Les hommes s’engagent pour la mixité

Eve, Le Blog Egalité professionnelle, Leadership, Rôles modèles

3è épisode de notre série des « best of de l’été 2016 » : on rassemble tous les articles de notre dossier thématique consacré à l’engagement des hommes en faveur de la mixité.

Pourquoi se mobilisent-ils aujourd’hui pour l’égalité? Comment agissent-ils? Quelle critique constructive apporter à leurs mouvements pour les challenger et les amener à se dépasser dans leur combat pour cette noble cause?

 

Les hommes engagés ne sont pas nés de la dernière vague de mixité!
Condorcet

Condorcet

Bonne nouvelle : les hommes engagés ont leurs rôles modèles! Des figures plus qu’honorables de l’histoire des idées, de l’économie et de la culture qui, il y a déjà plusieurs siècles parfois, ont formulé clairement leurs convictions sur l’égalité.

Nous nous sommes arrêté.es en particulier sur Condorcet, proche ami d’Olympe de Gouges, qui s’inquiétait déjà à la veille de la Révolution française, qu’on exclue les femmes de la « fraternité ».

Nous avons aussi évoqué le parcours atypique de William M. Marston, figure majeure de l’industrie de l’entertainment de la première moitié du XXè siècle à qui l’on doit notamment l’invention du personnage de Wonder Woman, dans l’intention tout à fait assumée de nourrir la pop culture de rôles modèles féminins.

Nous avons encore pris le temps de relire l’oeuvre de John Stuart Mill, un « utilitariste contrarié » qui a bâti dès le XIXè siècle tout un argumentaire de l’intérêt des hommes à l’égalité.

 

Les hommes ont-ils intérêt à l’égalité?

L’un des arguments les plus souvent avancés pour convaincre les hommes, est celui d’une mixité facteur de performance. Ce serait alors pour être de meilleurs managers, à une ère où comprendre les enjeux de la diversité est une compétence clé du leadership, que les hommes prendraient leur parti(e) de l’égalité.

Une rhétorique que Pierre Deheunynck, ex-DRH de Crédit Agricole S.A. (aujourd’hui DRH d’Engie) pense insuffisante pour mobiliser toutes et tous : ce n’est pas seulement en levier de performance qu’il faut penser l’égalité, selon lui, mais en authentique force révolutionnaire entraînant chacun.e dans la stimulante aventure de la transformation de soi et du monde. Son de cloche proche chez Michel Mathieu, Directeur Général Adjoint du Groupe Crédit Agricole S.A. et parrain du réseau Potenti’Elles, qui  porte l’accent sur le fait que l’égalité est avant tout un principe de justice et que la rendre effective ne doit pas être considéré comme un « effort » par les hommes, mais bien comme un devoir. 

Toutefois, « devoir » peut rimer avec plaisir… De plus en plus d’hommes expriment leur aspiration à une existence plus équilibrée et donc plus épanouissante, intégrant prmi ses priorités la vie personnelle dans toutes ses dimensions (la relation conjugale, la parentalité, les loisirs), comme le démontre l’étude Happy Men menée en 2015 en partenariat avec Orange, BNP Paribas, Cofely et le Ministère des Droits des Femmes.

 

Les hommes en ont-ils assez de vivre en « alpha male world »?
Patrick Scharnitzky

Patrick Scharnitzky

A l’opposé du « plafond de verre » qui fait obstacle à la progression de carrière des femmes, existerait-il un « plancher de verre » qui ne laisse aux hommes que l’alternative entre être un winner parfait et un loser accompli? C’est un thème qu’explore de longue date Antoine de Gabrielli, fondateur de Mercredi C Papa et d’Happy Men – Share More : pour lui, les hommes sont emprisonnés dans les carcans d’une virilité étriquée qui les autocensure en permanence.

