A l’occasion des Césars, on zoome sur la place des femmes dans le cinéma

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« Désormais, on se lève et on se barre » titrait l’écrivaine Virginie Despentes dans une tribune au lendemain de la cérémonie des Césars 2020 lors de laquelle l’actrice Adèle Haenel avait « pété les plombs » (sic) après l’annonce de la victoire du cinéaste Roman Polanski. Pour celles et ceux qui ne l’avaient pas compris jusqu’ici, le phénomène #MeToo a pris ses quartiers dans le ciné…

Mais depuis déjà plusieurs années, bien avant l’affaire Weinstein, le monde du 7ème art voyait déjà la grogne anti-sexiste monter. C’est que la place des femmes dans le cinéma, c’est toute une toile dans laquelle de nombreuses actrices (et de plus en plus d’acteurs), des réalisatrices et réalisateurs, des professionnel·le·s de tous les métiers de l’audiovisuel, des critiques (se) débattent pour faire ou pas la part entre « l’homme et l’artiste », « proposer du rêve ou décrire le réel », « oser tout dire ou céder au politiquement correct ».

Pour y voir plus clair dans ces débats, on fait le point sur la place des femmes dans le cinéma.

A l’écran, le festival des rôles genrés ?

Le glamour féminin, une invention cinématographique ou une antienne sexiste ?

Les femmes ont toujours eu leur place au cinéma… Sur la pellicule, elles accrochent le regard du spectateur en apportant tout le glamour dont le cinéma hollywoodien a fait sa marque de fabrique.

C’est une féminité sublimée, pour ne pas dire fantasmée, qui s’incarne chez les actrices des années 1920 aux années 1980 : sophistiquées, magnétiques, hautement désirables et parfois cruelles, sensibles quand il le faut avec la larme qui perle au bord des sourcils ou le rire qui éclate de toutes leurs dents éclatantes, ces blondes à chevelure crantée et au regard clair, dont la courbe des hanches et la longueur des jambes semblent faire tourner toutes les têtes, constituent la matière parfaite de ce que la critique et cinéaste Laura Mulvey appelle le « male gaze ».

Dans son ouvrage Visual Pleasure and Narrative Cinema paru en 1975, l’intellectuelle désigne ainsi une forme de voyeurisme empreint de conservatisme qui célèbre la femme-objet, hypersexualisée et passive, et en fait un élément satellite de la narration principale au cœur de laquelle les hommes sont agissants.

Le centre du motif, ce n’est pas elles…

La dessinatrice Alison Bechdel prolonge cette idée avec son strip The Rule, publié en 1985, en observant que dans les œuvres de fiction visuelles, les femmes sont moins souvent nommées que les hommes (ou ne le sont que par leur seule prénom), qu’elles n’ont pas ou que peu de conversations entre elles et que quand elles en ont, c’est souvent autour des hommes que tourne la discussion.

C’est que même si, à partir des années 1980, les figures de la féminité commencent à se diversifier (il est permis d’avoir la peau moins blanche, les yeux moins bleus, le cheveu moins blond et moins lisse…) et que les rôles féminins s’enrichissent un peu en présentant par exemple des femmes qui travaillent, le « male gaze » persiste : dans les films d’action, elles ne sont pas au cœur de l’intrigue mais interviennent dans la para-intrigue romantique faite pour dévoiler que sous l’armure du héros se cache aussi un cœur d’artichaut ; dans les films policiers, elles sont bobonnes à la maison ou charmeuse d’indic ; dans les comédies familiales, elles sont les rabat-joie de service qui réorganisant le bazar joyeusement répandu par les enfants et le papa qui fait l’enfant ; dans le cinoche réaliste, elles sont pathétiques et enfermées dans des rôles de victimes ; dans les comédies romantiques, elles jouent et rejouent la belle au bois dormant, celle qui attend, attend, attend…

Bien sûr, en parcourant toute la cinémathèque, on trouvera des exceptions mais ce que met en évidence la pensée critique du cinéma à la lumière du genre, c’est une permanence des rôles stéréotypés et cela, qui que ce soit qui tienne la caméra, homme ou femme.

Derrière la caméra, au portefeuille et en coulisses…

Où sont les filles des pionnières d’Hollywood ?

Pourtant, parlons-en, de la personne qui porte le regard ! Alors que les femmes étaient à la réalisation dès les débuts du cinéma dans les années 1910, elles vont quasiment disparaître du corps des réal’ avec l’avènement d’Hollywood. Pour les documentaristes Julia et Clara Kuperberg, autrices de Et la femme créa Hollywood, c’est quand le cinéma devient une industrie à forts rendements que les femmes se trouvent écartées du pouvoir économique (du producteur) et du pouvoir artistique (du réalisateur). Elles prennent alors des places de second rang, plus ou moins créditées au générique…

Tapis rouge pour le plafond de verre 

Ainsi, elles sont seulement 7% parmi les réalisateurs américains en 2006 pour une proportion qui s’établit aujourd’hui à 16%. En France, on trouve en 2020 26% de films réalisés ou co-réalisés par des femmes, mais avec un véritable effet plafond de verre puisque les réalisatrices comptent pour 40% des auteurs de premier film pour n’être plus qu’entre 0% et 1% pour les films accédant au million d’entrées en salles. Sans surprise, les écarts de rémunération sont vertigineux : une réalisatrice touche en moyenne 31,5% de moins qu’un réalisateur.

