C’est quoi, l’assertivité?

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Un concept à la loupe

« Développez votre assertivité! » annoncent des programmes de formation au leadership ou bien titrent des manuels de management. Le mot n’étant pas forcément familier, il appelle souvent sous-titrage : « s’affirmer sans s’imposer« , « dire non sans agressivité« , « résoudre les conflits sans violence« , « être soi dans les relations« , « ni hérisson ni paillasson« …

Avec tout ça, on sent qu’on est dans le bon, à tout le moins dans l’ordre d’une voie équilibrée et responsable pour des relations durables avec autrui. Mais il est aussi tentant de soupçonner un euphémisme, entre pudique litote et peut-être début d’arnaque… Surtout quand la notion d’assertivité a pris une place de premier plan dans le discours managérial avec la montée en puissance des femmes et les débats sur l’expression de leur leadership. Est-on en train de leur dire « vous ne pouvez pas être agressives (sous-entendu « pas bossy« ), soyez donc assertives (ça fait moins mal et c’est plus flatteur) » ou de proposer pour toutes et tous un mode relationnel plus qualitatif?

Alors, l’assertivité, faux nom d’une autorité atténuée ou vraie perspective pour un leadership équilibré et partagé? Pour s’en faire une plus précise idée, le blog EVE passe le concept à la loupe.

Un héritage du behaviourisme

L’ « assertiveness » est une idée apparue dans les années 1940 aux Etats-Unis. On en attribue la paternité au psychiatre Andrew Salter, bien que le terme ne figure pas dans ses écrits. Mais indéniablement, son approche novatrice des comportements relationnels pose les bases d’une perception moderne de l’expression de soi. Critique de la psychanalyse, comme elle se pense et comme elle se fait depuis Freud, Salter s’intéresse tout particulièrement aux raisons et effets des « réflexes conditionnés« , ces habitudes quasi-automatiques issues de l’apprentissage, par opposition aux réactions imputables à de l’inné.

Salter est ce qu’on appelle un « behavioriste« , d’aucun-es le tenant pour le fondateur de cette approche en réalité formulée dès les années 1910 par un autre psy, John Broadus Watson. Le « behaviorisme » (en français, comportementalisme) met en cause les théories « mentalistes » selon lesquelles toute action procède, volontairement ou non, de « l’esprit » de l’individu. Il faut, disent les behavioristes, questionner aussi le rôle de l’environnement et des intéractions dans la « raison » d’agir, même quand c’est de façon déraisonnable, des individus. La perspective est dynamique : elle suggère que l’on ne peut traiter des fonctionnements/dysfonctionnements de la personne sans tenir compte des contextes (sociaux, historiques, économiques, culturels, relationnels) dans lesquels celle-ci évolue.

Des hommes/des femmes, des contextes et des dynamiques

Ce qui fait que quand une personne n’agit pas rationnellement (ou positivement, ou intelligemment, ou élégamment etc.), ce n’est pas qu’elle est intrinsèquement irrationnelle (ou négative, ou stupide, ou grossière), mais qu’en situation spécifique, elle donne à voir d’elle-même une part d’irrationnalité (de négativité etc.). Sans le vouloir, sans en être spécialement fière, sans même forcément se reconnaître et se comprendre dans cette façon d’être.

Déresponsabilisantes, les théories behavioristes? Si l’on s’en tient à ce premier schéma, l’on serait effectivement tenté de crier au « trop fastoche, c’est pas moi, pas même mon inconscient, c’est la faute au bazar ambiant!« .

Mais la question n’est pas « à qui la faute? » dans cette approche plus pratique qu’introspective. La question, c’est plutôt « comment j’appréhende le monde et ma place en son sein pour y montrer (et surtout y faire) ce que je veux y révéler de moi et y faire avec les autres?« .

En l’occurrence, dans le cas particulièrement délicat d’une situation de conflit, comment puis-je échapper à des réactions qui me dépassent? Faut-il body-builder son sur-moi jusqu’au blindage pour retenir coûte que coûte d’éventuelles réactions non-voulues et/ou disproportionnées? Cette tentation de la rétention n’est-elle pas aussi celle de la fuite? Et n’expose-t-elle pas au risque de violent éclatement des « barrages » intérieurs quand la coupe est pleine?

De la myotatique psychologique

C’est un autre thérapeute behavioriste, Joseph Wolpe, qui instruit cette question dans le détail au début des années 1960. Empruntant de nombreuses images à la discipline physiologique, il met en évidence le rôle « tenseur » de l’anxiété dans l’activité relationnelle. La métaphore est parlante : quand il est étiré, un muscle a une réponse aussi vive qu’ involontaire, il se contracte. C’est un réflexe nécessaire pour le tonus, mais en cas d’extension trop brutale, gare au claquage!

Mais si nous tenons debout sans nous blesser en permanence, c’est aussi grâce aux mécanismes d’ « inhibition réciproque » qui permettent le relâchement d’un muscle quand un autre qui lui est « antagoniste » est contracté. Cette agilité réflexe, nous apprend la physiologie, relève précisément d’un apprentissage, celui de la coordination. S’il est donc possible de s’entraîner physiquement au contractement/relâchement organisé des muscles, peut-on en faire autant avec nos « tissus psychologiques« ?

Wolpe en est convaincu, qui identifie les sentiments antagonistes de l’anxiété sur lesquels travailler pour provoquer une réponse d’ « inhibation réciproque » : l’écoute et la prise en compte des points de vue divers, la connaissance (de soi, des autres et des contextes), la confiance (en soi et dans les autres), l’épanouissement de la personnalité dans ses dimensions multiples pour pouvoir s’adapter et moduler les formes de son expression, mais aussi le bien-être physique… Voici le principe de l’assertivité établi : en s’exerçant à donner des réponses « anti-anxiété » dans les situation anxiogènes, on peut limiter le risque d’accidents relationnels et leur gravité.

Notons au passage, que s’installe déjà une vision « coaching » du développement personnel qui s’inspire des principes de la préparation physique pour penser la maturation psychologique.

Ce qu’assertivité est et n’est pas.

Alors, concrètement, qu’est-ce que ça donne en situation, une personne qui a une démarche assertive? Pour répondre à cela, commençons par débusquer tout ce qui pourrait ressembler à de l’assertivité sans en être.

A commencer par la « passive-agressivité » dont les signes communs sont une préférence pour la fuite en situation de conflit, une apparente délicatesse maquillant de l’hypocrisie, une prétendue souplesse communicationnelle propice au double discours, entres autres ambiguïtés comportementales instillant chez autrui toutes sortes de sentiments de culpabilité. L’assertivité repose à l’inverse sur la franchise et les relations directes : la présence courageuse en situation délicate s’impose, l’affirmation ferme de ses convictions est permise et recommandée, la demande est possible comme l’est le refus sans que ça signifie « rejet« .

Courage, fermeté, expression directe, « non« … Autant de marqueurs de l’autorité, laquelle est souvent confondue avec l’arbitraire et/ou l’agressivité. Pourtant, c’est bien d’autorité, dont on parle, une autorité bien placée, celle qui s’incarne dans des formes de leadership responsables et éclairées. Un leadership qui assume la prise de décision tout en permettant et encourageant la négociation, qui installe et entretient la confiance pour que sa propre expression et celle des autres soit la plus claire possible, qui conçoit incessamment les relations en dynamiques où les refus ne sont pas des fin de non-recevoir ni les déceptions des échecs mais au contraire des étapes de progression pour la personne et la relation.

Toutes et tous assertif-ves!

Si l’assertivité est bien, plus encore qu’une compétence, un état d’esprit du leadership, ce n’est pas pour autant réservé à qui a « dirigeant-e » inscrit sur sa carte de visite.

Car c’est d’autorité sur sa propre vie dont il est avant tout question. De la façon dont chacun-e peut s’y prendre pour affirmer son authenticité et la faire respecter. De l’art de construire et entrenir des relations durables avec son environnement, sans puiser au-delà des ressources de chacun-e (y compris les siennes propres), sans démolir à chaque aménagement nécessaire ce qui a été bâti avec effort, sans émettre trop de particules anxiogènes dans l’atmosphère…

Il y va de pleine conscience de sa présence et de celle d’autrui au monde, d’acceptation de soi dans l’engagement avec les autres, de communication non-violente avec l’entourage, de participation honnête au conflit constructif… Autant d’approches qui outillent des individus plus assertifs, quel que soit leur genre, leur âge, leur culture, leur statut et leur position dans l’entreprise, leurs ambitions et objectifs.

Marie Donzel, pour le blog EVE

Lire aussi :

 

– Notre concept à la loupe : Bossy

– Notre interview de Sylvie Bernard-Curie et Christophe Deval, au sujet de l’approche ACT

– Notre entretien avec Jean-Edouard Grésy et Ricardo Pérez-Nuckel, fondateurs du cabinet Alter Nego qui plaident pour « une culture de saine conflictualité« 

– Notre portrait de Thomas d’Ansembourg, qui a introduit la communication non-violente en Europe