Ce qu’il faut retenir du rapport de l’AFMD sur les femmes dirigeantes

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L’Association Française des Managers de la Diversité, à laquelle adhèrent nos entreprises partenaires SNCF, L’Oréal, Orange, Crédit Agricole S.A., Groupe Caisse des Dépôts, a récemment fait paraître un rapport de ses travaux sur la mixité des équipes dirigeantes.

 

Dirigé par l’universitaire Jacqueline Laufer (professeure émerite à HEC) et préfacée par la Ministre Najat Vallaud-Belkacem, ce riche document de plus de 200 pages fait un lucide état des lieux de la féminisation du top management, propose de fines clés d’analyse de la situation et de vraies pistes pour aller plus loin dans le partage des responsabilités au plus haut niveau.

 

L’équipe du blog EVE a lu « Femmes dirigeantes en entreprise : des parcours aux leviers d’action« . Voici ce qu’il faut en retenir :

 

 

La féminisation des équipes dirigeantes est en marche… Lente!

Oui, les femmes ont massivement investi l’univers du travail ; oui, elles progressent plus qu’auparavant dans le monde de l’entreprise ; oui, les freins à leur développement de carrière ont été identifiés et chacun-e s’accorde peu ou prou à considérer comme injuste qu’elles se heurtent au plafond de verre ; oui, les débats sur la parité ont permis d’enrichir le corpus commun de connaissances éclairées sur l’égalité professionnelle et le leadership féminin…

 

Malgré cela, il faut bien se rendre à l’évidence d’un constat : plus on monte dans la hirérachie et plus la mixité s’étrique. On trouve 38,6% de femmes au niveau cadre administratif et commercial, mais plus que 24% dans les conseils d’administration. Toutefois, c’est déjà beaucoup mieux que par le passé : il y a 7 ans, les femmes ne comptaient que pour 8,5% des membres des CA. Mais si la Loi Copé-Zimmermann a aidé ce « bond en avant », le chemin à parcourir pour atteindre une vraie mixité reste grand.

 

 

« Carrière au féminin » ou « carrière au masculin-féminin » : faut-il choisir pour réussir ?

Le rapport de l’AFMD, appuyé sur une enquête qualitative auprès de 42 femmes dirigeantes de 23 entreprises, enrichie des points de vue de six responsables des ressources humaines et de 4 dirigeants masculins, met en évidence une typologie enfermante du leadership féminin tel qu’il est pratiqué et perçu : c’est au choix « carrière au féminin » ou « carrière masculin-féminin ».

 

En d’autres termes, il est attendu des femmes dirigeantes qu’elles adoptent soit un style féminisé de leadership (dans les filières et métiers traditionnellement dévolus aux femmes et avec une façon d’être en résonnance avec les attentes stéréotypées qui s’adressent à elles : conciliation, humilité, perfectionnisme…) soit un style « virilisé » qui adoptent les codes traditionnels sans les challenger. Un dilemme sévère qui ne serait pas pour rien dans la perpétuation du plafond de verre

 

 

La mobilité, clé numéro 1 de l’accès aux plus hautes responsabilités

L’étude des parcours des femmes dirigeantes révèle cependant une grande variété de profils. Mais elles ont toutes un point commun qui semble avoir valeur de véritable levier dans la propulsion de leur carrière : elles ont bougé!

 

Fonctionnelle, inter-entreprises, sectorielle et/ou géographique, la mobilité est bien la première clé de l’accès aux plus hautes responsabilités. Hélas, c’est aussi trop souvent celle qu’elles hésitent à saisir quand elle vient tout particulièrement se heurter à l’articulation de la progression professionnelle avec l’équilibre de vie familiale.

 

 

Ca ne dépend pas que des femmes, ni que des entreprises : pour une co-construction des parcours

A ce stade, il serait tentant de dire qu’il faut savoir ce qu’on veut, que tout choix implique ses sacrifices et de renvoyer alors les femmes qui hésitent à saisir une opportunité à un moment charnière de leur carrière à un défaut de volonté, de vision ou de réalisme. A moins que l’on accepte de défier une perception par trop individualisée de la prise de décision pour soi… Sans pour autant collectiviser totalement la responsabilité du plafond de verre.

 

Autrement dit, si les femmes n’attrapent pas la balle au bond, ce n’est pas que de leur faute (faudrait-il pour commencer s’assurer qu’on leur a bien fait une passe et qu’elle n’était pas malgré elles sur le banc de touche à ce moment-là). Ce n’est pas non plus du ressort de l’organisation de les inclure à marche forcée. Mais il s’agit bien d’envisager une co-construction des parcours qui rende les choix possibles et réalistes, favorise la mobilisation et l’engagement, la visibilité et la prise de risques. Femmes au plan individuel et entreprises à l’échelle du collectif ont ensemble une carte à jouer pour la mixité aux postes de décision!

 

 

Les femmes ne portent pas en elles-mêmes le changement, c’est ce qu’on fait pour les intégrer qui transforme positivement les organisations

Cette carte, disent les auteur-es de l’étude, se joue au coeur de la stratégie d’entreprise et dans une perspective de performance accrue des politiques de développement des talents.

 

Selon la formule désormais consacrée qui veut que « ce qui est bon pour les femmes l’est pour toute l’entreprise« , il ne s’agit pas tant d’attendre des dirigeantes qu’elles portent à elles seules le changement que de saisir l’occasion de les intégrer pour challenger les process RH et ouvrir les parcours.

 

C’est aussi le moment pour le management, à tout niveau de la hiérarchie, d’interroger ses pratiques et notamment de clarifier ses intentions entre cooptation (des hommes entre eux, le plus souvent) et mentorat (des femmes par les hommes, dans le schéma ordinaire).

 

Bref, démarches de mixité et d’inclusion des diversités sont positivement impactantes quand elles engagent toutes et tous dans une réforme des façons de voir (les un-es et les autres dans leur singularité) et de faire (le job au quotidien comme carrière à moyen-long terme).

 

 

Concilation des temps de vie : le serpent de mère de la féminisation des hautes carrières

Sans surprise, toutefois, la question de la conciliation des temps de vie revient sur le tapis dès lors que l’on aborde la concrétisation des ambitions féminines. Entre savants calculs sur le « bon moment » pour avoir des enfants, inquiétudes sur le passage sensible du retour de congé maternité (quel poste vais-je retrouver?) et stratégies de négociations avec l’employeur comme avec le conjoint pour organiser les temps de présence au four et au moulin, la question de la parentalité au travail semble encore s’adresser prioritairement aux femmes.

 

La mobilité, dont a vu qu’elle était indispensable à la progression, vient encore accentuer cette problématique d’ « équilibre en perpétuelle négociation« , qui, malgré les situations diverses (couples à double-carrière ou carrière leader) et les accomodements organisationnels (travail à distance aux horaires non conventionnelles et pendant les vacances, délégation des tâches domestiques…) n’est pas sans contenir son lot de tensions, voire de culpabilités.

 

 

Repenser les parcours de mobilité

Alors, pour aller au bout de l’objectif de mixité des équipes dirigeantes, sans doute faut-il aussi repenser les parcours de mobilité et les diversifier. « Des politiques de mobilité souples » sont à imaginer, avec l’appui notamment des réseaux qui, disent les auteur-es du rapport, sont particulièrement inventifs et pro-actifs en la matière.

 

Cela passe aussi par une meilleure prise en considération des compétences acquises en dehors du strict milieu professionnel et par la valorisation des qualités humaines personnelles à leur juste mérite (et non comme de seuls marqueurs d’un féminin naturalisé).

 

 

Elargir le regard sur la figure de la « femme dirigeante »

Il faudra enfin se débarrasser de bon nombre de préjugés sur les femmes aux postes de responsabilités. Et les libérer du même coup des attentes multiples et parfois contradictoires qui les « coincent », quand il leur faut, pour être légitimes, se montrer aussi fermes que les hommes, mais, pour justifier de leur enrichissante différence, incarner des valeurs que l’on dit « féminines » ; ou bien quand il leur est demandé d’effacer qu’elles sont femmes derrière la fonction prétendument asexuée qu’elles occupent mais qu’il est leur est signifié en de multiples détails ordinaires qu’on les regarde comme des curiosités dans un monde majoritaitement d’hommes…

 

Ici, c’est la « neutralité » de façade du leadership, tel qu’il se conçoit dans le code classique, qui est mise en jeu : ce qui est neutre l’est-il vraiment ou bien est-ce bien plus imprégné de codes virils qu’on veut bien le dire?

 

Pour en finir avec les « injonctions paradoxales » et les « mises en scène » de rôles qui ne collent pas tout à fait à celles qui se sentent encore trop souvent obligées de les jouer, c’est bien un leadership (féminin et masculin) ancré sur « l’être soi » accepté qu’il est souhaitable de promouvoir et développer.

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE

 

 

 

Lire aussi :

– Notre lecture du rapport « Parcours croisés » de la Commission HEC au féminin

– Notre lecture du dernier rapport « Women matter » de MacKinsey

– Notre concept à la loupe « Le syndrome de la Schtroumpfette »

– Notre interview d’Emmanuelle Jardat, direction de l’innovation et de la RSE chez Orange Business Service France, à propos de la mobilité des femmes

– Note entretien avec Laurent Depond, directeur de la diversité du groupe Orange

– Notre entretien avec Olga Koenig, ex-directrice Open Sources and Career Path de Danone

– Notre entretien avec Jean-Claude Le Grand, Directeur du Développement International des RH et Directeur Corporate Diversités de L’Oréal