L’expert Patrick Scharnitzky le rejoint sur ce point, affirmant que les hommes sont eux aussi « victimes de masculinisation » quand il leur faut se conformer à des stéréotypes grossiers pour, avant même d’asseoir leur légitimité, exprimer seulement leur singulière identité.

Le livre Masculinités (notez bien le pluriel) de Raewyn Connell est tout entier consacré à cette thématique d’une identité masculine forcément plus complexe et plus fluide que ne veulent bien le montrer les modèles classiques, pour ne pas dire archaïques. 

 

Quelles actions mènent les hommes pour contribuer aux progrès de l’égalité?

Une récente étude de Jump montre une conviction forte (à plus de 78%) des hommes sur les vertus de l’égalité, mais qui a encore du mal à se traduire en actions concrètes pour la faire avancer (ils ne sont que 20% à véritablement s’engager quand une majorité « passive » constitue la principale force de résistance aux progrès). On en voit cependant prendre le sujet à bras le corps et saisir les opportunités qui se présentent pour porter haut et fort le sujet : c’est le cas de ceux qui rejoignent les Cercles Happy Men d’Orange ou de la Caisse des Dépôts. C’est aussi ceux qui soutiennent le mouvement international HeForShe, comme Ditmar Koster, CEO de la filiale indonésienne de Danone.

D’autres jouent la carte du « disempowerment », en conscience que faire de la place aux femmes, ça implique de parfois laisser la sienne. Le succès phénoménal du mouvement Jamais Sans Elles, dont le principe est de ne jamais participer à une table ronde si au moins une femme n’y a pas été conviée, témoigne de la force de ce mode d’action. On retrouve une même dynamique de valorisation des hommes par leur capacité à savoir aussi se mettre en retrait quand le chercheur en microbiologie Jonathan Eisen décline toute participation à un séminaire scientifique non paritaire, quand le bédéaste Riad Sattouf et d’autres illustrateurs à sa suite demandent qu’on ôte leur nom de la liste des nominés au Grand Prix d’Angoulême au motif qu’aucune femme n’y figure ou quand un ministre ontarien choisit de quitter de lui-même ses fonctions pour donner à sa cheffe de gouvernement les moyens de la parité

Quels enjeux pour l’avenir de l’engagement des hommes?

L’un des grands défis de l’engagement des hommes pour la mixité est, selon le chercheur Alban Jacquemart, la réconciliation des intérêts que trouvent les hommes à l’égalité avec les bénéfices qu’en tireront les femmes. Une problématique qu’il résume dans un propos certes un peu provocateur mais non moins parlant « Est-ce qu’un homme qui s’autorise à pleurer devant Titanic, se sent aussi obligé de faire la vaisselle? ». Le partage des tâches domestiques reste en effet un coeur de résistance aux progrès de l’égalité : une situation qui doit bouger, comme le met en évidence avec émotion une pub anti-sexiste qui a fait le buzz en Inde cette année.

L’experte Béatrice Barbusse, spécialiste et de l’égalité femmes/hommes et du mouvement sportif, attire elle aussi l’attention sur les arythmies de la libération de la parole : si l’on peut se réjouir de voir des hommes, en l’occurrence des sportifs qui incarnent la performance dans sa plus extrême expression, s’autoriser à évoquer publiquement leur sensibilité, leurs doutes, les ambiguïtés de leurs sentiments ; il faut rester vigilant.es à continuer à porter les problématiques du sport féminin, qui, malgré des évolutions prometteuses, restent celles du manque de financement et de visibilité.

Le réalisateur Patric Jean, comme l’intellectuel Yves Deloison élargissent cette vision à l’ensemble de la société : ce n’est pas d’une égalité bénéfique aux hommes à l’équivalent de celle qu’on a longtemps présenté comme un « cadeau » fait aux femmes que notre époque a besoin. Mais d’un mouvement global replaçant les valeurs fondamentales de la démocratie, dont l’égalité est le pivot, au coeur des discours, des relations et des actions. 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE