En débat – Le télétravail a-t-il un genre ?

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La période de confinement a complètement changé le monde professionnel en France – et le télétravail  s’est imposé comme règle dans beaucoup d’entreprises. Suite au « déconfinement » et à la réduction progressive des mesures sanitaires, il est temps de prendre du recul sur cette nouvelle organisation du travail pour analyser les inégalités qui en ressortent, notamment au niveau du genre. Finalement, les femmes télétravaillent-elles dans les mêmes conditions que les hommes ?

 

Télétravailler à l’heure de la charge mentale

 

Dans le contexte d’une crise sanitaire globale inédite, le télétravail « contraint » a bouleversé l’activité professionnelle des Français·e·s. L’imprévisibilité et l’immédiateté de la crise ont requis beaucoup de résilience et de motivation des salarié·e·s qui se sont confiné·e·s et qui se sont mis à travailler depuis leur lieu de résidence à temps plein, pour la première fois dans le cas de beaucoup de personnes. Néanmoins, les femmes ont été nombreuses à témoigner de leur peine ; ayant notamment vu l’obligation d’assurer la continuité pédagogique des enfants majoritairement reposer sur elles.

La charge mentale des télétravailleuses a été abordée dans plusieurs articles parus dans la presse durant la crise sanitaire. Au début du confinement, la journaliste Lucile Quinaud avait publié un texte où elle révélait son espoir de voir enfin une vraie transformation dans le partage des tâches ménagères grâce à la période exceptionnelle et inédite – mais à peine une semaine plus tard, elle signait un reportage déplorant, cette fois-ci, que « la révolution des foyers n’auraient pas lieu ». En effet, beaucoup de spécialistes se sont aperçus d’une certaine « intersectionnalité » de deux injonctions : d’une part, maintenir son activité professionnelle pendant le confinement et, deuxièmement, les stéréotypes de genre obligeant les femmes à continuer à assurer un rôle de « mère » et d’ « épouse » exemplaire face à la crise.

Travailler avec ses enfants

 

Tout d’abord, il est important de se rappeler que le télétravail n’est pas à la portée de tou·te·s les salarié·e·s et reste un « privilège ». Selon la dernière étude de l’Ined, seulement deux sur trois femmes qui étaient en emploi au 1er mars 2020 continuaient de travailler deux mois plus tard, tandis que les hommes étaient trois sur quatre. Alors qu’elles sont moins nombreuses à avoir accès au « home office », les femmes restent en « première ligne » face au coronavirus – comme les médias n’ont cessé de nous le répéter depuis des mois –, autant parmi le personnel hospitalier qu’à la caisse des supermarchés ou dans les services du care.

De plus, les femmes salariées sont plus nombreuses à rester entourées d’enfants (47% contre 37% des hommes) et à devoir partager la pièce de la maison où elles travaillent. Seulement un quart des femmes peuvent s’isoler dans un espace approprié contre 41% des hommes ; chez les cadres, ce taux est de 29% pour les femmes et 47% pour les hommes. Cette promiscuité avec les autres membres du foyer a provoqué un malaise chez certaines personnes : au bout de la 7e semaine de confinement, 15% des télétravailleuses et télétravailleurs ressentaient une dégradation dans la relation avec leurs enfants.

La division genrée et économique du télétravail

 

Le Docteur en économie Benoît Meyronin a contribué à ce débat dans un article récent où il rappelle que les femmes ont également environ 20% plus de chance de subir des reproches de leur entourage – à cause de la division genrée des tâches domestiques – ce qui pourrait impacter leur expérience de télétravail. Ce taux est cependant 20% moins important chez les femmes cadres, témoignant d’un vécu différent selon la catégorie socioprofessionnelle des télétravailleuses.

Autre point évoqué par Benoît Meyronin : le fait que les femmes cadres ont plus de moyens pour garder leurs enfants ou déléguer les tâches ménagères et également plus de ressources à leur disposition pour maîtriser la gestion des temps de vie. Un avis pouvant être contrebalancé par les données de l’étude de l’Ined, qui montre au contraire une amélioration des relations familiales chez les ouvrier·e·s et chez les employé·e·s, surtout lorsqu’ils et elles ont arrêté de travailler pendant le confinement. L’arrêt de l’activité aurait permis à ces familles de passer plus de temps ensemble dans des horaires plus flexibles, fortifiant les liens ; dans le cas opposé, les cadres rapportent plus souvent une dégradation des relations avec leurs enfants.

Un environnement moins sûr pour les femmes

 

Finalement, il ne faut pas oublier que les forces de l’ordre ont effectué 44% plus d’interventions pour résoudre des conflits familiaux par rapport à la même période en 2019 ; tandis que le site arretonslesviolences.gouv.fr a vu son nombre de vues doubler. Le numéro d’appel gratuit et anonyme contre les violences conjugales, le 3919, a reçu deux fois plus d’appel que l’année dernière, selon Françoise Brié, dirigeante de la fédération Solidarité Femmes. Des données qui suggèrent un environnement pouvant être difficile à vivre si l’on doit travailler depuis chez soi avec un partenaire violent et qui rappellent le besoin de lutter contre les inégalités de genre à tous les niveaux.

 

Marcos Fernandes pour le webmagazine EVE