Hélène de Castilla, éditrice : « Le développement personnel n’est plus un « truc de bonne femme »… »

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Pratiquer la communication non-violente au travail, La stratégie de la bienveillance, Le pouvoir de négocier – s’affronter sans violence, Trouver la force d’oser, Les pouvoirs de la conscience… Derrière autant de titres d’ouvrages qui sonnent comme des manifestes pour des échanges humains, durables et responsables, il y a une femme, une éditrice : Hélène de Castilla.

Depuis plus de vingt ans, elle publie chez InterEditions « des livres qui font du bien » selon ses propres mots. Du bien aux individus qu’ils encouragent à prendre confiance et du bien aux organisations qui sont en demande de solutions pour faire de la qualité des relations humaines au travail un vrai levier de performance.

Mais si aujourd’hui, le « développement personnel » est un champ reconnu et valorisé des sciences humaines, de l’art du management et de l’édition, ça ne s’est pas fait en un jour. En retraçant son parcours d’éditrice, Hélène de Castilla nous raconte aussi l’histoire récente de l’acceptation des émotions dans la société française

Rencontre.

 

 

 

Programme EVE : Bonjour Hélène. Vous êtes en charge du fonds »développement personnel » d’InterEditions. Quel parcours vous y a menée?

Hélène de Castilla : Je suis historienne de formation. Avant mon entrée chez InterEditions, je travaillais aux côtés des Compagnons du devoir (ndlr : mouvement ouvrier né il y a 8 siècles qui promeut les valeurs du compagnonnage : éthique du travail bien fait, richesse de l’expérience pratique et transmission des savoir-faire), à l’élaboration de leur monumentale encyclopédie des métiers. J’avais auparavant travaillé dans une association de la Ville de Paris qui montait des expositions culturelles, principalement sur les rues et les monuments de la capitale. Je m’occupais notamment du catalogue de ces expositions.

Comme depuis toujours j’adore les livres, j’ai toujours désiré travailler dans l’édition. D’autre part, les mots et le défi intellectuel que représente le passage d’idées et d’émotions d’une langue à l’autre me passionnent. Aussi, quand, en 1991, je suis tombée sur une offre d’emploi proposant un poste de secrétaire d’édition chez InterEditions, j’ai sauté sur l’occasion. J’étais tout le contraire de ce qui était inscrit sur la fiche descriptive : on cherchait un-e scientifique bilingue, j’étais une littéraire qui n’avait pas passé l’anglais au bac (rire). J’exagère un peu : j’avais en réalité appris l’anglais en autodidacte, par passion pour la littérature anglo-saxonne. En revanche, je n’avais rien d’une scientifique : quand lors de l’entretien, on m’a parlé de RMN, j’ai pensé aux Musées Nationaux. Alors qu’il était question de Résonance Magnétique Nucléaire! (rire) Mais, ce jour-là, on a aussi parlé de Michel Crozier, dont la lecture des essais sur le comportement français m’avait beaucoup marquée. Quoiqu’il en soit, c’est bien moi qu’ils ont engagée ! Il ne faut donc jamais se priver d’une chance.

 

Programme EVE : Vous rejoignez donc InterEditions au début des années 1990. Quel type d’ouvrages avez-vous alors pour mission de publier?

Hélène de Castilla : La maison InterEditions a été fondé par Geoffrey Staines, à qui on doit aussi la création des éditions Village Mondial (ndlr : aujourd’hui département « management » de Pearson). C’est quelqu’un dont l’objectif a toujours été de faire venir en France de nouvelles idées.

Avec l’éditrice en charge, nous poursuivions ce travail-là, de recherche d’ouvrages apportant des connaissances inédites et proposant aussi de nouvelles approches pour considérer les problèmes. Ces idées neuves et ces façons différentes de voir touchaient les sciences dites dures, évidemment, comme la physique quantique ou la neurobiologie, mais aussi l’informatique, la psychologie, les sciences cognitives et du comportement… J’ai dû m’intéresser, me former à toutes ces disciplines.

Je dois dire que c’est un des grands privilèges de mon métier, quand vous éditez des livres, vous êtes obligé de faire l’effort de comprendre ce qu’il y a d’écrit à l’intérieur (rire). Selon les sujets, c’est plus ou moins ardu, mais quel source d’enrichissement personnel!

 

Programme EVE : Vous avez toujours défendu le « développement personnel » comme un champ intellectuel et éditorial noble. La réalité d’aujourd’hui donne raison à votre conviction que nous avons un réel besoin de prise en compte de nos émotions et de nos ressorts psychologiques dans la société, dans les entreprises… Mais ça n’a pas du être un chemin toujours facile…

Hélène de Castilla : Dès que j’ai été au contact de ces thèmes et de ces approches, ils m’ont d’emblée intéressée, mais il est vrai qu’au début des années 1990, quand j’ai commencé à publier des livres de développement personnel, à un rythme alors assez modéré (environ 4 titres/an), on me renvoyait régulièrement à mes « livres de bonne femme » (rire). Ca en dit long, sur ce qu’on pensait des « bonnes femmes », soit dit en passant. Ca révèle aussi comme les Français sont souvent frileux à l’égard de tout ce qui semble sortir d’une stricte rationalité scientifique ou de certaines écoles psychologiques. Mais si vous traversez l’Atlantique, cela fait des décennies qu’on aborde avec confiance toutes les disciplines du développement de soi permettant de mieux se comprendre, d’avoir des relations plus épanouissantes ou d’améliorer ses performances ; ces théories sont enseignées à l’Université, dans les grandes écoles, elles font partie des cursus des managers…

Au tournant des années 2000, il y a quand même eu une véritable évolution des mentalités en France : on a enfin compris l’intérêt du « développement personnel » et les impacts sur la société d’une bonne connaissance de soi, de la prise de conscience de nos émotions et de notre vision du monde, du développement d’une vision positive de soi et des autres et de la qualité des interactions humaines. C’est à ce moment qu’a d’ailleurs été créé un poste d’éditrice à part entière pour ce fonds d’ouvrages publiés sous la marque InterEditions, appartenant alors à Dunod, à la suite de changements successifs au sein des maisons d’édition, et qu’il est passé à une vitesse supérieure en nombre de titres pour arriver maintenant à une trentaine par an.

 

Programme EVE : Comment expliquez-vous ce changement des mentalités ?

Hélène de Castilla : En premier lieu, je crois que, dans un contexte difficile du marché du travail et de complexification des problématiques professionnelles, les gens ont compris qu’à niveau de formation technique équivalent, ce qui ferait la différence, ce serait le savoir-être. C’est particulièrement vrai pour les cadres : il y a 30 ans, on voulait des diplômés de grandes écoles qui maîtrisaient techniquement les sujets ; aujourd’hui, on se rend compte qu’on a aussi besoin, à compétences égales, de personnes qui ont le sens des situations et des relations, qui comprennent leur environnement, qui savent motiver les autres et impulser des dynamiques… Notre système d’éducation n’enseigne pas ces choses-là, ou pas encore assez. Les personnes sont en demande d’autres voies d’apprentissage que la formation académique pour acquérir ces qualités. Cela explique le succès du coaching, par exemple.

Je vois aussi une autre raison, qui va peut-être vous surprendre, à l’évolution des mentalités françaises vers une meilleure prise en compte des émotions : c’est le succès populaire de certaines séries américaines. Par exemple, « Friends », son succès était assez colossal pour que personne n’ait honte de dire qu’il regardait la série et qu’il y prenait du plaisir, mais en même temps, ça ne parlait QUE d’émotions. Tout le charme des personnages reposait sur leur sensibilité et sur leur capacité à faire de leurs failles apparentes (leurs petites manies, leurs doutes, leurs angoisses, leurs jalousies) des motifs d’attachement. Voir des personnages émotifs et positifs, ça nous a fait énormément de bien, à nous qui évoluons dans une culture où il a longtemps été considéré qu’être un « affectif », c’était être un faible ou un ingérable.

Il y a enfin un effet générationnel : on entend beaucoup dire des nouvelles générations qu’elles sont moins complexées pour parler de leurs souhaits et de leurs états d’âme et qu’elles assument plus volontiers leur désir d’être bien dans leur vie personnelle comme dans leur vie professionnelle. Ca joue aussi certainement sur l’intérêt qu’on porte au développement de soi, à l’heure actuelle. A mon avis, ces outils de la connaissance de soi et de la gestion de nos émotions et de nos relations devraient être enseignés à l’école.

 

Programme EVE : Iriez-vous jusqu’à parler d’émergence de sciences du « développement personnel » à la française?

Hélène de Castilla : Je n’ai pas creusé le sujet et ne pourrais être catégorique. Seulement, pendant de nombreuses années, j’ai surtout publié des traductions, l’essentiel de la réflexion et de la littérature sur le développement personnel nous venait du monde anglo-saxon. Alors qu’aujourd’hui, je publie de plus en plus d’auteurs français.

Il y a maintenant en France tout un réseau de personnes certifiées dans les principales disciplines et qui les enseignent et forment de nouveaux formateurs, des personnes capables également de créer leur propre approche, de construire et développer leur propre modèle ou méthode, comme par exemple une jeune femme en qui je crois beaucoup, Juliette Tournand. Elle a récemment reçu le Prix du Livre Innovation & Management pour La Stratégie de la bienveillance, un ouvrage dont je suis très fière et qui est emblématique de la ligne éditoriale que je veux donner à nos publications.

 

Programme EVE : Votre ligne éditoriale, justement, comment la qualifieriez-vous?

Hélène de Castilla : Je publie des livres qui font du bien. Qu’ils s’adressent au grand public ou à des professionnels, voire à des lecteurs très avertis quand il s’agit d’ouvrages scientifiques, ce sont des ouvrages qui ont tous en commun une approche positive de l’existence et de la capacité de l’homme à prendre son bonheur en main. Nous apportons des clés pour mieux vivre. Même quand on sort un livre sur un thème très douloureux comme le burn-out, ce dont on parle, c’est de reconstruction, de reénergisation, de retrouvailles avec soi et de renaissance au monde.

Parce que nous sommes souvent sur des sujets qui touchent aux points de vulnérabilité de la personne, je tiens aussi beaucoup au respect du lecteur, à ce que le ton des livres soient toujours dans la bienveillance mais jamais dans la condescendance. Cette posture à l’égard du lecteur fait aussi pleinement partie de notre ligne éditoriale, comme d’ailleurs des qualités humaines des auteurs que nous publions.

Enfin, je fais mien le titre d’un des ouvrages de la collection pour définir mon métier : « Jetez-vous à l’eau ». Editer, c’est oser des choses, c’est saisir des chances, provoquer des rencontres et participer au changement… Et c’est tellement stimulant!

 

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel

 

 

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– Notre petite bibliothèque idéale du leadership au féminin

– Notre interview de Valérie Rocoplan, coach, fondatrice et dirigeante du cabinet Talentis, et auteure d’Oser être la cheffe

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