Les entretiens de recrutement sont-ils plus « durs » pour les femmes que pour les hommes?

Eve, Le Blog Egalité professionnelle

 

La discrimination à l’embauche est formellement interdite dans de nombreux pays : il n’est pas permis aux employeurs de pré-déterminer leur choix d’un.e candidat.e en fonction de son sexe et il leur est même obligatoire en France, quand ils proposent un poste à pourvoir, d’énoncer clairement que celui-ci est ouvert aux hommes comme aux femmes.

Dans certains secteurs et pour certaines fonctions, la bonne volonté des recruteurs se heurte cependant à des problématiques de mixité des filières de formation et de manque d’attractivité de certains métiers pour un genre ou l’autre. Mais si l’on dépasse ce contexte social marqué par des stéréotypes de genre fortement ancrés dans les mentalités et impliquant une ségrégation de fait des métiers pour regarder ce qui se passe quand autant de femmes que d’hommes adressent leur candidature pour un emploi, qu’en est-il du comportement des recruteurs lors des entretiens d’embauche? Traitent-ils de la même façon un postulant et une postulante?

Une récente étude conjointement menée par l’University of California et l’University of Southern California révèle que les entretiens de recrutement sont sensiblement plus ardus pour les femmes que pour les hommes.

 

Les femmes 25% plus souvent interrompues dans les entretiens d’embauche

Les chercheurs et chercheuses à l’initiative de cette étude ont filmé, sur une période de deux ans, 119 entretiens de recrutement dans le secteur, très exigeant mais aussi parmi ceux qui observent le plus fort taux de mixité parmi les candidat.es, de l’enseignement supérieur et la recherche.

Premier constat : les femmes sont davantage interrompues (25% plus souvent) que les hommes quand elles ont la parole pour défendre leur candidature.

Seconde observation : les recruteurs adressent trois fois plus de questions de relance aux femmes qu’aux hommes. Et ces questions visent plus fréquemment à demander à la candidate d’apporter des preuves de leur compétence et de se défendre de leur manque d’expérience, quand l’interrogateur s’attarde davantage sur ce qu’elles n’ont pas encore fait que sur ce qu’elles ont déjà accompli.

 

Les candidates en situation de « catch 22 »

Pour les rapporteur.es de l’étude, cela place les femmes en situation de « catch 22 ». Cette expression anglo-saxonne décrit une forme de piège rhétorique par syllogisme : « il faut avoir de l’expérience pour avoir du travail, mais seul le travail permet d’acquérir de l’expérience ».

Un paradoxe bien connu des débutant.es sur le marché de l’emploi, qui doivent demander qu’on leur donne leur chance. Si cela se perpétue pour les femmes même quand elles ont acquis de l’expérience, le message qui leur est envoyé est qu’on leur fait quasiment une fleur en prenant un pari sur elles.

Pas si facile, dans ce schéma, de se faire valoir comme un talent rare et précieux, que l’organisation serait mal avisée de laisser passer. Et bonjour la pression une fois en poste quand l’entretien de recrutement a laissé entendre, de façon plus ou moins appuyée, que c’est autant par audace teintée de magnanimité que par reconnaissance de la légitimité que l’on a « offert » le poste à la femme.

 

Les biais invisibles dans les entretiens de recrutement modifient-il l’attitude des candidates?

Est-ce que ces inéquitables conditions de recrutement ont des effets sur le comportement des femmes en entretien?

Les auteur.es de l’étude soulignent qu’en conscience plus ou moins acquise des biais invisibles qui rendent le recruteur plus exigeant avec elles qu’avec un homme, les femmes tendent à sur-préparer les entretiens, au risque de passer pour de « bonnes élèves » par trop scolaires quand elles semblent confondre dialogue avec l’employeur et exposé devant le prof.

Dans leur préparation, elles affûtent tout particulièrement les arguments de leur riposte en cas de mise en difficulté, quitte à concentrer leur énergie en amont à scruter leurs manquements plutôt que leurs forces, puis à conforter sur le moment, par une attitude défensive, un autre stéréotype qui veut qu’elles manquent de confiance en elles.

Une belle démonstration de prophétie autoréalisatrice!… Qui se poursuit dans l’auto-évaluation des candidates, en post-entretien : sévères avec elles-mêmes, elles sont plus nombreuses à considérer que l’entretien s’est mal passé et elles en prennent l’essentiel de la responsabilité, à grands renforts de reproches à leur propre égard et de regrets en esprit d’escalier (« j’aurais du dire ça! », « pourquoi j’ai pas répondu ça? » etc.)

 

De l’interactionnalité des freins à la montée en confiance des femmes

Au-delà de la nécessité pour les recruteurs de poursuivre le travail de conscientisation de leurs biais cognitifs et de correction des effets qu’ils produisent sur leur attitude, cette étude met surtout en évidence le caractère fondamentalement interactionnel de toute une série de freins psycho-culturels à l’expression du leadership des femmes : peut-être ont-elles le complexe d’imposture mais comment ne pas nourrir celui-ci quand on bénéficie moins que d’autres d’une présomption de légitimité? Peut-être ont-elles le complexe de la bonne élève, mais comment dans un rapport de force deux fois asymétrique (vis à vis de l’employeur et vis à vis des concurrents masculins), ne pas être tentée de prendre ses repères dans la transposition de la relation réputée juste (même si ça se discute) du prof et de l’élève.

Peut-être manquent-elles de confiance en elles, mais comment prendre confiance en soi sans pouvoir faire confiance à l’autre et à l’environnement relationnel quand il se révèle insuffisamment inclusif?

 

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.