Un pionnier de l’égalité : John Stuart Mill

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L’engagement des hommes, une tendance récente?

Pas si sûr! Depuis l’ouverture de son dossier consacré à la participation des hommes au mouvement pour l’égalité, le blog EVE ne cesse de (re)découvrir des figures de pionniers, qui ont combattu en leur temps pour les droits des femmes, nous ont légué tout un corpus d’idées indispensables pour comprendre et défendre le sujet et peuvent constituer, pour les hommes d’aujourd’hui, d’authentiques « rôles modèles ».

 

Après avoir retracé le parcours d’un Condorcet défendant les droits politiques des femmes, nous vous proposons aujourd’hui de nous pencher sur la pensée égalitaire de l’un des plus brillants philosophes et économistes du XIXè siècle : John Stuart Mill.

 

 

 

Tombé dans le chaudron de l’utilitarisme quand il était tout petit

John Stuart Mill nait en 1806. Son père est James Mill, également philosophe et économiste, figure éminente du courant utilitariste fondé par Jeremy Bentham.

La théorie benthamienne dans laquelle le petit John baigne est séduisante : postulant la quête « naturelle » du bonheur par chaque individu, elle veut définir par quel mécanisme on parvient à faire de l’addition de ces intentions de bonheur individuel un capital de bien-être collectif. En quelque sorte, il s’agit de définir la feuille de mission de la fameuse « main invisible » qui, chez Smith, touille avec énergie les intérêts individuels pour cuisiner de l’intérêt général.

 

Pour Bentham, c’est l’utilité qui est l’ingrédient magique de la recette du « plus grand bonheur du plus grand nombre« . Il mise donc sur une forme de rationalité qui en chacun.e guide l’action vers le bonheur, chez lui confondu avec le plaisir : le bonheur est meilleur quand il dure, donc l’individu va être capable d’économiser les ressources qui le lui procure (par exemple, celles de la nature) pour ne pas insulter son plaisir futur ; le bonheur est meilleur quand il est « étendu« , donc l’individu va rechercher à le partager avec d’autres (on offre une partie de sa pitance, parce que c’est plus agréable de dîner entre copains que de se goinfrer dans son coin) ; le bonheur est meilleur quand il est « fécond« , donc l’individu va préférer le bonheur qui crée d’autres sources de bonheurs plutôt que le bonheur auto-destructeur qui tue la poule aux oeufs d’or…

 

Tentant logiciel, n’est-ce pas, que celui qui réconcilie l’égoïsme bien ordonné avec l’éthique civilisationnelle? Un vrai vent d’optimisme souffle alors sur les mondes des idées outre-manche…

 

 

Quand John découvre les émotions, rencontre la femme et « tue le père »

Au départ, John, brute de travail de travail surdouée (il étudie sans relâche l’éco et la philo depuis l’âge de 12 ans), y croit vraiment.

Mais à 20 ans, c’est le choc : victime de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « burn out » (une profonde dépression liée au surmenage), il se regarde tout à coup en « machine à penser » qui, malgré les impeccables rouages de la doxa utilitariste qu’il a épousé, doit bien faire le constat qu’il n’est pas heureux… Mais alors pas du tout, et il attribue cela au fait qu’il ne laisse pas suffisamment de place dans sa vie aux sensations, aux sentiments et aux émotions. Il trouve à cette époque réconfort dans la poésie lyrique de William Wordsworth qui lui inspire l’idée d’un « utilitarisme indirect« , portant aussi les valeurs, les sentiments et les émotions au rang d’ « intérêts« 

 

… C’est aussi bientôt dans l’amour qu’il trouve de bonnes raisons de renouer avec l’espoir : il vit en effet une relation passionnée avec Harriet Taylor, alors mariée à un autre et qu’il attendra près de 15 ans pour pouvoir épouser. Harriet s’assume comme féministe, et elle a un thème de travail de prédilection : les effets néfastes de la dépendance financière des femmes pour les économies et sociétés. Un siècle et demi avant la parution des Rapports McKinsey (entre autres), elle met en évidence le gâchis phénoménal de ressources et compétences que génèrent les inégalités femmes/hommes.

 

John Stuart Mill, convaincu par la brillante démonstration de sa compagne, fait une prise une conscience déterminante : son père et tous ses copains philosophes, économistes ou scientifiques (Bentham, mais aussi Ricardo, théoricien de la distribution des richesses ou Allen, grand pourfendeur de l’esclavage) sont complètement passés à côté de cette part de l’ « utilité » que les femmes peuvent apporter au collectif, mais encore l’ont-ils traitée par le mépris, balayée du revers de la main au motif que l’intérêt des femmes serait compris dans celui des leurs pères et maris. Point à la ligne, on passe à la suite.

 

Enfin, pas pour John, qui s’empare de la question et s’oppose bientôt publiquement à son père, sur le vote des femmes en particulier ; tandis qu’il continue à entretenir un dialogue extrêmement fructueux avec Harriet pendant toute la durée de leur « affair » puis de leur mariage. Echanges qui nourriront notamment l’écriture de deux de ses grands ouvrages : Principes d’économie politique et De l’assujettissement des femmes.

 

 

 

 

Une magistrale leçon de mixité co-constructive en action

Avant d’entrer dans le détail de ce que contient cet indispensable essai sur l’égalité, arrêtons-nous un instant sur la relation qui unit Harriet et John et constitue une magistrale leçon de mixité co-constructive en action.

 

Dans son autobiographie, John Stuart Mill présente sa rencontre avec Harriet Taylor comme « le début de l’amitié la plus importante de [sa] vie« .

De l’amitié? Mais ne venons-nous pas de dire qu’il en était fou amoureux? Si, mais ce n’est pas incompatible, surtout pour Mill, qui tient l’amitié en haute estime, car c’est un lien électif (la relation n’est pas fondée par des considérations patrimoniales, mais par le choix personnel et réciproque de s’aimer) et libre (il n’est pas de schéma social imposé à l’amitié comme il en est au mariage, le « duo » peut donc construire sa relation à sa façon, hors les dialectiques traditionnelles de soumission).

 

L’amitié, c’est encore pour Mill, une vision partenariale du travail de l’esprit : on ne pense pas tout seul dans son coin, on pense dans l’altérité, dans le partage et la confrontation des idées qui permettent de cheminer ensemble sur les voies de la réflexion pour co-construire de l’intelligence.

 

Ainsi, tandis que d’autres hommes de son époque ne sentent pas trop mal à l’aise avec l’idée de s’approprier les travaux et oeuvres de leurs compagnes, John Stuart Mill, lui, rendra hommage à Harriet Taylor dans ses Mémoires en une phrase sans ambages : « Toutes mes publications furent tout autant les œuvres de ma femme que les miennes« . (voir l’extrait complet, en fin d’article)

 

 

De l’assujettissement des femmes, plaidoyer pour une égalité totale

En l’occurrence, parmi ses publications, l’une retient forcément notre attention : De l’assujettissement des femmes (écrit entre 1860 et 1869, après la disparition d’Harriet Taylor — décédée en 1858).

 

Faire naître le sujet dans les consciences

 

On vous aura prévenus!

Le livre se découpe en 4 grandes parties, dont la première, formidablement didactique, s’attache en particulier, à faire naître le sujet dans les consciences. « C’est toujours une lourde tâche que d’attaquer une opinion à peu près universelle. A moins d’un très grand bonheur ou d’un talent exceptionnel, on n’arrive pas même à se faire écouter« , dit humblement Mill, comprenant qu’il se heurte, pour commencer à un tel consensus sur le principe d’inégalité que c’en est un non-sujet.

 

Mais alors, quel « intérêt » (rappelez-vous, c’est un utilitariste qui parle) à instruire une question qui ne fait débat pour personne ou presque? Ben, en fait, tout est dans le « ou presque », parce que Mill, qui fréquente les milieux progressistes de son temps, voit monter chez les femmes une contestation de l’ordre social qui les soumet, et cette contestation va, selon lui, dans le sens de l’histoire de l’humanité.

On peut dire qu’en quelque sorte, il prévient aimablement ses contemporain.es de ce qui les attend, dans un « monde moderne où l’homme ne naît plus à la place qu’il occupera dans la vie, qu’il n’y est plus enchaîné par un lien indissoluble, mais qu’il est libre d’employer ses facultés et les chances favorables qu’il peut rencontrer pour se faire le sort qui lui semble le plus désirable« , ce qui ne sera pas sans forcément susciter une certaine envie chez les femmes aussi.

 

Fin analyste des stéréotypes intériorisés qui retardent (mais retardent seulement) la libération des femmes

Même si, en déjà fin analyste des stéréotypes, Mill prévoit que la libération des femmes sera freinée par tout un cortège de contraintes intériorisées. « Toutes les femmes sont élevées dès l’enfance dans la croyance que l’idéal de leur caractère est tout le contraire de celui de l’homme; elles sont dressées à ne pas vouloir par elles-mêmes, à ne pas se conduire d’après leur volonté, mais à se soumettre et à céder à la volonté d’autrui. On nous dit au nom de la morale que la femme a le devoir de vivre pour les autres, et au nom du sentiment que sa nature le veut : on entend qu’elle fasse complète abnégation d’elle-même, qu’elle ne vive que dans ses affections, c’est-à-dire dans les seules qu’on lui permet, l’homme auquel elle est unie, ou les enfants qui constituent entre elle et l’homme un lien nouveau et irrévocable.« 

 

 

Un asservissement exceptionnel, qui traverse toutes les conditions humaines

 

Dans le deuxième chapitre, John Stuart Mill retrace l’histoire de l’assujettissement des femmes pour démontrer le caractère exceptionnel du (mauvais) traitement qui leur est depuis toujours réservé : même l’esclave, dans sa condition inacceptable (la question est à l’agenda des discussions politiques à l’époque où Mill écrit) a une « case » à lui et un petit pécule qu’il gère à sa guise ; mais la femme n’est que chez son mari (quand même le logement proviendrait d’un héritage de son côté) et ne possède aucun bien (les siens éventuels lui étant confisqués pour être remis entre les mains de l’époux, par les lois du mariage).

Quelle que soit la condition sociale, depuis les populations les mieux loties jusqu’aux moins nanties, les femmes ont toujours moins que leur mari. Les femmes n’ont même rien, en fait, à son époque.

 

Un « bon maître » reste un « maître »

Certaines ont néanmoins la chance d’avoir un « bon maître« , aimant et respectueux, les chérissant et leur donnant droit à la parole. Si c’est là-dessus qu’il faut compter, qu’on permette donc aux femmes de tester autant de conjoints qu’elles veulent jusqu’à ce qu’elles trouvent le bon, dit Mill avec un certain goût pour la provocation. 

Allez, trêve de blague (car les esprits victoriens goûteront modérément l’argument d’ironie) et un peu de sérieux : on ne raisonne pas en matière de loi par l’exemple de la relation satisfaisante qui n’a précisément besoin de la loi pour installer et garantir des rapports équitables. On ne répond pas à la question d’une inégalité généralisée par des « moi, m’sieur, je connais une femme qu’elle est bien traitée… Et même que j’en connais peut-être deux! »…

 

Les femmes qui prennent le pouvoir sont des tyrans? Parce qu’elles l’obtiennent dans de mauvaises conditions!

On n’y répond pas non plus par des « Oui, ben, y en a aussi qui sont de vraies harpies et c’est leur bonhomme qui en pâtit ».

Voilà quand même un point sur lequel Mill s’arrête : « le pouvoir corrompu » qu’exercent certaines femmes étant parvenues à « retourner la domination » et qui établissent « une contre-tyrannie qui fait des victimes dans l’autre sexe« .

Vous y voyez la raison même de ne pas accorder trop de pouvoir aux femmes quand on voit ce qu’elles en font, ces despotes en puissance ? Mill y voit au contraire le motif exact de leur accorder un pouvoir juste et institutionnel, qui ne procédera ni de la bienveillance à géométrie variable d’un mari ouvert d’esprit (ou paternaliste) ni d’un putsch conjugal renversant une autorité totalitaire pour une instaurer une autre, mais bien d’une égalité entre conjoints « gouvernant » ensemble, en « associés » la famille. Deux chefs pour le prix d’un, si c’est pas une bonne affaire, quand même!

 

 

L’égalité dans la vie privée… Et dans la vie publique aussi!

 

Suffisamment d’hommes « compétents » pour se passer de la compétence des femmes?

