SNCF au féminin, un modèle de réseau de femmes

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Entretien avec Virginie Abadie-Dalle, Présidente du réseau SNCF au féminin

 

 

Virginie Abadie Dalle est la fondatrice du réseau SNCF au féminin dont elle est la Présidente.

C’est aussi une EVEsienne de la première heure qui assume pleinement les inspirations et impulsions que notre Programme de leadership au féminin lui a données pour créer et déployer SNCF au féminin, le plus grand réseau professionnel de femmes en France…

Un réseau voué à la stimulation des carrières féminines au sein de l’entreprise mais aussi un réseau qui entend prendre sa pleine part aux affaires de l’entreprise et au mouvement de transformations dans lequel elle est engagée.

Interview.

 

 

Eve le blog : Bonjour Virginie, pouvez-vous nous raconter la genèse de SNCF au féminin?

Virginie Abadie Dalle : J’ai coutume de dire que le réseau SNCF au féminin est une inspiration d’EVE. Plus que ça, je le revendique.

Voilà comment ça s’est passé : j’ai fait partie, lors de la première édition d’EVE, en 2010, de la délégation d’une quinzaine de femmes de SNCF, venues « pour voir ». Et nous n’avons pas été déçues par ce que nous avons vu lors de ce séminaire qui sait aborder un sujet sensible et complexe avec le ton juste. Ce ton juste, ça tient en grande partie à l’esprit d’EVE, qui est avant tout aux rencontres. Il y a les rencontres entre entreprises, c’est en quelque sorte la règle du jeu, mais aussi les rencontres entre personnes d’une même entreprise à qui est donnée une occasion rare de se découvrir et d’apprendre à se connaître autrement que dans le strict cadre de la vie professionnelle.

Pour nous, les premières EVEsiennes de SNCF, ça a été une révélation : nous nous sommes rendu compte que nous nous connaissions assez peu les unes les autres, alors que d’une part nous avions en commun de travailler dans la même entreprise, mais aussi beaucoup de vécu partagé et la même envie de faire avancer la question des femmes dans notre entreprise.

Nous avions aussi tout simplement envie de nous revoir, de prolonger le moment d’EVE, et bien sûr, de partager cette expérience avec d’autres femmes. Je ne voulais pas laisser passer cet instant de grâce. Il fallait tout de suite, tant que nous étions dans cette émotion, dans ce désir d’échanger, dans cette impulsion, je dirais même dans cette espérance, que je propose au sein de SNCF quelque chose qui fasse suite à EVE.

 

 

Eve le blog : Et que proposez-vous, alors, pour qu’EVE se prolonge chez SNCF?

Virginie Abadie Dalle : Ma première idée, c’est de faire un séminaire de leadership au féminin chez SNCF littéralement calqué sur le modèle d’EVE, un vrai copié-collé! J’en parle à Anne Thévenet-Abitbol et à Sylvie Bernard-Curie qui me donnent immédiatement leur accord : « Notre esprit, me disent-elles, c’est de proposer des idées neuves et d’essaimer des bonnes pratiques dans les entreprises partenaires pour installer une culture de l’égalité en tant que facteur de bien-être et de performance, donc, si tu as envie de faire un « Me too » d’EVE, c’est qu’on remplit notre premier objectif. Go!« 

Me voilà donc en train de préparer ce fameux « Me too » d’EVE pour juin 2011, quand je fais une rencontre déterminante, avec Véronique Morali, qui a créé TerraFemina quelques années plus tôt (devenu TFco, depuis) et qui est la Présidente actuelle du Women’s Forum. Véronique a une vision « réseau » des choses : son expérience de femme d’affaire et de femme de média, son expertise du sujet des femmes dans l’environnement professionnel et ses convictions très profondes sur la force des échanges pour provoquer le changement, lui ont permis de définir avec précision ce qui fait vraiment levier pour la progression des femmes. En l’occurrence, d’avoir des espaces autonomes pour se rassembler et partager l’expérience, se soutenir et sentir la force du collectif derrière soi afin d’oser s’emparer des sujets et prendre la parole. Ca s’appelle un réseau de femmes et c’est ce que Véronique me conseille de bâtir au sein de SNCF.

 

 

Eve le blog : Comment va se concrétiser cette idée de créer un réseau de femmes ?

Virginie Abadie Dalle : En septembre 2011, je fais le premier kick-off de SNCF au féminin, au siège de SNCF. Une cinquantaine de femmes dirigeantes et cadres supérieures sont présentes… Et ultra-motivées! Je n’ai aucune difficulté à en trouver une vingtaine prêtes à s’investir dans le comité de pilotage du réseau. Nous veillons à ce que ce comité soit représentatif des métiers, des régions, des différentes entités du groupe. Et tout de suite le CoPil se met au travail : on se retrouve tous les 15 jours pour réfléchir ensemble à ce qu’on veut faire, avec qui, comment, pourquoi…

Dès janvier 2012, nous sommes prêtes à lancer officiellement le réseau lors d’un grand événement au Cirque d’Hiver. Nous envoyons une invitation à 10 000 personnes. Celles qui ont fait de l’événémentiel parmi nous savent que si on atteint 10% de retour, c’est un succès… Oui, mais voilà, on a 2400 femmes qui demandent d’entrée de jeu à entrer dans le réseau et la jauge du Cirque d’Hiver, c’est 1500 personnes. Ce jour-là, je suis bien sûr un peu déçue d’en laisser 900 sur liste d’attente. Mais j’ai aussi le sentiment que ce qu’on est en train de créer répond à un vrai besoin et que la prise de conscience sera donc inévitable : les femmes représentent bel et bien une importante force dynamique au sein de SNCF

 

 

Eve le blog : Laissez-vous entendre que jusque là, cette question de la place des femmes ne faisait pas l’objet d’une prise de conscience suffisante dans l’entreprise?

Virginie Abadie Dalle : La question de l’égalité professionnelle et celle de la mixité sont prises très au sérieux par la gouvernance et notamment par le Président Guillaume Pépy, qui a été, avec le ComeEx, un vrai soutien, dès le démarrage, pour SNCF au féminin.

Mais la question de l’égalité femmes/hommes, c’est aussi une affaire de mentalités collectives. Ce n’est pas la même chose d’entendre parler d’exemples de femmes qui font l’expérience individuelle du sexisme (en hésitant parfois à l’appeler par son nom) et d’écouter un ensemble de femmes qui disent que le sexisme dans l’entreprise est un inacceptable (ce qui interroge tout le monde dans ses comportements).

Le succès immédiat du réseau a permis de porter rapidement et de façon très claire certaines questions lancinantes sur lesquelles une prise de parole et une prise de position des salarié-es elles-mêmes (et eux-mêmes) est nécessaire.

 

 

Eve le blog : Iriez-vous jusqu’à dire que SNCF au féminin est une sorte de lobby interne?

Virginie Abadie Dalle : Au lancement du réseau, il ya quelques grincements de dents, ici et là. « Lobby » n’a pas été prononcé. Mais on a entendu des potacheries misogynes du type « la réunion Tupperware de SNCF« . D’autres ont parlé de « franc-maçonnerie« , ce qui témoignait de certaines inquiétudes à l’endroit des intentions de ce réseau et de la transparence de ses missions.

Si j’ai toujours refusé d’accorder de l’importance aux réactions les plus grossières, j’ai entendu la demande de clarifier les rôles de ce réseau et de rendre lisible son action. Nous l’avons ainsi défini comme une communauté active et ouverte (aux hommes aussi d’ailleurs) qui poursuit une double démarche de solidarité et d’expertise pour favoriser la mixité dans l’entreprise.

 

 

Eve le blog : Concrètement, dans quelles actions la démarche de solidarité s’incarne-t-elle?

Virginie Abadie Dalle : Depuis le début, la démarche solidaire s’incarne dans des dispositifs d’accompagnement du développement professionnel des femmes : ce sont des session de speed-networking, du coaching, du mentoring, des ateliers de formation, des rencontres partout en France avec des femmes inspirantes qui savent donner envie de les suivre ou de leur ressembler.

Bref, c’est tout ce qui peut donner de la confiance, de la visibilité, des perspectives et des opportunités aux femmes de cette entreprise

 

 

Eve le blog : Et pour ce qui est de la démarche d’expertise?

Virginie Abadie Dalle : La démarche d’expertise du réseau SNCF au féminin répond à deux objectifs : partager avec l’entreprise la valeur créée par le réseau et faire de ce réseau un interlocuteur légitime pour adresser tous les sujets de l’entreprise, pas seulement celui des femmes ou de l’égalité, mais aussi ceux qui ont trait à la vie au travail, à l’activité de l’entreprise, à ses clients, aux services, au matériel, aux gares…

Les membres du réseau SNCF au féminin se sont ainsi emparé, aux côtés de thèmes comme l’articulation des temps de vie ou les stéréotypes, de sujets tels que l’ambiance de travail dans les locaux, l’absentéisme, l’information voyageurs ou la restauration à bord.

Une foule de très bonnes idées, dont certaines étaient immédiatement applicables, ont été proposées, lors d’une restitution officielle en présence de la gouvernance en 2013.

 

 

Eve le blog : Pouvez-vous citer des exemples d’initiatives porteuses dans l’entreprise à mettre au crédit de SNCF au féminin?

Virginie Abadie Dalle : Je peux citer de nombreux exemples de très bonnes idées venues du réseau qui se sont concrétisées et apportent de vrais bénéfices aux salarié-es du groupe comme à nos clients.

Par exemple, le groupe qui travaille sur l’articulation des temps de vie a proposé la mise en place de conciergeries sur le réseau Transilien. C’est un vrai service de facilitation des démarches de la vie quotidienne pour les collaborateurs et collaboratrices, avec des effets immédiats sur la réduction du stress.

Je peux aussi parler des « nounous d’urgence ». Là, il s’agissait de répondre aux problématiques spécifiques de nos agents qui sont en charge d’ouvrir les gares très tôt le matin et de les fermer très tard le soir. Le groupe « absentéisme » de SNCF au féminin a conclu des partenariats avec la CAF et les mairies pour proposer un service de garde d’enfant à ces horaires atypiques, à un tarif cinq fois inférieur à celui d’un-e baby-sitter particulier-e et la possibilité de réserver sa « nounou d’urgence » agréée jusqu’à la veille au soir. Cette initiative a permis de faire baisser de 37% le taux d’absentéisme sur cette ligne métier en charge d’un service clé dans le fonctionnement logistique de l’entreprise.

Le réseau a aussi apporté beaucoup d’idées pour penser le TGV du futur, un projet hautement stratégique pour SNCF.

Sur tout ce qui concerne la vie et le business de l’entreprise, son oragnisation présente et son avenir, les femmes du réseau ont beaucoup de choses à dire, énormément à donner.

 

 

Eve le blog : C’est un vrai gisement de créativité, ce réseau SNCF au féminin…

Virginie Abadie Dalle : Ce foisonnement de bonnes idées, cette énergie déployée avec une appétence spectaculaire, c’est bien la démonstration qu’une politique d’égalité a des effets directs sur la capacité de transformation et d’innovation d’une entreprise. Pour le dire autrement : quand vous donnez la parole aux femmes, elles la prennent et elles en font bon usage pour faire avancer le collectif. C’est donc bien de l’intérêt de toutes et tous de permettre aux femmes de s’exprimer. Le réseau a libéré la parole, il a aussi donné un cadre légitime à celles qui sont pleines de talents et ont trouvé là un espace de visibilité, de reconnaissance et de valorisation de ces talents.

Mais je ne vous cacherais pas qu’il y a aussi des frustrations : quand on vous demande votre avis, que vous le donnez, que vous faites des propositions vraiment intéressantes, solidement argumentées, dont vous savez qu’elles sont applicables en pratique, il est normal et assez logique que vous vous attendiez à ce que leur mise en oeuvre se fasse assez rapidement. Sauf que les propositions pertinentes des groupes de travail de SNCF au féminin sont si nombreuses que les services concernés dans l’entreprise ont, dans les faits, parfois du mal à absorber cet afflux de propositions innovantes et à s’organiser pour les appliquer en pratique. Nous avons donc aujourd’hui un gros enjeu : celui de la préparation et de l’accompagnement du terrain aux transformations que nous suscitons.

 

 

Eve le blog : Comment comptez-vous relever ce nouveau défi?

Virginie Abadie Dalle : Je suis précisément en train de réorganiser le process de travail des groupes d’expertise de SNCF au féminin. Désormais, ces groupes inclueront en amont les « clients internes » de SNCF dont les services sont susceptibles d’être impactés par nos propositions et qui seront décisionnaires dans la phase de mise en application de celles-ci.

Cette approche co-constructive des innovations impulsées par SNCF au féminin va nous permettre d’entrer dans une phase pragmatique, réaliste et négociée, des actions du réseau pour l’entreprise, sans freiner l’enthousiasme.

De toute façon, on ne peut plus arrêter ce réseau, on ne peut plus demander aux femmes qui en font partie de revenir en arrière. Elles veulent leur juste et pleine place dans l’entreprise et elles l’auront, parce qu’elles le méritent.

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité de Catherine Woronoff-Argaud (SNCF)

 

 

 

Le réseau SNCF au féminin en chiffres :

 

Aujourd’hui le réseau SNCF au féminin, c’est :

Plus de 3000 femmes et hommes de SNCF

Un taux de pénétration de 30% dans la population des femmes cadres du groupe

28 filiales représentées

– Dans toutes les régions de France (et des « ambassades » en Allemagne, en Australie, aux USA…)