Les femmes de la préhistoire n’étaient pas celles que vous croyez…

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La caricature a la vie dure. Celle de la femme préhistorique tirée par les cheveux du mâle prognathe, mais trouvant refuge dans la grotte pour y faire sagement de la poterie et cueillir des baies aux proches alentours compte parmi les imageries les plus prégnantes dans nos esprits.

Oui, mais…

C’est vraisemblablement une falsification historique !

Une récente étude de l’Université de Californie-Davis, reposant sur l’analyse de 27 sépultures remontant à 9000 ans suggère que 30% à 50% des chasseurs de l’ère néolithique étaient des femmes. L’équipe d’archéologues pilotée par l’anthropologue Randall Haas fonde cette hypothèse sur la quantité d’armes destinées à la chasse ou à la guerre (lances, couteaux, pierres taillées destinées à l’éviscération d’animaux) précieusement conservées dans des étuis en cuir personnalisés avec lesquels les corps de ces femmes ont été enterrées.

Cette étude n’est pas isolée. Voilà plusieurs décennies que des universitaires se penchent sur la condition des femmes dans les différentes époques de la préhistoire. Les un·e·s étudient la morphologie, à partir de restes d’ossements indiquant que les corps féminins de la période pré-néolithiques étaient de constitution assez proche de ceux des hommes, témoignant notamment d’une solidité pouvant indiquer qu’elles avaient des activités physiques sensiblement comparables. D’autres s’intéressent aux figurations de la féminité, notamment à travers les sculptures présentant des corps épais, très éloignés des Vénus qui inspirent encore nos critères de beauté, et peuvent laisser à penser que les femmes ont longtemps été musculeuses, à la faveur sans doute de l’exercice régulier de travaux de force.

La paléontologue Claudine Cohen, spécialiste des représentations de la préhistoire, étudie depuis 40 ans, d’une part la réalité supposable des femmes au temps de nos lointains ancêtres et d’autre part les enjeux contemporains d’une vision de la préhistoire comme l’essence de l’humanité. Pour le premier aspect de ses travaux, elle fût la première à identifier le passage d’une forme d’indifférenciation des sexes à l’organisation sociale d’un ordre genré : c’est assez tardivement, sur la fin de l’ère néolithique, que les squelettes féminins commencent à porter des marques de privations, malnutrition et de blessures possiblement consécutives à des violences perpétrées par les hommes. C’est aussi à cette époque que le corps féminin marque les stigmates de grossesses multiples tandis qu’au paléolithique, il semblerait que des stratégies de contraception (notamment via l’allaitement prolongé et la prise de potions d’herboristerie) aient été adoptées pour éviter la récurrence des absences au travail pour cause de maternité ! Ce changement de condition des femmes coïncide avec la sédentarisation des peuples et la mise en place d’organisations sociales autour des activités principales d’agriculture d’élevage et leurs conséquences sur une répartition des fonctions donnant lieu à l’esclavage, mais aussi à la relégation des femmes aux « domesticités ».

Le second aspect des travaux de Claudine Cohen nous interpelle plus directement. Car il interroge de quelle façon les représentations de la préhistoire nourrissent nos mentalités collectives de stéréotypes genrés, notamment à partir du XIXè siècle. Au risque de la synthèse rapide, disons que la période post-1789 va présenter l’homme de la préhistoire en barbare éloigné de l’humanité – qui plus est des Lumières – maltraitant sans vergogne les femmes… Aussi, ces dames du XIXè siècle qui ne se satisfont pas d’être exclues des droits politiques et économiques sont invitées à ne point trop se plaindre : les hommes de leur époque ne les trainent plus par les cheveux mais sont galants, les entretiennent, les valorisent etc. La préhistoire fantasmée va ainsi servir d’utile repoussoir pour faire accepter que le « moins pire » est déjà un progrès.

Autre conséquence de cette perception erronée de la préhistoire comme étant déjà le lieu des inégalités femmes/hommes : l’impression, parfaitement décourageante, que nous ne pouvons pas changer en quelques années, ni même en quelques décennies, un système plurimillénaire dans lequel les femmes auraient été reléguées dans les foyers, à mille milliards de lieux des grands enjeux de la chasse, de la guerre et aujourd’hui des défis vitaux pour l’humanité. Ici, il faut se tourner vers les travaux de Margaret Rossiter, à qui l’on doit la notion d’Effet Matilda, pour prendre la mesure du fait que l’histoire n’est pas linéaire. Quand on cède à l’idée que les rapports femmes/hommes ont toujours inéquitables et que les femmes ont depuis la nuit des temps été écartées des positions de pouvoir et des fonctions à responsabilité, on sa vautre dans des schémas flatteurs pour notre propre représentation de notre temps. Rossiter nous rappelle par exemple qu’au Moyen-Âge, au moins 40% des médecins étaient des femmes… Et que c’est à la faveur d’une structuration politique du métier de médecin, ainsi que d’une redoutable chasse aux sorcières contre les herboristes, qu’elles disparurent du métier… Pour mieux redevenir, 6 siècles plus tard, aussi nombreuses que les hommes dans la profession.

Bref, ce que les études sur les femmes à travers l’histoire nous enseignent, c’est qu’aucune fatalité essentialiste ne tient ! Rien ne les empêche d’être chasseuses, guerrières, déménageuses, conductrices d’engin (selon le temps dans lequel on se situe) comme rien ne les prédispose à se reclure dans des fonctions matérielles, manuelles, logistiques ou bien relevant du care.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE