Pourquoi avons-nous peur du changement ?

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Le changement, c’est la promesse de plein de choses excitantes : de la nouveauté, des améliorations de l’existant, des perspectives d’apprendre, des occasions de produire de la valeur… Nous le savons, nous sommes convaincu·es et sur le principe, nous sommes partant·es… Oui, mais voilà, quand il s’agit d’opérer le changement, nous nous découvrons bien plus résistant·es que nous l’imaginions. Mais pourquoi donc ?

On appelle cela la métathésiophobie

Le nom scientifique de la (vraie) peur du changement, c’est : métathésiophobie.

Décomposons :

  • Méta, en grec, c’est « ce qui va au-delà », « ce qui dépasse » et par extension « ce qui change »
  • Thésis, c’est « ce qui est posé », « ce qui est en place »
  • Phobie, c’est la peur, l’aversion, la hantise et par extension le rejet.

L’incertitude : contexte le plus exigeant pour notre système cognitif

La métathésiophobie se rapporte ainsi à l’incertitude concernant l’évolution de notre cadre. C’est cette méconnaissance des impacts d’un mouvement de transformation sur notre environnement et sur notre propre condition qui nous met en panique. Nous aimerions savoir pour anticiper nos adaptations. C’est un besoin cognitif et psychosocial fondamental : nous perdons nos moyens quand nous faisons face au risque de caducité de nos comportements.

Pour s’adapter, il faut avoir du vécu

Il faut savoir que nous développons en permanence des compétences qui nous permettent de réagir quand nous sommes confronté·e à des situations que nous avons déjà vécues ou qui ressemblent à ce que nous avons déjà vécu. Par exemple, j’ai déjà vécu des jours de pluie, j’ai expérimenté que la pluie mouille et que si je ne peux pas me sécher, j’ai des chances d’avoir froid, ce qui sera inconfortable et éventuellement propice au fait que je tombe malade. Aussi, s’il pleut dehors ou si je sais qu’il risque de pleuvoir, je prévois de sortir plutôt au moment d’une accalmie et je m’équipe de vêtements imperméables. Ces compétences d’intelligence situationnelle nous aident à évacuer le stress et nous permettent, quand nous sommes confronté·es à une situation inconfortable, de rétablir au mieux notre sentiment de sécurité et de contrôle.

Quand l’anxiété nous met en position d’inefficacité

Mais si l’averse se déclenche brutalement, sans que les météorologues l’aient prévue, sans qu’il y ait eu de signes annonciateurs du changement de temps ou bien si ces signes sont apparus trop brutalement, voilà que nous sommes confronté·es à de l’angoisse : Est-ce que cette manifestation du dérèglement climatique est à l’image d’autres changements bien plus catastrophiques ? Qu’allons-nous devenir si la météo n’est plus fiable ? Où allons-nous s’il n’y a plus de saisons ? Et puis, au fait, sommes-nous sûr·e·s qu’il s’agisse bien de pluie ?

Bref, ne pas avoir le temps ni les moyens de nous adapter nous plonge dans des abîmes d’inquiétude. Nos émotions entrent en concurrence avec nos raisonnements, au lieu de les enrichir : on confond le signal, la compréhension de la situation et la solution pour y répondre. C’est cela, perdre ses moyens.

Raisonner la peur du changement : quelle mauvaise idée !

Le bazar de l’âme en coulisses du théâtre de la raison

Mais enfin, ce n’est qu’une averse et vous n’êtes pas en sucre ! Au boulot, ce n’est qu’un nouveau process et vous n’êtes pas inapte à vous adapter. Vos bureaux déménagent ? Ce n’est qu’un changement de lieu et un autre trajet pour s’y rendre, et vous n’êtes pas un·e irréductible sédentaire. De surcroît, si vous y réfléchissez un peu, la nouveauté, cela peut vous faire du bien. Vous re-stimuler. Vous pousser à faire des apprentissages. Et puis, le quartier de vos nouveaux locaux est très sympa. Et puis, l’agencement est favorable à la coopération. Et puis, finalement, ça ne rallonge pas votre temps de transport. Et puis, et puis, et puis… Vous acquiescez à tout ce qu’on vous dit des bénéfices du changement, vous gardez pour vous vos inquiétudes, voire vous plongez à pieds joints dans l’enthousiasmante aventure du nouveau départ. Mais dans les coulisses de votre âme, c’est un peu le bazar.

Pourquoi trouver les raisons de la peur n’apaise pas la peur

La rationalité est encore moins efficace pour contrer la peur du changement que toute autre peur. Chaque fois que vous placez en face d’une peur de bonnes raisons de ne pas avoir peur, vous augmentez votre sentiment de culpabilité et vous entamez votre estime de soi. Vous vous trouvez foultitude de défauts personnels qui vont alimenter le sentiment que vous êtes incapable, dépassé·e et peut-être trop vieux/vieille pour prendre votre pleine place dans la société. C’est donc peu dire que vous vous confrontez à l’angoisse de la mort, mère de toutes les autres angoisses.

Pourquoi trouver les raisons de la peur n’apaise pas la peur

Ce qui est ennuyeux, c’est que l’angoisse porte atteinte à tout ce dont vous avez précisément besoin pour faire face au changement : votre sentiment de confiance, mais aussi via les impacts négatifs de l’excès de cortisol sur l’hippocampe, le cortex préfrontal et l’amygdale, vous voyez se détériorer votre sens de l’orientation, votre capacité à mémoriser et à mobiliser vos savoirs, votre intelligence des situations, votre sens de l’organisation, vos aptitudes à prioriser, votre vision du temps moyen et long, votre créativité et vos ressources mentales utiles à la recherche de solutions. Sans parler des influences de votre état émotionnel sur les relations : le changement est ainsi est un formidable catalyseur de conflits et autres ruptures affectives pénibles si ce n’est carrément douloureuses.

Supporter l’angoisse, accueillir les besoins sous-jacents

Considérer la peur du changement comme une manifestation de vertige

Le changement est par nature angoissant. Il renvoie irréductiblement à ce qui a été et n’est plus, exigeant un travail de deuil. Il renvoie aussi au déséquilibre, produisant des sensations de vertige. Rappelons que le vertige est un état d’étourdissement proche du malaise (et y conduisant parfois) face auquel la priorité de l’organisme comme de la psyché est de retrouver de la stabilité.

Que feriez-vous face à quelqu’un pris de vertige ? Vous le mettriez probablement en sécurité, lui apporteriez un bras soutenant, l’aideriez à prendre le recul nécessaire pour s’écarter de la cause de son état (regarder à l’horizon si elle est mal dans les transports, s’éloigner du bord la falaise si elle a peur du vide…), la rassureriez et si cela est possible, vous lui donneriez le temps de se reprendre avant de poursuivre quelle qu’activité que ce soit (le voyage en voiture, la randonnée en montagne etc.).

Face à la peur du changement, il nous faut adopter les mêmes postures et pratiques : prendre en compte avec bienveillance l’état anxieux et le traiter comme un enjeu prioritaire.

Répondre aux besoins révélés par le changement

Supporter l’angoisse (de l’autre comme la sienne), c’est la prendre au sérieux. C’est à cette seule condition que l’on peut entendre les besoins sous-jacents et non satisfaits qui empêchent l’individu de se projeter dans ce que le changement représente pour lui. Mais que sont donc ces besoins sous-jacents embarqués dans la peur du changement ? Il peut s’agir de :

  • Frustrations et insatisfactions antérieures à la période de transformation. On ne les voit plus parce que les individus ont compensé afin de trouver leur stabilité, mais ils craignent que l’équilibre qu’ils ont ainsi bricolé soit bousculé par une mutation de leur environnement. Par exemple : deux personnes ne s’entendent pas et le conflit n’a jamais été géré. Elles ont compensé en évitant de se croiser et de travailler ensemble. Mais voilà qu’une nouvelle organisation du travail les met en position de devoir se tenir mutuellement informées de ce qu’elles font. Ici, le besoin sous-jacent est de gérer le conflit qui a été mis sous le tapis, de façon à ce que tout changement ne soit pas source d’angoisse et obligations de faire des efforts de suradaptation.
  • Besoin d’être considéré comme un sujet. Imaginez que vous êtes ado et que vos parents décident de déménager dans une ville à 500 km de là où vous habitez et avez construit toute votre vie sociale. Vous aurez besoin de comprendre pourquoi ce déménagement est nécessaire. Il vous faudra aussi savoir comment ça va se passer. Vous aurez probablement besoin de voir la maison où vous habiterez, le lycée où vous étudierez, d’en savoir plus sur les conditions de vie que vous aurez… Et sans doute qu’on prenne des engagements réels et sérieux garantissant que oui, vous pourrez continuer à voir vos ami·es « d’avant », que vos parents se donneront les moyens de vous permettre de retourner dans votre ville d’origine pour les vacances etc. Bref, il est indispensable pour l’individu de ne pas subir le changement comme un fait auquel il doit s’adapter, mais d’être pleinement considéré comme un sujet à part entière, dont l’adhésion est recherchée et donc l’adaptabilité dépend du sentiment de sécurité.
  • Besoin de garanties de latence décisionnelle. La plupart des changements laissent à nombre d’entre nous une impression d’arbitraire : c’est comme ça, c’est la vie, on n’a pas le choix. Votre boîte est rachetée et tout votre environnement de travail s’en trouve bousculé (nouvelle organisation, nouvelles méthodes de management, nouveaux process, nouvelles têtes…). Si ça ne tenait qu’à vous, vous passeriez à autre chose. Oui, mais voilà, vous n’avez pas le choix, il vous faut bien gagner votre vie et il vous faut bien accepter les nouvelles règles du jeu pour cela. Votre motivation a toutes les chances d’être abimée par cette impression de fatalité. Il se peut que très vite, le sens que vous trouvez au travail s’évapore à son tour. Chaque fois qu’un changement nous fait dire « de toute façon, on n’a pas le choix », c’est que nous vivons ce changement comme une privation de latence décisionnelle et de liberté. Nous avons donc besoin d’être assurés que la liberté abandonnée ici est compensée par de nouvelles autorisations là. En d’autres termes, pas de changement sans possibilité pour les individus de négocier le changement : en négocier les conditions, les bénéfices, les modalités, le rythme…

Marie Donzel, pour les webmagazines EVE & Octave