Un pionnier de l’égalité : William. M. Marston, créateur de Wonder Woman

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Happy Men, Male Champions of Change, HeForShe, Jamais Sans Elles… Les mouvements d’hommes engagés pour l’égalité voient le jour les uns après les autres, témoignant d’une vraie dynamique de mixité dans laquelle chacun.e comprend ce qu’il ou elle a à gagner, et surtout que toutes et tous ont leur partie à jouer.

 

Mais est-ce si nouveau qu’on pourrait le penser? Dans le cadre de son dossier consacré à l’engagement des hommes, le blog EVE retrace la profondeur historique d’un mouvement mixte en faveur de l’égalité plus ancien qu’il n’y parait, en proposant une galerie de portraits d’hommes pionniers.

Après Concorcet et John Stuart Mill, retour sur le parcours de William Moulton Marston, psychologue, juriste et écrivain de la première moitié du XXè siècle, à qui l’on doit notamment la création du personnage de Wonder Woman !

 

 

 

Wonder Woman : « rôle-modèle » avant la lettre

« Wonder Woman, c’est de la propagande psychologique pour le nouveau type de femmes, qui selon moi, devraient mener le monde!« , écrivit un jour son créateur, William Moulton Marston, dans un courrier à l’historien de la bande dessinée Colton Waugh.

Car si Wonder Woman, apparue en 1941 dans les colonnes de la revue All-Star Comics, n’est pas la toute première des super-héroïnes à se faire une case dans l’univers des bulles (Black Widow et BulletGirl l’ont précédée d’une petite année), elle obtient son titre de pionnière d’une part en ayant sa propre série d’aventures dédiées (à partir du printemps 1942) et d’autre part en s’imposant en personnage ouvertement militant de « la puissance au féminin ».

Robert King Merton n’a pas encore officiellement forgé le concept de rôle-modèle que déjà Marston comprend que « Même les filles ne voudront pas être des filles tant que nos archétypes féminins manqueront de force, de vigueur et de puissance. Le remède logique est de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus l’allure d’une femme bonne et belle ».

Le « girl power » est né!

 

 

Le « co-inventeur » du détecteur de mensonges!

Mais qui était Marston avant de créer Wonder Woman? Diplômé d’Harvard et professeur de psychologie à l’Université de Washinton, il est l’inventeur du test de pression sanguine systolique qui permet, entre autres, de mesurer les effets des émotions ressenties par un individu sur sa pression artérielle.

Son épouse, Elizabeth Holloway, lui suggère alors de vérifier si, quand une personne est excitée, fâchée ou bien seulement gênée par une situation ou une conversation, cela provoque des réactions physiques lisibles à l’aide d’un polygraphe. Bingo! Quand vous êtes embarassé.e par une question, quand vous hésitez à répondre, quand vous ne dites pas toute la vérité, rien que la vérité, le débit cardiaque s’emballe. Voilà qui intéresse bigrement le chef de la police de Berkeley, John Augustus Larson, précisément occupé à fabriquer un détecteur de mensonges.

Les deux hommes font affaire et Marston comptera d’ailleurs parmi les premiers testeurs de la machine de Larson quand elle sera mise au point en 1921.

 

 

Le créateur du langage DISC

Marston poursuit de son côté ses recherches sur les effets physiologiques des émotions, en intégrant à sa démarche toute une réflexion sur les contextes, en tant que catalyseurs des comportements.

Il aboutit à la conclusion que chacun.e de nous adopte une posture « agissante » ou « acceptante » dans son environnement, selon deux critères : son propre tempérament et sa perception d’un contexte hostile ou favorable. Il consolide cette théorie dans son ouvrage Les émotions des gens normaux qui présente le langage DISC (pour Dominance, Influence, Stabilité et Conformité) comme un système permettant de définir des profils d’individus.

Comptant aujourd’hui encore parmi les outils de l’évaluation RH, le modèle comportemental de Marston est réputé tester la connaissance qu’une personne a d’elle-même, sa capacité à apprendre à connaître les autres et à faire face aux exigences d’un environnement changeant.

 

 

Les ingrédients de l’engagement de Marston pour l’égalité femmes/hommes

Au cours de ses recherches qui l’ont amené à « tester » des individus des deux sexes aussi bien au « détecteur de mensonges » qu’au DISC, Marston a acquis une conviction : les femmes seraient plus honnêtes, plus fiables, plus adaptables, plus rapides, plus précises et plus habiles en contexte complexe que le sont les hommes.

Certes, sa vision est hautement essentialiste, mais elle nourrit une persistante interrogation chez cet homme persuadé des qualités supérieures de la gente féminine : comment se fait-il que les femmes soient systématiquement écartées des responsabilités et qu’il leur faille même combattre âprement pour obtenir le plus évident des droits politiques, à savoir de celui de voter? C’est quand même l’évidence qu’il est insensé de se passer de leur voix!

Car, en effet, Marston a été très marqué par le mouvement des Suffragettes qu’il a vu naître lorsqu’il était étudiant à Harvard et que son initiatrice, Emmeline Parkhurst, était venue y faire une conférence sur les droits des femmes.

 

Il faut encore entrer dans les détails de sa vie personnelle pour cerner tous les éléments qui construisent le militant de l’égalité en Marston. Son épouse, Elizabeth Holloway, brillante professeure de psychologie, est une authentique « libérale », au sens philosophique du terme, qui considère que la société n’est pas qualifiée pour régenter la vie privée des individus ni pour leur dicter quelque modèle d’organisation conjugale et familiale. Aussi, se vivant elle-même comme une femme libérée et pleinement accomplie, peu encline à entendre les injonctions et à obéir aux interdits adressés aux femmes de son époque, elle choisit avec William Marston une relation fondée sur le « polyamour ». En l’occurrence, le couple va vivre plusieurs années avec Olive Byrne, qui n’est autre que la nièce de Margaret Sander, activiste du combat pour l’accès à la contraception.

 

Autant d’influences qui forgent chez Marston une posture que l’on pourrait qualifier de « féminisme élogieux » : il porte aux nues les femmes puissantes qu’il observe dans son entourage et soutient que, pourvu qu’on leur en laisse la possibilité, toutes les femmes peuvent se révéler, sinon des héroïnes, au moins des femmes parfaitement indépendantes.

C’est d’ailleurs l’angle qu’il donne à l’éditorial qu’il fait paraître en 1929 dans la revue farouchement anti-féministe du naissant Men’s Rights Movement : Messieurs, l’égalité a tout de bon pour vous, notamment, explique-t-il, car elle va vous épargner la charge financière d’une femme qu’il faut entretenir quand elle ne travaille pas, et dont la loi oblige à continuer à garantir le train de vie après un divorce! L’argument est osé, pour ne pas dire scabreux, mais il jette les bases d’une rhétorique de l’intérêt des hommes à l’autonomisation des femmes.

 

 

Wonder Woman, figure de proue de l’Educational Comics

Des femmes fortes et indépendantes, Marston en connait personnellement, et plus d’une. Mais il se rend à l’évidence: la majorité de la population voit les femmes comme des êtres faibles et soumis, qui subissent la marche du monde, faute d’avoir seulement les capacités d’y participer voire d’oeuvrer à le transformer. L’éducation et la culture encouragent les filles elles-mêmes à se percevoir ainsi, ne leur laissant, si elles veulent échapper à ce destin maussade, que le choix de renoncer à la féminité.

Mais la pop-culture naissante peut changer la donne, pense avec ferveur un Marston qui a passé un an à Hollywood en 1929-1930 à conseiller les dirigeant.es des studios Universal sur les mécanismes de l’émotion et leurs usages dans la création artistique. A cette époque, il a développé une véritable passion pour les arts de l’entertainment, du cinéma au dessin animé en passant évidemment par la BD. Il est le candidat tout trouvé quand M.C. Gaines, co-fondateur d’All-American Publications (leader de l’industrie du Comics dans les années 1930), cherche un consultant avisé pour l’aider à construire une stratégie de « communication de crise ». Car au tournant des années 1940, le genre est partout accusé de n’être qu’expression de violence malsaine, de fantasmes scandaleux voire de discours fascisants…

 

Les deux hommes vont promouvoir l’idée que ce n’est pas la BD en tant que genre qu’il faut combattre, mais les imageries et messages qu’elle véhicule qu’il faut faire évoluer. Car le comics, en tant que medium populaire susceptible de toucher les masses, a un énorme potentiel éducatif qui ne demande qu’à se déployer, au travers de figurations positives et de messages porteurs de valeurs.

Pour Marston, c’est l’occasion d’exaucer l’un de ses plus vieux et plus grands rêves : l’une des premières actions à mener pour changer l’image du genre, c’est de créer une vraie super-héroïne féminine! La femme parfaite selon Marston, « belle et bienfaisante« , intelligente, dégourdie, agile, armée pour se défendre, et dont le super-pouvoir ultime est de faire éclater la vérité. Wonder Woman is born!

 

 

Wonder Woman, après Marston

Marston ne survivra que 5 ans à sa super-héroïne : il est emporté par un cancer en 1947. Mais il a réussi son pari : Wonder Woman est devenue incontournable dans le paysage comics. Une cinquantaine d’albums paraîtront entre 1950 et 2006, qui verront toutefois Wonder Woman perdre, à certaines époques, de son tempérament bien trempé des débuts pour faire porter davantage l’accent sur sa féminité toute en courbes explosives, aux confins de la caricature de la femme-objet.

Il n’empêche que Wonder Woman prend bientôt ses quartiers dans l’ensemble des espaces et formes de la pop culture : une première série télé voit le jour en 1967, l’industrie du jeu vidéo s’empare du personnage dès les années 1990 et enfin, le film Wonder Woman que plusieurs générations attendaient sortira, en juin 2017, avec l’actrice Gal Gadot dans le rôle titre.

 

Au-delà d’être un personnage culturel, Wonder Woman est aussi devenue un « archétype » social : elle est l’incarnation de la femme d’exception, celle qui sait tout faire, n’a peur de rien, ne trébuche jamais, ne faillit ni ne veillit, conserve brushing et make-up impec en toutes circonstances… Et file de fâcheux complexes aux autres femmes! C’est ce qui en fait aujourd’hui une figure assez contestée dans les discours sur l’égalité qui sont plutôt à la banalisation de l’image de la femme de pouvoir, avec ses qualités et ses défauts, qu’à la glorification de l’inépuisable, indestructible et finalement inaccessible « femme parfaite ».

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE