Quand le D2C rencontre le « social business »

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Rencontre avec Elodie Neil, directrice « Direct to Consumer » de Danone

Le blog EVE donne la parole à des figures féminines inspirantes du monde de l’entreprise Il s’intéresse aussi à tous les champs de l’innovation qui amènent de nouvelles perspectives économiques et initient des transformations dans les organisations.Il est encore particulièrement attentif à ce qui se passe dans l’univers du « social business », espace particulièrement dynamique de l’empowerment des femmes à l’heure actuelle.

A ce triple titre, le blog EVE a souhaité rencontré Elodie Neil, directrice « D2C » de Danone pour la division Eaux, qui coopère notamment avec Ecosystème.

Eve le blog : Bonjour Elodie. Le blog EVE est curieux… Il aime se faire raconter le parcours des personnes qu’il interviewe. Quel a été le vôtre?

Elodie Neil : J’ai commencé ma carrière très jeune, juste après un BTS. J’avoue que longemps, j’ai été un peu mal à l’aise de ne pas avoir un diplôme plus élevé, comme beaucoup de cadres dans le milieu professionnel où j’évolue. J’avais besoin de prouver que j’étais aussi compétente que ceux qui sortaient des grandes écoles, alors j’ai énormément travaillé. J’ai provoqué mon destin, j’ai été combative en ayant toujours à coeur d’être extrêmement rigoureuse et fiable.

Ca a plutôt payé, car à 30 ans, je suis entrée au Comité de direction de l’entreprise de « contact center » où j’avais débuté. Mais tout en me permettant effectivement de progresser, cette stratégie m’a un peu coûtée aussi : je me suis parfois épuisée et si j’ai pu monter en responsabilité, ça n’a pas toujours été avec la reconnaissance qui m’aurait été due. A la trentaine, j’ai pris conscience de deux choses : 1/ qu’il n’y a pas que le fait d’être compétente, loyale et bosseuse qui fait la différence dans le travail, et 2/ que j’avais tout de suite besoin et envie d’un meilleur équilibre.

Eve le blog : Comment aborde-t-on avec sa hiérarchie cette demande d’un meilleur équilibre vie pro/vie perso quand on a jusque là essentiellement montré qu’on avait une immense capacité de travail?

Elodie Neil : Dans mon cas précis, on l’aborde après une nuit d’insomnie! La veille, j’étais rentrée comme d’habitude vers 21 heures et j’avais eu une conversation très émouvante avec ma fille aînée, mon petit bout d’à peine 5 ans, adorable et très mature dans sa façon de me dire qu’elle avait besoin de me voir davantage. J’étais bouleversée.

J’ai provoqué un déjeuner avec mon chef le lendemain, j’ai carrément mis le sujet au menu, « Je n’arrive plus à gérer les deux. Il me faut une autre organisation pour concilier mon travail et ma vie de famille!« . Et j’ai mis les pieds dans le plat « Et si je prenais mes mercredis?« . C’était du jamais-vu dans la maison, un membre du comité de direction qui travaille aux 4/5è! Mais j’ai eu de la chance, à ce moment là, mon boss avait besoin de moi. On s’est mis d’accord sur le fait qu’on essaierait et que si ça ne marchait pas, on trouverait autre chose…

 

Eve le blog : Cette expérience montre qu’on a tout à gagner à demander…

Elodie Neil : Oui, bien sûr, c’est la démonstration du proverbe « qui ne demande rien n’a rien! » Il faut oser demander, même si ce n’est pas facile. Même si ce n’est pas dans les habitudes des femmes. A cause de notre éducation sans doute : par exemple, on ne demande pas trop d’augmentation de salaire, on ne sait pas faire, on pense que ce n’est pas la priorité dans le travail… On s’attache au sens, on veut un travail intéressant, on veut faire des choses utiles.

Tout ceci est essentiel, bien sûr, exercer un métier qui a de l’impact positif sur le collectif, c’est fondamental. Il faudrait seulement réussir à ne pas l’opposer à ce qui a aussi de l’importance pour soi, ses conditions de travail, sa rémunération, la reconnaissance

Eve le blog : Ce temps partiel que vous avez choisi à une époque où vous aviez un besoin urgent de concilier vie pro et vie familiale, continuez-vous, aujourd’hui alors que que vos enfants sont grandes, à le pratiquer ?

