Des coûts à prévoir

Un autre écueil à éviter concerne le flexoffice, qui, en incitant les entreprises à tirer une croix (partielle ou totale) sur leurs bureaux, peut les amener à minimiser le taux d’occupation des espaces de travail flexibles et à mal évaluer les coûts des formules de home-office. Car bien négocier la transition au flexwork a un prix. Pour que tout se passe au mieux, il est nécessaire de prévoir des frais liés à l’équipement professionnel de ses collaborateurs·trices en télétravail. D’autres coûts ponctuels peuvent s’ajouter à ces derniers, comme ceux de séminaires visant à réunir des équipes afin de maintenir la cohésion, quelque peu mise à mal par le travail à distance.

Des disparités entre les secteurs

Tous les secteurs ne sont pas concernés de la même manière par les formules de travail ultra-flexibles. Ainsi, pour une infirmière qui travaille en milieu hospitalier, le télétravail ne pourra jamais être une formule d’avenir. La crise a d’ailleurs rendu visibles les disparités d’application du télétravail en fonction des secteurs. Si 31% des salariés étaient en télétravail à temps complet ou partiel en décembre 2020 selon le baromètre Malakoff Humanis, 62% d’entre eux/elles étaient des professionnel·le·s du secteur Banques/Assurances, 62% des Services, 23% de la Santé, 19% du Commerce et 17%… de l’Industrie. À la lumière de ces chiffres, on comprend d’emblée pourquoi certaines solutions de flexwork ne seront pas applicables avant bien longtemps dans de nombreux secteurs, si ce n’est jamais mises en place.

Vers des solutions d’aménagement du travail de plus en plus hybrides ?

Pour un flexwork qui n’oublie personne

Les disparités entre les différents secteurs d’activité doivent permettre de mettre en lumière un certain nombres d’autres inégalités en matière d’application de solutions flexibles.

Les jeunes générations, pourtant désireuses de solutions flexibles, sont très affectées par le home office en cette période de crise sanitaire. De nombreu·x·ses jeunes acti·f·ve·s vivent en effet dans des logements très exigus et souffrent d’un manque d’espace et d’un isolement relationnel accru. Télétravailler la majeure partie du temps est également difficile pour les femmes, dont la charge mentale augmente, entre autres, à cause des défis posés par le home office en matière d’articulation des temps de vie.

Quant au temps partiel, s’il représente une des premières solutions « flex » plébiscitées par les travailleurs·euses, il est souvent associé à un moindre salaire et/ou à des postes à moindres responsabilités. La population des travailleurs·euses à temps partiel est d’ailleurs à 79,5% féminine, ce qui en dit long sur le rapport entre le genre et les sacrifices professionnels consentis par les femmes afin de trouver un juste équilibre vie pro/parentalité.

La transition vers le flexwork et sa normalisation ne devraient donc pas se faire sans oublier ces problématiques, que la crise et la massification du télétravail ont souligné.

Des solutions hybrides

La bonne nouvelle, c’est que la crise a permis d’accélérer la réflexion autour des nouveaux formats de travail, d’en tester certaines modalités et d’en tirer des premiers éléments d’analyse. La levée des mesures sanitaires pourrait donc permettre l’instauration de solutions de flexwork plus saines et plus souples que le seul tout-télétravail, dont les risques psychosociaux ne sont pas à prendre à la légère.

Certaines entreprises qui avaient décidé de rendre leurs bureaux en plein cœur de la pandémie, revoient à ce titre  leur position et veulent désormais s’orienter vers un système présentiel/distanciel hybride. Encore peu répandu en France, le job-sharing, qui permet (entre autres) de partager des positions de top management entre plusieurs salarié·e·s, pourrait un jour donner à des femmes de nouvelles opportunités de briser le plafond de verre et d’accéder à de hautes responsabilités tout en conservant un équilibre vie privée/vie pro satisfaisant.

L’essentiel est de comprendre que pour un bon équilibre entre l’autonomie acquise par le/la salarié·e en flexwork et son suivi managérial, confiance, engagement, proactivité et feedback sont les clés d’un flexwork réussi. Entre ainsi dans la définition large du flexwork une réflexion autour des attentes et de la conception salarié·e·s/managers en matière de flexibilité et de présentéisme… réflexion sans laquelle l’application de formules flexwork d’avenir ne pourra se faire avec sérénité.