Retour sur notre sondage « Les femmes sont-elles des leaders comme les autres? » avec la chercheuse Sarah Saint-Michel

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Sarah Saint-Michel

Souvenez-vous, il y a quelques semaines, nous lancions un sondage sur le thème « Pensez-vous que les femmes sont des leaders comme les autres? ». Vous avez été plusieurs dizaines à nous faire part de votre opinion sur le sujet, via le blog, notre fil Twitter, notre page Facebook, sur la communauté privée LinkedIn du Programme EVE et par mail.

 

Nous vous remercions chaleureusement de votre participation à cette consultation et pour analyser vos réponses, nous avons fait appel à Sarah Saint-Michel, auteure d’une thèse très remarquée sur « L’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur leur style de leadership ». Après lui avoir demandé de retracer son parcours, nous avons soumis à son décryptage quelques réactions saillantes à notre sondage.

 

 

Programme EVE : Bonjour Sarah, vous êtes l’auteure d’une thèse sur l’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur le style de leadership. Qu’est-ce qui vous a amené à vous emparer de ce sujet?

Sarah Saint-Michel : J’ai en effet soutenu en décembre 2011 une thèse en sciences de gestion des ressources humaines consacrée au leadership. Je suis aujourd’hui maître de conférence à l’Université de Toulouse et chercheuse au Centre de Recherches en Management.

Mais avant de rejoindre le monde universitaire, j’ai eu une expérience professionnelle dans le privé : j’ai été responsable d’univers pour une grande enseigne sportive. J’étais une des seules filles à un poste à responsabilité dans un milieu très masculin et, pour diverses raisons, cette expérience n’a pas été qu’une partie de plaisir. J’ai donc donné ma démission et choisi de reprendre des études.

Le thème du management m’intéressait car je voulais précisément mettre en perspective les problématiques des organisations et en leur sein de l’encadrement pour comprendre ce qui se joue quand les personnes ne trouvent pas leur place dans un milieu, bien qu’ils aient les compétences et la volonté pour réussir. Le thème du style de leadership s’est imposé. Et la question du genre aussi, parce qu’elle questionne immédiatement les stéréotypes et donc, tout ce qui est informel et souvent indicible.

Pour ma thèse, j’ai adopté la méthode méta-analytique qui consiste à recenser l’ensemble des études qui éclairent un sujet et j’ai complété cette approche en interviewant des dirigeant-es, des cadres et middle managers sur leur perception de leur propre leadership et de celui des autres.

 

 

Programme EVE : Nous avons repéré votre nom et votre travail dans un récent article du Monde et nous avons immédiatement eu envie de vous interroger. Car au même moment, nous sondions notre communauté sur sa perception du « leadership au féminin ». Nous avons demandé à nos lecteurs et lectrices et aux alumnis du Programme EVE s’ils et elles pensait que les « femmes sont des leaders comme les autres. » Nous aimerions vous faire réagir sur leurs réponses. 

Sarah Saint-Michel : Avec plaisir.

 

 

Programme EVE : Par exemple, Jeanne* nous a dit : « Pourquoi vouloir gommer les différences? C’est une chance que les hommes et les femmes soient différents. Le leader n’est pas un robot sans sexe, sans histoire, sans bagage. Bien sûr que le fait d’être une femme ou un homme influence les façons de faire. C’est plutôt enrichissant, non? « 

Sarah Saint-Michel : Ce que rappelle Jeanne, c’est que les hommes et les femmes sont différents. Et que tous les individus d’ailleurs, sont différents, qu’ils viennent avec leur identité et leur « bagage ». Mais que les individus aient un genre ne signifie pas que les compétences soient sexualisées. Ca ne signifie surtout pas qu’ils doivent être cantonnés à certains rôles et se conformer à un certain style.

Jeanne a raison, la diversité des individus est enrichissante, et pour profiter à plein de cette richesse, il est important de ne pas enfermer les individus dans des stéréotypes étroits.

 

 

Programme EVE : Béatrice nous fait part de son expérience : « Quand j’ai exercé des fonctions de direction, j’ai été confrontée durement à des situations où des femmes attendaient de moi que je me comporte plus tendrement qu’un homme et pour qui ç’a été une amère déception de voir que j’exerçais mes fonctions avec rigueur et en prenant parfois des décisions qui ne leur plaisaient pas, parce que je le devais. Il m’a semblé qu’elles auraient attendu qu’une sorte de solidarité féminine surpasse le lien hiérarchique. » 

Sarah Saint-Michel : Ce qui est intéressant dans le témoignage de Béatrice, c’est qu’on y lit une opposition traditionnel des styles de management entre l’affectif et l’autorité. Ce que j’ai observé dans mes travaux de recherche, c’est qu’un mode de leadership dit « masculin », reposant sur la rigueur et l’autorité, déploie davantage de motivation au travail. Un mode de leadership dit « féminin », plus axé sur l’écoute, la bienveillance, la coopération déploie davantage d’engagement dans le travail. Or, une entreprise a besoin que ses collaborateurs soient dans la motivation ET dans l’engagement.

C’est tout l’enjeu de la diversité, précisément, de permettre à chacun-e, quel que soit son genre, de susciter l’engagement et la motivation, en adoptant son propre style, par delà les stéréotypes.

 

Programme EVE : Isis nous dit pourtant qu’elle « pense que les femmes sont plus attentives aux problématiques que peuvent rencontrer des salariés. »

Sarah Saint-Michel : Isis souligne l’attribution intuitive, dans les perceptions, du domaine du « care » aux femmes. C’est un prisme que la réalité met en échec : les cadres masculins que j’ai interrogés se disent aussi soucieux de cette dimension que les femmes. Mais ils ont plus de mal à extérioriser ce souci des autres et à en faire un élément marquant de leur style de management. Car il leur semble que ce n’est pas ce qui est attendu d’eux. On est au coeur même des effets des stéréotypes, qui contrarient les intentions des individus en les obligeant à se comporter différemment de ce que leurs valeurs leur dictent par devoir de se conformer aux injonctions sociales.

Pourtant, les enquêtes soulignent que quand les hommes adoptent un comportement attentif et bienveillant, la perception qu’on a d’eux n’est pas dévaluée.

 

Programme EVE : Hélène nous parle justement de la façon dont les femmes se sentent parfois obligées de jouer un rôle quand elles exercent des fonctions de leader, quitte à manquer de naturel : « Les femmes, pour s’imposer dans le rôle de leader ont tendance à adapter leur comportement, ce qui fausse, à mon sens, leur façon d’exercer leurs fonctions. »

Sarah Saint-Michel : Cette réflexion est intéressante, car effectivement, si un homme qui adopte un comportement dit « féminin » n’est pas dévalué, une femme qui mime le référentiel « masculin » l’est elle, avec sévérité. Les « dragon ladies », celles dont on dit qu’elles sont « pires que les hommes », ont très mauvaise réputation. Quand on les fait parler, elles expriment qu’elles n’arrivent pas à être elles-mêmes dans l’entreprise, que le contexte les empêche d’affirmer leur propre leadership et qu’elles se trouvent malgré elles, à devoir forcer le trait.

Je crois qu’il est indispensable, pour traiter cette question des contre-modèles de femmes leaders, de former non seulement les organisations à la prise de conscience des stéréotypes mais aussi les individus, à tout niveau de hiérarchie, pour qu’ils apprennent à accepter que chacun-e ait son style. C’est en créant un contexte favorable à l’expression des valeurs de chacun-e qu’on peut permettre aux leaders, hommes et femmes, d’agir en adéquation avec celles-ci et en cohérence avec leur vraie personnalité.

 

 

Programme EVE : Elise se « demande si toutes les femmes qui ont du talent peuvent devenir des leaders. Est-ce que ce n’est pas réservé à celles qui sont capables de se défendre dans un monde d’hommes? Ca vient de l’éducation« , pense-t-elle…

Sarah Saint-Michel : Elise a raison de dire que l’éducation n’est pas étrangère à toutes ces problématiques. Mais c’est justement toute l’éducation informelle, celle qui ne s’apprend pas à l’école ou dans les manuels, qui fait la différence : de nombreuses études mettent en évidence, la méconnaissance ou la mécompréhension, voire la résistance des femmes, à l’égard des « codes », ceux qui permettent de se donner de la visibilité et d’acquérir une forme d’aura.

D’où l’importance, oui, de former tous les individus à la prise de conscience des stéréotypes, et pas seulement en entreprise. A l’école, en famille, aussi. Partout. Pour sortir enfin de la répartition action/réflexion entre garçons et filles.

 

 

Programme EVE : Au moment-même où nous lancions notre sondage, Margaret Thatcher disparaissait… On a vu dans la presse des réactions d’une agressivité sans pareille, souvent versées dans la misogynie, à l’égard de cette femme qui fut pourtant une vraie leader politique, quelles que soient les critiques qu’on puisse formuler sur son action. Sébastien* nous a écrit : « Margaret Thatcher est bien la preuve que les femmes peuvent être des leaders aussi inhumains que les hommes. C’est ça l’idéal d’égalité? « 

Sarah Saint-Michel : Le cas Margaret Thatcher est un exemple parfait du backlash effect, le retour de bâton. Elle paie plus cher pour ses actions critiquables parce qu’elle est une femme. C’est parce qu’on n’attend pas d’une femme qu’elle se comporte durement (ça, c’est la sanction des stéréotypes), mais c’est aussi parce que, sa forte volonté d’accéder au pouvoir doit se re-légitimer en permanence. Quand elle déplait, elle est renvoyée avant tout au fait d’être une femme, avant d’être considérée en leader lambda. Alors, l’insulte misogyne remonte immédiatement. C’est à la fois la plus simple et la plus profonde, celle qui affleure immédiatement avec la colère. Mais ce n’est évidemment pas l’argument le plus pertinent de la critique de son action. Même si ça en dit long, oui, sur le différentiel de perception des hommes et des femmes leaders…

 

 

Programme EVE : Pour finir, quel message voudriez-vous faire parvenir à nos lecteurs et lectrices et aux personnes qui ont répondu à ce sondage? 

Sarah Saint-Michel : J’ai envie de leur dire « Regardez, prenez conscience, retournez-vous sur la façon dont vous percevez les choses et dont vous agissez« . Ca vaut pour tout le monde, pour les leaders et pour celles et ceux qui travaillent avec eux. J’ai aussi envie de le dire « Faites-le pour l’avenir, pour vos enfants, pour que chacun-e ait enfin la liberté d’agir comme il le souhaite et de pouvoir donner le meilleur de soi-même.« 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel

 

* Prénoms changés à la demande des personnes

Comments 1

  1. Merci pour cet échange intéressant. Et merci à Sarah Saint-Michel de rappeler qu’hommes et femmes sont différents mais que tous les individus le sont les uns des autres. Je suis très réticente au concept de leadership féminin. nous en avons débattu sur une radio, Sophie Reynal ( présidente d’HEC au féminin) Claire Martin directrice RSE de Renault et moi. Et nous sommes tombées d’accord sur le côté piégeant du concept avec rechute dans les stéréotypes…

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