Elodie Neil : Oui, et mon temps partiel, c’est aussi du temps pour moi : c’était déjà le cas quand les filles étaient petites et que tout en prenant plus de temps pour elles, je me réservais déjà des plages pour respirer ; c’est encore plus le cas aujourd’hui où j’occupe mon mercredi à des activités qui me ressourcent, me font voir d’autres choses que le travail. Car même si j’adore mon boulot, j’ai acquis la conviction que l’équilibre n’est possible qu’en faisant des choses diversifiées et en alternant les rythmes.

En entrant chez Danone, il y a 12 ans, pour y prendre à l’époque le poste de « directeur du CRM en B2B » (ndlr : la gestion de la relation clients d’entreprise à entreprise), j’ai posé mon temps partiel comme condition… Enfin, pas tout à fait au départ : j’ai plutôt eu le réflexe de dire à la personne qui me proposait le job que je travaillais au 4/5è et que je comprendrais que ce soit un frein à mon recrutement ! En fait, Danone est Danone et ce n’était pas un obstacle. Certes, il y a peu de directeur ou directrice à temps partiel, mais on fonctionne en mode projet, ce qui compte c’est de fixer et atteindre des objectifs. La façon dont on s’organise pour cela est ouverte.

 

 

Eve le blog : Quelle a été votre évolution professionnelle chez Danone ?

Elodie Neil : Après avoir démarré sur la fonction nationale au CRM B2B, j’ai pris le périmètre international et corporate. Puis je suis passée au pôle « eau » pour travailler sur la proximité. C’est ce qui m’a amenée à devenir, il y a 3 ans, directrice du D2C (ndlr : « Direct to Consumer »). Le Directeur de la Division Eaux était convaincu que nous devions y aller !

 

 

Eve le blog : Le poste existait ?

Elodie Neil : Le poste n’existait pas, non. Je l’ai imaginé et développé, au départ comme un projet parmi d’autres dans ma mission « proximité ». Puis j’ai perçu le fort potentiel business du D2C et dans une démarche assez intrapreneuriale, j’ai commencé à mettre en place un service dédié.

 

 

Eve le blog : Concrètement, c’est quoi le D2C ?

Elodie Neil : Le D2C, c’est la vente directe au consommateur. En trois points de contact principaux : home, street et office (ndlr : dans les foyers, dans la rue, sur les lieux de travail).

 

 

Eve le blog : On voit depuis longtemps des distributeurs de boissons dans les entreprises, dans les transports publics… C’est quoi la différence?

Elodie Neil : Le distributeur, c’est une mise à disposition de boissons sur le parcours du consommateur. Le principe du D2C, c’est d’aller à la rencontre du consommateur, de lui apporter nos produits et services à valeur ajoutée. Il a différents outils à sa disposition pour passer sa commande, lors du passage du vendeur, via internet, ou bien encore via de nouvelles technologies comme par exemple des terminaux de commande que nous installons dans les halls des résidences ; mais ce sont des personnes, des ambassadeurs de nos marques qui vont ensuite faire la livraison.

C’est créateur d’emplois… Et donc d’empowerment. Pour des personnes par exemple, qui n’ont ni revenus ni occasions de sortir de chez elles, dans certains pays en développement comme plus près de nous, c’est une voie concrète parmi d’autres d’insertion, de socialisation et de prise en main de sa propre destinée.

Cela, moi qui suis une femme du business, je ne l’avais pas forcément perçu au démarrage. C’est quand j’ai rencontré les équipes Ecosystème, et notamment Alexia Penent, que j’en ai pris pleinement conscience et que nous avons décidé ensemble d’articuler les actions du D2C  avec les objectifs « social business ». J’ai donc décidé d’ajouter dans notre stratégie l’impact social aux 3 autres impacts du D2C déjà évalués (impact business, impact sur l’image de la marque, impact sur notre crédibilité santé).

 

 

Eve le blog : Concrètement, ce qu’on pourrait appeler un partenariat entre le D2C et Ecosystème, comment cela s’illustre-t-il sur le terrain?

Elodie Neil : Avant d’entrer dans le détail des projets, je pense qu’il faut bien établir le positionnement de Danone dans cette démarche : nous comprenons que la marque est un média en soi et que les personnes qui commercialisent et livrent nos produits en sont les messagers.

Ce qui signifie qu’il est de notre intérêt mais aussi de notre responsabilité de nous assurer que ces personnes sont en bonne santé, qu’elles ne dorment pas dans la rue, qu’elles ont accès à l’hygiène, qu’elles se nourrissent bien et sont en sécurité. Cela implique que leurs conditions de vie et de travail nous intéressent et que nous sommes partie prenante de leur amélioration, ce qui fait que toute personne qui travaille sur nos projets n’obtient pas seulement une rémunération, mais accède aussi à des dispositifs de formation et de coaching.

Cela implique que nous sommes aussi parfois amenés à jumper sur les agendas des gouvernements. A ce titre, on peut citer l’exemple du Mexique : c’est un pays qui connait une très grave problématique d’obésité infantile, avec laquelle le Ministère de la santé se débat. L’une des clés pour y faire face, c’est de commencer par remettre l’eau à la table des familles et dans le cartable des enfants, là où aujourd’hui, on trouve le plus souvent des sodas très sucrés. Nous soutenons des programmes d’éducation en ce sens, mais nous savons que ça ne suffit pas, qu’il faut que le discours tenu à l’école sur l’alimentation saine entre aussi dans la vie réelle des familles. Alors, par exemple, le pôle D2C a imaginé un petit dispenser d’eau ludique aux couleurs des héros de dessin animé des enfants, qu’ils peuvent installer dans leur chambre afin d’accompagner les parents dans la continuité du « bon »  geste à avoir tous les jours

 

 

Eve le blog : Est-ce que vous avez certains projets tout particulièrement tournés vers l’empowerment des femmes?

Elodie Neil : Oui, nous avons un projet en Indonésie qui s’adresse exclusivement à des femmes : le Danone Aqua Home Service qui implique aujourd’hui un réseau de 5000 Aqua Ladies (3 ans et demi après son lancement). Ce projet permet à toutes ces femmes de travailler, ce n’est pas rien dans un pays qui a les a longtemps exclu du marché du travail légal.

Ca va avec une rémunération, évidemment, qui change forcément leur positionnement dans les familles. Ca va donc aussi avec de l’empowerment, de la prise de confiance en soi et un nouveau regard des autres. Ca va encore avec du leadership, parce que ces femmes qui gagnent en autonomie prennent des responsabilités dans l’animation de leur communauté et donnent un modèle inspirant à d’autres femmes, et à commencer par leurs propres filles qui voient leurs mères travailler et s’épanouir.

 

 

Eve le blog : Aujourd’hui, combien de projets « social business » le D2C porte-t-il?

Elodie Neil : Une dizaine, sur les cinq continents, du Mexique à l’Indonésie, en passant par la Turquie, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Cambodge. Nous travaillons sur des concepts en France…

 

 

Eve le blog : Avez-vous le sentiment que quand Danone impacte positivement l’économie et la société des pays où l’entreprise est présente, cela a aussi un effet positif sur la façon dont Danone interagit ici, en Occident, avec ses environnements?

Elodie Neil : C’est plus qu’un sentiment, c’est une certitude. Je le constate à mon échelle : quand je reviens des pays où nous mettons en place ces projets, je regarde la façon de faire du business de façon tout à fait différente.

Je suis alors pleine de nouvelles idées, qui sont à la fois simples et disruptives, c’est là le propos même de l’innovation. Je suis aussi pleine d’énergie et de courage, parce que j’ai vu de mes yeux vu qu’on peut œuvrer concrètement à changer des choses, sur le terrain. Je suis surtout confortée dans l’idée qu‘il faut que l’activité économique ait toujours du sens. Et du bon sens! Les vraies questions à se poser, quand on développe une offre, c’est « Qu’est-ce qu’on fait, avec qui, pourquoi et comment« ? Et si on synthétise encore, ça revient à demander « C’est quoi la valeur?« .

 

 

Eve le blog : Alors, c’est quoi la valeur, pour vous?

Elodie Neil : La valeur, c’est ce qui permet au plus de monde possible d’être gagnant et cela à grande échelle ! Pour ce faire, il faut que chacun-e, tout au long de la chaîne, y trouve son compte : Danone, le micro entrepreneur, le livreur.

Nous avons prouvé dans notre division Water que ces modèles économiques du D2C sont générateurs de croissance rentable, permettent de développer un lien direct et unique avec le consommateur, d’expliquer l’importance de boire de l’eau saine, et ont un impact social mesuré. Ce qu’il faut maintenant, c’est passer à la vitesse supérieure, en déployant ces modèles le plus possible, dans le plus d’endroits possibles. Et les installer non pas comme de seuls modèles tactiques mais comme de vrais modèles de distribution intégrés à nos stratégies, ce qui sera créateur de valeur.

Pour moi, avoir intégré cette dimension sociale dans notre business Water me rend plus fière de travailler pour Danone, cela donne encore plus de sens au business que nous réalisons, c’est maintenant intégré dans notre ADN !

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE, avec la complicité de Valérie Amalou (Danone).