Rideau sur la mixité des métiers

Les femmes sont également sous-représentées parmi les producteurs : elles ne sont que 21% à la tête de société de production cinématographique. En revanche, les femmes sont légion à certains postes des coulisses de l’industrie du cinéma : c’est 95% des scriptes, 88,5% des habilleurs/habilleuses, 81,5% des maquilleurs/maquilleuses, 68% des chargé·e·s de production. La balance des genres s’inversent à mesure qu’augmente le nombre de participations à des films : dans tous les métiers, les hommes sont davantage représentés que les femmes parmi les collaborateurs les plus fréquemment sollicités. Autrement dit, les intermittentes sont interchangeables tandis que les intermittents bénéficient d’une plus grande fidélité des producteurs et réalisateurs. Tou·te·s sont précaires dans les métiers de la prod mais de très sensibles écarts de richesse se creusent avec le différentiel de visibilité qu’offre une réputation acquise par effets de faveur au sein du milieu.

La peine intersectionnelle : apparence, origine, âge et genre…

Et ces rares femmes que le cinéma met en visibilité, qui sont-elles ? Séparons le cas des actrices de celui des autres personnalités de l’industrie pour aborder une même question : celle de l’intersectionnalité… Ou quand les asymétries liées au genre croisent les écarts liés à d’autres facteurs identifiés de discrimination/inégalité des chances.

Une diversité toute relative

Il apparait pour commencer que dans les métiers du cinéma, la blancheur est encore largement de rigueur. Surtout quand on est une femme. Depuis quelques décennies, les hommes qui n’ont pas le type caucasien parviennent à se faire une place à la réalisation et dans une moindre mesure dans les sphères du financement du 7è art. Les femmes de type oriental, africain ou asiatique percent nettement moins. C’est moins flagrant chez les acteurs/actrices où l’on a observé, pour les femmes comme pour les hommes, une diversification des castings ; mais il a encore fallu batailler dans les années 1990 et au début des années 2000 pour que les stéréotypes de l’exotisme ou du misérabilisme ne viennent pas biaiser la distribution des rôles et qu’à talent équivalent, ce ne soit pas la carnation ou le morphotype qui surdétermine la légitimité à jouer un flic, un patron, un délinquant ou un politicien…

Diversifié·e·s, pourquoi pas… Tant que la beauté y est !

Modulo les exigences du scénario mais aussi l’apparence. Pour l’ensemble de celles et ceux qu’on voit à l’écran, ça compte… Et plus encore quand il s’agit de femmes, le cinéma persistant à présenter une version de la féminité d’abord caractérisée par une beauté normée. La diversification des types de beauté admise n’est en effet que relative : si le nuancier des teintes de peau et des types de chevelure s’est étendu, la minceur demeure une règle générale renvoyant à l’exception notable celles qui crèvent l’écran malgré une taille supérieure à 38…

Le droit de vieillir ?

Cette minceur n’est pas sans lien avec un idéal de féminité encore traversée par le jeunisme : en effet, si les hommes ont le droit de vieillir à l’écran, les femmes s’y montrent dans la fraîcheur la plus longtemps possible conservée avant de disparaître des radars pour revenir éventuellement dans des rôles de mamie plus tard. Cette invisibilisation des actrices d’âge moyen est notamment dénoncée par le collectif Tunnel de la Comédienne de 50 ans qui fait valoir qu’outre la perte de chances professionnelles que constitue la raréfaction des rôles proposés sur la tranche 50-70 ans, c’est tout une imagerie de la féminité qui est renvoyée à la société, au risque de laisser aux femmes « normales » le sentiment de ne plus mériter d’être regardées passé un certain âge.

Quelle conscientisation pour quelles actions ?

De la place des femmes dans le cinéma, on discute beaucoup depuis quelques années. Il ne se passe désormais plus une édition de festival ni plus une cérémonie de récompenses sans que soit a minima soulignée la permanence d’un sexisme inconscient dans le secteur.

Inconscient, vraiment ? En réalité, la prise de conscience a eu lieu, favorisant d’une part les communications de bonne volonté sur tel ou tel effort pour « avoir des femmes » dans son jury ou dans sa sélection et d’autre part un certain nombre d’initiatives issues des professionnel·le·s engagé·e·s (comme par exemple les actions du Collectif 50/50, la marche des 82 sur le tapis rouge, les projets de Time’s Up aux Etats-Unis etc.) ou de mécènes (comme par exemple le programme « Women in Motion » en marge du festival de Cannes).

Mais cette prise de conscience se heurte à une résistance qui semble difficile à dépasser : la tension entre la liberté créatrice intrinsèquement liée à la noblesse de l’art et les exigences des évolutions de la société. Finalement, c’est un peu le même débat que celui qui dans nos entreprises met en frottement la fascination pour le talent et le devoir d’équité. Un débat philosophique assurément passionnant auquel le 7è art ne peut doublement pas échapper : d’abord, parce que c’est une industrie qui emploie et se doit comme les autres de proposer une expérience collaborateur équitable ; ensuite parce qu’exerçant un soft power non négligeable, elle est forcément interpelée sur sa place et son rôle dans la construction et les mutations de l’imaginaire collectif.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.