Santé : l’impact des préjugés sexistes

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On entend dire que les femmes supporteraient mieux la douleur que les hommes considérés plus douillets, qu’elles auraient toujours mal quelque part quand les hommes auraient une fâcheuse tendance à être à l’article de la mort pour un nez qui coule. Pour preuve : l’expression anglaise « man flu »  rentrée dans l’Oxford Dictionnary et définie comme « un rhume ou une petite maladie similaire qu’un homme attrape et traite comme s’il s’agissait de la grippe ou de quelque chose de plus sérieux. »

Et si nous essayions d’aller au-delà de ces poncifs pour comprendre les impacts qu’ils peuvent avoir sur les traitements médicaux ?

Dans la réflexion sur les déterminismes liés au genre, la douleur fait l’objet de nombreuses études scientifiques. En effet, dans la prise en charge de la douleur, la qualité des soins et de la relation soignant/malade exige une compréhension précise de la douleur, notamment à partir de signaux non verbaux. Or la douleur, comme d’autres ressentis, peut être sujette à des biais systématiques, notamment des préjugés fondés sur le genre. Ignorer l’existence de ces biais, c’est prendre le risque de sous-estimer la douleur et donc de ne pas la traiter correctement.

Selon une récente étude publiée le 5 mars 2021 dans le Journal of Pain, menée au Colorado, les femmes sont moins prises au sérieux que les hommes lorsque les deux sexes expriment une intensité de douleur similaire. Cette étude identifie des biais liés aux stéréotypes de genre qui entrainent une sous-estimation systématique de la douleur chez les patientes.

Quelles sont les modalités de l’étude « Gender Biases in Pain » ?

Pour parvenir à ce constat, les chercheurs ont mené deux expériences.

La première réunissait 50 participants femmes et hommes confondus, entre 18 et 53 ans, ne travaillant pas dans le domaine médical. Diverses vidéos de patients femmes et hommes souffrant de douleurs à l’épaule leur ont été montrées. Pour Elizabeth Losin, professeure de psychologie, directrice du laboratoire de neurosciences de l’Université de Miami et co-auteure de cette étude : « l’un des avantages de l’utilisation de ces vidéos de patients qui souffrent réellement d’une blessure, cest que nous avons les évaluations des patients sur leur propre douleur, pas des acteurs qui imitent des douleurs. […] ». Les expressions faciales des patients ont ensuite été analysées grâce à un système informatique basé sur l’anatomie, ce qui a permis d’obtenir un score objectif de l’intensité de leur douleur. En visualisant les vidéos, les participants ont ensuite été invités à évaluer l’intensité de la douleur des patients sur une échelle de zéro à 100 :  zéro pour signifier aucune douleur, 100 pour illustrer la douleur la plus forte.

Lors de la seconde expérience, ce sont 200 participants qui ont été invités à évaluer l’intensité de la douleur des patients, en visionnant pendant 6 secondes les expressions faciales des patients en vidéo. Pour ce faire, ils devaient répondre à des questions telles que : « Quelle est la sensibilité de la femme à la douleur ? Son endurance à la douleur ? Sa volonté de signaler cette douleur ? » et en parallèle, « Quelle est la sensibilité de l’homme à la douleur ? Son endurance de la douleur. Sa volonté de signaler la douleur ? »

 

Constat 1 : les stéréotypes de genre affectent lestimation de la douleur

 

Face à une douleur équivalente, les participants ont sous-estimé la douleur des femmes par rapport à la douleur auto-déclarée réelle, tout en surestimant la douleur des hommes par rapport à leur auto-déclaration.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute l’étude démontre en effet que les femmes sont perçues comme souffrant moins que les patients masculins. On note également que lorsqu’on tient compte à la fois de l’expressivité faciale de la douleur et de la douleur auto-déclarée par les patients, les participants ont majoritairement estimé que les femmes souffraient moins que les hommes.

Plus intéressant encore, l’étude révèle la puissance de la croyance selon laquelle les femmes tiendraient absolument à exprimer leur douleur pour être rassurées, attirer la compassion, là où les hommes seraient mieux armés et capables de « souffrir en silence ».

Cette divergence genrée n’est pas cantonnée à la seule douleur des individus adultes. Elle imprègne aussi notre vision de la douleur des enfants. « En tant qu’adultes, nous évaluons la douleur des garçons comme plus intense que celle des filles, toutes choses égales par ailleurs (expression du visage, énonciation verbale, etc.), même quand il s’agit du même enfant, présenté comme un garçon dans un cas et une fille dans l’autre», dévoile Amrit K. Dhariwal, psychologue pédiatrique au British Columbia Children’s Hospital et chercheuse à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, en référence à une étude récente.

 

Mais ce n’est pas tout. L’étude rapporte également que ces stéréotypes de genre liés à la douleur ont des conséquences sur les traitements choisis par les participants.

 

Constat 2 : des traitements différents liés aux stéréotypes de genre

Il a été demandé aux observateurs de prescrire, comme s’il s’agissait de vrais soignants, le traitement qui serait selon eux le plus utile pour chaque patient. Sur l’ordonnance à remplir, 3 questions :

  • Si vous deviez prescrire un médicament, quelle dose prescririez-vous à ce(tte) patient(e) ?
  • Si vous deviez prescrire une psychothérapie à ce(tte) patient(e), combien de séances prescririez-vous ?
  • Selon vous, qu’est-ce qui serait le plus adapté à ce(tte) patient(e) entre les antalgiques et la psychothérapie ?

 

 

De ces questions, les résultats sont probants ! La prescription d’antalgiques a été quasi systématiquement préférée à la psychothérapie, que ce soit pour les femmes (58 %) ou les hommes (62 %). Mais si l’on compare la préférence de traitement chez les patients de sexe masculin et de sexe féminin, l’étude révèle que la psychothérapie était le traitement jugé le plus utile pour une proportion plus élevée de patients de sexe féminin (42 %).

 

Dans une autre étude menée par l’Université de Pennsylvanie, on apprend que les femmes attendent en moyenne 16 minutes de plus que les hommes pour recevoir des antidouleurs quand elles se rendent aux urgences. Cela atteste encore une fois de notre tendance à présupposer que l’origine des douleurs des femmes est essentiellement psychologique, là où les soignants sont plutôt enclins à rechercher les causes physiologiques objectives chez les hommes, en les orientant vers des examens supplémentaires pour objectiver (et donc légitimer) leur douleur.

 

En conclusion, la sous-estimation de la douleur et la psychologisation dans le traitement de la douleur des femmes pourraient avoir des effets néfastes sur la santé des patientes, que ce soit lié à un retard de diagnostic, ou le fait d’un traitement inadapté. Dans tous les cas, il apparaît urgent de mener un vrai travail d’éducation à tous les niveaux et de communiquer sans cesse sur les biais auxquels sont soumis nos cerveaux lors de nos prises de décisions qui peuvent aller de la plus anodine à la plus conséquente pour une vie humaine. Le savoir, c’est déjà agir !