On l’a vu venir, ce troisième chapitre où Mill assume « que le principe d’égalité complète » qu’il prône « entraîne une autre conséquence, l’admissibilité des femmes aux fonctions et aux occupations qui, jusqu’ici, ont fait le privilège exclusif du sexe fort.« 

Comme Condorcet un petit siècle plus tôt qui s’étonnait que l’on supporte la présence d’hommes incompétents aux responsabilités quand des femmes compétentes en sont écartées, Mill fait le constat qu’il n’y a pas « si grand excès d’hommes propres aux hautes fonctions, que la société soit en droit de rejeter les services d’une personne compétente« .

Quelle bande d’imbéciles malheureux serions-nous si nous préférions encore des hommes nuls à des femmes douées!

 

Les femmes cantonnées à certaines fonctions auxquelles leur sexe les prédispose?

Ah, bon, d’accord, alors pour certaines fonctions, à la rigueur, pour lesquelles les femmes sont supposées meilleures. Tut, tut, tut, qu’on se le dise et redise encore, « les prétendues différences mentales entre l’homme et la femme ne sont que l’effet naturel des différences de leur éducation, elles n’indiquent dans leur nature aucune différence foncière, bien loin d’indiquer une infériorité radicale. »

Ne préjugeons donc pas de ce que les femmes savent et peuvent faire, mais « voyons les femmes comme elles sont, ou comme on sait qu’elles ont été, et jugeons l’aptitude qu’elles ont déjà révélée dans les affaires. » Celles qui ont exercé le pouvoir, dans des circonstances qui le leur auront permis, les Reine Elisabeth et Victoria, pour ne pas les nommer, font bien la démonstration que l’art de gouverner « à la hauteur des plus élevées » n’a pas de sexe!

 

Mais le cerveau a-t-il un sexe?

N’allez pas chercher à dire le contraire en vous fondant sur les découvertes récentes (à l’époque) des naissantes neurosciences : la « preuve faite » que « le cerveau d’une femme soit plus petit que celui d’un homme » est scientifiquement discutable (Mill a noté que les médecins qui ont fait des comparaisons de cerveaux entre femmes et hommes n’ont pas tenu compte de variations de taille des individus, ne comparant que des cerveaux de femmes petites avec des cerveaux d’hommes grands) mais surtout qu’ « on ne sait pas bien encore quelle relation précise il y a entre le cerveau et les facultés intellectuelles« .

 

Des femmes d’excellence, pas d’exception. En nombre, mais invisibilisées.

Mary Somerville

En attendant, il faut bien admettre que d’Hypathie à Mary Somerville en passant par Héloïse d’Argenteuil (et d’autres que Mill cite), il est bien de grands et brillants esprits féminins pour sérieusement ébranler la conviction que l’intelligence est une faculté plutôt testostéronée (qualification anachronique de notre part, s’il en est).

 

Toutefois, il est un vrai problème de reconnaissance qu’en authentique pionnier, Mill soulève : les femmes d’excellence existent, et en nombre, mais elles ne sont pas assez visibles ni suffisamment influentes. Cela vient en partie d’un défaut d’ambition de leur part, car « les femmes ont rarement soif de renommée. L’influence qu’elles cherchent ne s’étend pas au-delà du cercle qui les entoure. » Mais il faut aussi bien reconnaître qu’elles sont pénalisées par une appréciation sociale dégradée de leur bon droit à se mettre en lumière, quand « le désir de la renommée passe chez elles pour de l’effronterie« .

 

 

De l’intérêt des hommes (avec un grand H et un petit h) à l’égalité

 

C’est pas le tout, mais maintenant que Mill a bien exposé l’ensemble des raisons qui font de l’égalité femmes/hommes un objectif juste, encore faut-il réussir à engager ceux qui, dans les faits, ont entre les mains, le pouvoir de changer les choses. Les hommes, donc. Et c’est ce à quoi s’attèle l’ultime chapitre de De l’assujettissement des femmes, en développant toute une rhétorique de l’intérêt à l’égalité.

 

Le gouvernement des dominants pour les dominants n’est pas brillant-brillant

Mill part du plus général : « le gain prodigieux pour l’humanité » que représentent toutes les formes de la renonciation à l’asservissement d’autrui.

Ceux qui dominent les autres gouvernent mal le monde : parce qu’ils sont emplis de « penchants égoïstes et de culte de soi-même » ne les poussant à servir que leurs propres intérêts, et cela souvent dans « la faiblesse de caractère » propre aux incontestés et dans la crasse idiotie dont ne sont pas même conscients ceux qui ne confrontent jamais leur point de vue à des opinions contraires. Bref, les hommes vont se faire « challenger » par les femmes, pour leur plus grand bien!

 

« Doubler la somme des facultés que l’humanité aura à son service »

Secundo, quiconque sait faire une simple addition constatera aisément que laisser les femmes penser par elles-mêmes, parler en leur nom et exercer des responsabilités, c’est « doubler la somme des facultés intellectuelles que l’humanité aurait à son service : il y a une telle pénurie de personnes propres à faire parfaitement tout ce qui exige une capacité considérable, que le monde fait une perte extrêmement sérieuse en refusant de faire usage d’une moitié de la quantité totale des talents qu’il possède. » Stop au gaspillage de ressources!

 

Un monde meilleur, un monde de progrès, avec les femmes

Tertio, (attention argument légèrement essentialiste en vue), les femmes apportent au monde de la sensibilité, de l’empathie et de la paix, mieux que ne savent le faire les hommes.

Mill en veut pour preuve que « leur influence compte pour beaucoup dans deux des traits les plus frappants de la vie moderne en Europe, l’aversion pour la guerre, et le goût de la philanthropie« . Vous voulez un monde meilleur ? Demandez aux femmes, elles ont plein de bonnes idées pour ça!

 

Vivre en bonne intelligence avec l’autre sexe est une voie sûre du bonheur

Quatro, (c’est du Happy Men avant la lettre), il y a généralement moins de bonheur à vivre avec quelqu’un qui est là par obligation que par plaisir. Pour Mill, les hommes minimisent leurs chances d’être bien en ménage quand ils soumettent les femmes au lieu de les considérer comme leurs interlocutrices légitimes.

Epargnez-vous, messieurs, des relations tendues et des prises de distance abyssales avec celle qui partage votre vie, mais recherchez plutôt le dialogue et le compromis. Ce à quoi les femmes ne consentiront qu’à condition d’être certaine que leur voix au chapitre est parfaitement égale à celle de leur conjoint. Sinon, à quoi bon discuter, si à la fin, c’est toujours le même qui a raison?

 

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE.

 

 

 

John Stuart Mill, dans le texte

 

– Sur la mixité co-constructive

« Lorsque deux personnes partagent complètement leurs pensées et leurs spéculations, lorsqu’elles discutent entre elles, dans la vie de tous les jours, de tous les sujets qui ont un intérêt moral ou intellectuel, et qu’elles les explorent à une plus grande profondeur que celle que sondent d’habitude et par facilité les écrits destinés aux lecteurs moyens ; lorsqu’elles partent des mêmes principes, et arrivent à leurs conclusions par des voies suivies en commun, il est de peu d’intérêt, du point de vue de la question de l’originalité, de savoir lequel des deux tient la plume. Celui qui contribue le moins à la composition peut contribuer davantage à la pensée ; les écrits qui en sont le résultat sont le produit des deux pris ensemble, et il doit souvent être impossible de démêler la part qu’ils y ont chacun, respectivement, et d’affirmer laquelle appartient à l’un, et laquelle, à l’autre. Ainsi, au sens large, non seulement durant nos années de vie maritale, mais encore durant les nombreuses années de complicité qui les précédèrent, toutes mes publications furent tout autant les œuvres de ma femme que les miennes… »

Mémoires, 1894

 

Sur l’importance de considérer le sujet de l’égalité avec la même rigueur que toute autre question philosophique

« Le moins qu’on puisse demander, c’est que la question ne soit pas préjugée par le fait existant et l’opinion régnante, qu’elle reste ouverte au contraire, que la discussion s’en empare, et l’agite au double point de vue de la justice et de l’utilité : ici comme pour toutes les autres institutions sociales, la solution devrait dépendre des avantages que, d’après une appréciation éclairée, l’humanité sans distinction de sexe en pourra retirer. La discussion doit être sérieuse; il faut qu’elle aille au fond et ne se contente pas d’aperçus généraux et vagues. Par exemple, on ne doit pas poser en principe que l’expérience a prononcé en faveur du système existant. L’expérience n’a pu décider entre deux systèmes tant que l’un d’eux seulement a été mis en pratique. On dit que l’idée de l’égalité des sexes ne repose que sur la théorie, mais nous rappellerons que l’idée opposée n’a pas d’autre fondement que la théorie.  »

De l’assujettissement des femmes, 1869