Blog Vedette : rencontre avec Brigitte Laloupe, fondatrice d’Olympe et le plafond de verre

Eve, Le Blog Egalité professionnelle, Leadership

 

Suivi par des milliers d’internautes, primé par le magazine Elle en 2010, finaliste des International blog awards de la Deustche Welle en 2011, le blog Olympe et le plafond de verre fait désormais partie des incontournables de la blogosphère. A la fois pédagogique et impertinent, en prise directe avec l’actualité, ce blog est une inlassable tribune de dénonciation du sexisme et de promotion de l’égalité hommes/femmes.

Le blog EVE a choisi d’aller à la rencontre de sa fondatrice, Brigitte Laloupe, à qui l’on doit également l’éloquent ouvrage Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes?.

 

Programme EVE : Bonjour, la blogosphère vous connait depuis déjà plusieurs années sous le pseudo d’Olympe et le plafond de verre. Depuis la parution, en septembre dernier, de votre livre Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes?, nous savons qui se cache derrière Olympe, c’est vous, Brigitte Laloupe. Mais au fait, qui êtes-vous? Quel est votre parcours?

 

Brigitte Laloupe : J’ai fait toute ma carrière à la Sécurité Sociale. Jusqu’il y a trois ans, j’étais directrice d’une URSSAF. Aujourd’hui, je suis coach de dirigeants à la Sécurité Sociale. En fait, après le bac, j’ai fait des études de psychologie cognitive, qui m’ont passionnée. Mais à l’époque, la psychologie n’avait que peu d’applications en dehors du domaine psychiatrique. Ce n’était pas mon truc, je me suis donc orientée vers Sciences Po et je suis entrée à la Sécu. Pendant des années, à chaque fois que je montrais mon CV, la ligne « études de psychologie » interpelait. On se demandait pourquoi j’avais fait ça, si c’était une mauvaise orientation de départ, voire une erreur de jeunesse (sourire)… En fait, non, ce n’était pas une erreur de jeunesse. Je me suis toujours beaucoup intéressée aux gens. Il y a trois ans, je suis allée rencontrer la direction de la Sécurité Sociale et j’ai proposé mes services de coach de dirigeants. Mon projet a reçu un bon accueil, on m’a dit « Oui, pourquoi pas essayer? ». Donc, me voilà devenue la première (et aujourd’hui la seule) coach de la Sécu.

 

Programme EVE : Quand et pourquoi avez-vous ouvert votre blog?

Brigitte Laloupe : J’ai ouvert mon blog en 2008. Franchement, j’étais loin d’imaginer qu’il rencontrerait un tel succès. Au départ, j’ai fait ça un soir, chez moi, j’aime bien bricoler l’informatique, je trouvais ça amusant de créer un blog. Le sujet s’est imposé comme une évidence parce que depuis des années, j’avais l’impression de ne voir que des hommes mis en avant, partout, et j’avais le sentiment que j’étais la seule à m’en apercevoir. Donc, au début, ce que je voulais, c’était juste montrer ce que je voyais et que plein de gens ne semblaient pas voir : que, par exemple, sur les photos officielles, on ne voyait que des costards. D’ailleurs, mes premiers posts étaient des photos, presque sans commentaires. Et puis ça a pris, c’est la magie d’Internet, j’ai eu beaucoup de contacts avec des personnes qui m’écrivaient pour me dire qu’elles aussi, elles étaient choquées de ne pas voir assez de femmes et qu’elles en avaient assez des stéréotypes associés au genre. Aujourd’hui j’ai plus de 1000 visites par jour.

 

 

 

Programme EVE : Sur votre blog comme dans votre livre, vous vous attachez à mettre en évidence tous les mécanismes de domination symbolique et culturelle, dans la droite ligne des travaux de Pierre Bourdieu, que vous citez abondamment…

Brigitte Laloupe : Oui, c’est une référence essentielle pour moi. J’ai lu La Distinction à sa sortie en librairie, quand j’étais étudiante à Sciences Po. Ca a été un révélation. Plein de choses qui se passaient dans ma vie se sont soudainement éclairées. Dans mes influences, il y a aussi tous les théoriciens de la prophétie auto-réalisatrice, qui mettent en évidence qu’on devient ce que le regard des autres attend qu’on soit. Beaucoup de choses se jouent dans la perception a priori, surtout en matière de genre. Ca commence in utero, quand on dit d’un petit garçon qui donne des coups dans le ventre de sa mère que ce sera un futur footballeur, on un bagarreur… Ca se poursuit ensuite évidemment en famille et à l’école où l’on attend des filles qu’elles soient calmes, obéissantes, appliquées et des garçons qu’ils prennent des initiatives, qu’ils manifestent leur tempérament.

 

 

Programme EVE : à propos d’école, vous citez aussi Baudelot & Establet. Leur livre, Allez les filles!, est paru en 1992, il y a déjà 20 ans. Les données chiffrées ont été actualisées en 2006 mais les conclusions restent les mêmes : les filles ont d’excellents résultats scolaires, meilleurs que ceux des garçons, mais elles parviennent moins à valoriser leurs acquis scolaires ensuite. Rien ne bouge?

Brigitte Laloupe : Rien n’a bougé pendant longtemps. Mais beaucoup de choses bougent depuis trois-quatre ans. Les dispositifs légaux sur l’égalité hommes/femmes y sont pour quelque chose. Ca devient normal d’en parler et les hommes sont obligés de s’y intéresser parce que plus de place pour les femmes, c’est moins de place pour eux, du coup la question les concerne, de fait. Mais pour en revenir à l’école et à l’enfance, ce qui m’inquiète aujourd’hui, pour ma part, c’est l’hypersexualisation des petites filles. Et les gens qui suivent mon blog semblent également très préoccupés par cette question. D’ailleurs, je n’ai jamais autant de commentaires que lorsque je fais des billets sur les talons hauts, qui restent, avec les ongles vernis, les images caricaturales de la féminité.

 

Programme EVE : Justement dans votre livre, vous insistez beaucoup sur le poids des normes physiques et comportementales. Mais ne pensez-vous pas qu’il puisse y avoir aussi un authentique plaisir à s’habiller, à se maquiller, à porter de jolies chaussures quand on est une femme? Bref, se conformer à la norme de son genre peut aussi être une source de satisfaction, beaucoup de femmes qui se méfient du féminisme le revendiquent, en tout cas…

Brigitte Laloupe : Oui, il peut y avoir un plaisir à se conformer à la norme… Mais le problème, c’est justement que c’est une norme, pas un choix ouvert. Ca ne fait pas plaisir à tout le monde de porter des talons et des robes, du vernis à ongle et du rouge à lèvres. Certaines d’entre nous n’en ont pas du tout envie, sans pour autant supporter d’être renvoyée à la caricature inverse, celle du garçon manqué, ou à mi-chemin entre les deux extrêmes, à l’image d’une femme qui ne prendrait pas assez soin d’elle. Ajoutons que même pour les hommes, ce n’est pas toujours marrant de devoir se conformer à la norme : je plains toujours mes collègues masculins, en plein été, avec leurs vestes, leurs cravates et leurs mocassins. Et puis n’oublions pas qu’il y a quand même des inégalités qui se cachent derrière tout ça.

 

 

Programme EVE : Des inégalités qui vont se loger jusque dans la perception du sourire dans le contexte professionnel…

Brigitte Laloupe : C’est un point que j’aborde dans le livre et dont on me parle souvent. En effet, dans le chapitre sur les attributs inconscients et physiques de la dominance, je cite une étude de la British Columbia qui met en évidence qu’un homme qui ne sourit pas est perçu comme sérieux, grave, empreint d’autorité, quand une femme qui « fait la tronche » est vue comme acariâtre, hautaine, revêche.

 

Programme EVE : On a le sentiment que ce qui se joue dans tout ça, c’est la fameuse « crédibilité » dont on parle beaucoup quand il est question de nommer ou d’élire une personne à un poste à responsabilité. La « crédibilité » apparait comme une notion assez floue, plutôt intuitive et peut-être un peu arbitraire qui semble justifier la mise à l’écart de toutes celles et ceux qui n’ « inspirent » pas a priori la confiance et le sérieux, les femmes mais aussi les jeunes et finalement tous ceux qui ne correspondent pas au modèle établi de « l’homme de pouvoir ».

Brigitte Laloupe : L’argument de crédibilité ou disons de légitimité sert à coopter. Ce qui est en cause, c’est l’attirance pour ce qui nous ressemble, cela a bien été démontré par Bourdieu. On a plus confiance en ses « clones » sociaux. C’est ce qui crée l’entre-soi et ce qui fait que pour des postes à hautes responsabilités, les hommes qui recrutent ou cooptent ont plus confiance en d’autres hommes. Pour en sortir, il faut combattre le modèle masculin de la réussite, et c’est d’autant plus nécessaire que comme le montre très bien Brigitte Grésy dans son dernier rapport, de plus en plus d’hommes eux-mêmes ne se sentent pas à l’aise avec ce modèle, et demandent à en sortir.

 

Propos recueillis par Marie Donzel

Comments 1

  1. Le lien vers l’hyper sexualisation des petites filles est hyper interessant. C’était marrant aussi d’avoir un apperçu du CV d’Olympe. Merci pour cet interveiw !

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