Et si on devait définir la mixité?

Eve, Le Blog Leadership

Un concept à la loupe

Egalité, parité, équité, « diversité de genre », pluralité, partage des responsabilités, équilibre des sexes, mixité… Le lexique de la question femmes/hommes, aujourd’hui à l’agenda de l’ensemble des organisations et institutions, s’est considérablement enrichi à mesure que la réflexion est montée en maturité, au cours de ces dernières années.

Mais si les éléments de langage sont aujourd’hui plus variés, le choix des mots comptent… Peut-être plus que jamais.

Parmi ces mots, l’un s’est fait une place à part dans le discours du monde de l’entreprise : c’est « mixité ».

Mais au fait, c’est quoi exactement la mixité? En quoi la mixité se distingue-t-elle de l’égalité, de la parité ou de la diversité? Que dit la préférence du monde économique pour ce terme de l’approche du sujet femmes/hommes en entreprise?

Le blog EVE passe le concept à la loupe.

Un (relatif) néologisme

Si vous aviez prononcé le mot de « mixité » en 1950, vous vous seriez probablement attiré les foudres des tenant.es d’une langue scrupuleusement respectueuse de la correction linguistique, chez qui tout néologisme provoque immanquablement une crise d’urticaire! Car mixité n’avait pas alors son entrée dans le dictionnaire français (il a fallu attendre 1963 pour cela).

 

En revanche, l’adjectif  « mixte » est un terme bien plus ancien, dont on trouve déjà trace dans des écrits du XIVè siècle. Issu du verbe latin misceo, qui signifie « mélanger », « mettre ensemble des éléments distincts » chez Horace, mais aussi « provoquer de la confusion » dans l’emploi qu’en fait Cicéron, « mixte » entre dans le langage courant au milieu du XIXè siècle…

Un héritage des débats sur l’instruction des filles

C’est précisément à l’heure où l’on débat de l’instruction des filles et de la possibilité ou non qu’elles cohabitent dans une même classe avec des garçons que l’idée de mixité se propage dans la société française. On parle alors de « co-éducation » ou de « gémination ». Il n’est sans doute pas nécessaire de rappeler que la majorité de l’opinion est alors sérieusement contre!

 

Mais le pragmatisme faisant parfois loi, quand le droit contraint à trouver des solutions, ce qu’on n’appelle pas encore la mixité s’impose dans les écoles des petites communes de France qui n’ont tout simplement pas les moyens d’ouvrir et d’entretenir des établissements distincts.

De la mixité scolaire au projet socio-politique d’égalité femmes/hommes

Jusqu’au milieu du XXè siècle, la mixité n’est une question que pour le monde de l’enseignement, qui tout en en admettant dans sa majorité le principe, réserve certains cours aux filles (dont évidemment l’instruction ménagère) et d’autres aux garçons. On discute aussi âprement de la nécessité ou non de séparer les sexes dans certaines disciplines, comme par exemple, l’éducation physique et sportive, en arguant tantôt de différences de puissance physique ou de la moralité qui s’accommode encore mal de la vue des corps féminins en exercice.

 

Après la Seconde Guerre mondiale et alors que dans le monde entier, la question de la place des femmes de la société devient un sujet, l’intention d’égalité qui a présidé aux réformes de l’école voulue par Jules Ferry, René Goblet et Paul Bert au XIXè siècle, resurgit sur la scène politique et sociale sous la forme d’une légitime revendication des femmes à bénéficier des mêmes droits et des mêmes opportunités. Puisqu’elles ont désormais le même niveau d’instruction que les hommes, pourquoi ne pourraient-elles pas toutes voter, disposer de leurs propres moyens de paiement, travailler sans avoir en demander l’autorisation à un père ou un mari etc. 

 

 

Le temps du militantisme : quand la mixité s’efface derrière les « droits des femmes »

Bientôt le mouvement pour « les droits des femmes » prend une ampleur inédite, au coeur de la « révolution » culturelle, sociale et politique des années 1960-1970.

Les militant.es féministes posent le constat effarant d’inégalités de traitement généralisées entre les femmes et les hommes, dans tous les champs de la société, et font savoir haut et fort qu’il est temps que ça cesse et que toutes les responsabilités, au bureau comme à la maison, dans l’asso comme à l’Assemblée doivent être partagées.

Les consciences en sont secouées, qui résistent pour partie en agitant le spectre d’une « guerre des sexes » annoncée. Un paradoxe quand précisément le mouvement veut déconstruire un système de séparation des sexes qui ordonne la société en espaces du féminin versus espaces du masculin? Plus vraisemblablement le marqueur d’une crainte face à la montée en puissance des femmes…

… Crainte que le mouvement féministe des années 1970 n’a pas pour objectif premier d’apaiser : se méfiant jusqu’en son sein de la mixité, notamment pour se prémunir de la « division du travail associatif » (supposant que les hommes seraient tentés de reproduire les schèmes classiques et prendre le lead dans le mouvement au lieu de laisser aux femmes le plein droit de prendre le parole et le pouvoir sur leur vie), il se dresse avant tout contre le patriarcat. Et les hommes se sentent visés : ce qui est directement mis en cause, ce sont les « privilèges » que la société accorde à leur sexe!

 

 

Tandis que la « parité » fait son entrée…

Alors, quand le mouvement pour l’égalité accepte à nouveau mieux la présence des hommes dans ses propres rangs, à partir des années 1990, la question se pose en termes nouveaux : la mixité, oui, mais à quelles conditions?

Car dans les faits, des femmes sont désormais là où on ne les trouvait pas trois ou quatre décennies auparavant : la majorité d’entre elles travaillent, certaines sont élues dans les collectivités ou les Assemblées, elles entrent au gouvernement, donnent de la voix – et plus seulement de la frimousse agréable – dans les médias…

Les espaces 100 % masculins se raréfient (sans complètement disparaître et sans qu’en parallèle, les espaces traditionnellement féminins soient autant investis par les hommes) ; et du strict point de vue de la mixité vue comme un principe de mélange, 1 femme parmi x hommes, on peut déjà considérer que c’est de la mixité. Même si le cocktail est parfois un peu-beaucoup dilué. Il va donc falloir rééquilibrer les proportions de la recette !

 

Et l’on créa la parité, qui n’est autre qu’un quota : la loi française de juin 2000 impose, pour tout scrutin de liste, une proportion de 50% de femmes et une répartition « chabadada » dans l’ordre de la liste. C’est là une obligation de moyens, laissant aux formations politiques le choix de confier aux un.es et aux autres les circonscriptions plus ou moins « gagnables ».

D’autres options sont possibles : le dispositif Copé-Zimmermann sur la part des femmes dans les Conseils d’administration des grandes entreprises vise moins haut dans les chiffres (40%) mais impose une obligation de résultats : il faudra y arriver, d’une façon ou d’une autre, d’ici à 2017 !

 

Les dispositifs de quotas dérangent (le blog EVE y reviendra prochainement), mais ils s’avèrent d’un apport majeur pour les discours sur l’égalité : ils inscrivent dans le marbre l’idée que c’est vers « l’égalité effective » qu’il faut tendre.

 

 

… La mixité revient sous les traits de la « diversité »

Entre temps, la notion de mixité a quitté le seul champ de l’égalité femmes/hommes pour adresser la question de toutes les formes de discriminations et, surtout de ségrégation.

On parle de « mixité sociale », « mixité culturelle », « mixité religieuse » etc., le plus souvent d’ailleurs pour dénoncer son absence et les écarts d’accès aux opportunités qu’elle implique.

Le défaut de diversité dans certains espaces territoriaux (par exemple, les quartiers d’une ville) ou symboliques (par exemple, les espaces de pouvoir) mettent les « entre-soi » privilégiés au défi de s’ouvrir.

Dans le monde du travail comme dans le champ politique, la tendance au « clonage des profils », fruit à la fois d’une inconsciente préférence pour le « même » et de pratiques plus ou moins assumées de cooptation, est désignée comme un facteur de perte de chance pour le « différent ».

 

 

L’approche par la « diversité de genre » et ses bénéfices attendus

Cette perte de chance pour les individus définis comme « différents » (au regard de la « norme » observée, sinon de la règle juste) est bientôt perçue comme une perte de chance pour la société toute entière… Qui se prive de talents (ce que Condorcet, Stuart Mill ou Stendhal disaient déjà il y a un ou deux siècles au sujet des femmes), en l’occurrence de talents qui ont des qualités toutes particulières : celles des « outsiders ».

A l’image du Petit Poucet, l’outsider est réputé.e agile et ingénieux.se, futé.e et dégourdi.e, inventif.ve et sagace quand il ou elle maîtrise l’art d’emprunter des chemins de traverse pour contourner les obstacle.

 

Une nouvelle approche de la mixité en découle, plus proche de la notion de « gender diversity » à la mode anglo-saxonne que de l’esprit des Républicains français du XIXè siècle. Héritée du combat pour les droits civiques et de ses prolongations dans la lutte pour la représentation des minorités ethno-raciales aux Etats-Unis, cette conception fait la synthèse entre l’exigence de justice et l’intérêt tout pragmatique à faire place au « différent ». D’abord, pour apaiser le climat social, quand gronde la revendication des minorités (ou des femmes, qui sans être numériquement minoritaires, sont traitées comme telles). Puis pour bénéficier de tout ce que peut apporter « l’autre » de par sa différence : différence de profil, différence de parcours, différence de point de vue, différence de culture, différence de vécu, différence de sensibilité…

 

 

Une mixité détachée de l’idéal d’égalité ?

Toute une rhétorique de la diversité comme facteur d’innovation, de montée en qualité des process de décision et in fine de performance se met en place dès le début des années 2000… Et rencontre un vif succès, notamment dans le monde de l’entreprise qui y retrouve plus facilement ses éléments de langage que dans des discours plus idéologiques.

 

Mais l’argumentaire, quoiqu’enthousiasmant ne serait-ce que parce qu’il convainc de nombreux.ses décideurs et décideuses de prendre de vraies mesures en faveur de la mixité, se confronte bientôt à une critique de fond : en attendant du « différent » qu’il porte le changement, ne l’oblige-t-on pas à refaire incessamment démonstration de son utilité ? Ne le condamne-t-on pas à demeurer dans sa position de « différent » sans bousculer l’idée du « même » ?  Ne contribue-t-on pas à essentialiser ses qualités, au risque de sacrifier l’idéal d’universalité sur l’autel d’une complémentarité qui assignerait des rôles aux un.es et aux autres, sans permettre à chacun.e d’exprimer toute sa singularité ?

 

Au final, ne risque-t-on pas de réussir une mixité sans égalité, quand on pourrait aller jusqu’à trouver avantage à perpétuer certains écarts de traitement au nom d’une sorte de « nécessaire inconfort » propice aux dynamiques de mobilisation et de changement ? La question est délibérément provocatrice, mais ainsi posée ainsi pour que l’on se souvienne que le contraire d’égalité, ce n’est pas différence, mais inégalités. Autrement dit, qu’il est possible de concomitamment valoriser les spécificités de chacun.e et de garantir à toutes et tous de mêmes chances d’accomplir une destinée choisie. 

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE.