Florence Parly, l’autorité honnête.

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Florence Parly est directrice générale déléguée de la SNCF en charge du pilotage stratégique et de la cohérence économique du groupe SNCF.

On l’a connue sous le feu des projecteurs, au début des années 2000, quand elle était Secrétaire d’Etat au budget. Aujourd’hui rare dans les médias, essentiellement parce qu’elle a plus de goût pour l’action de terrain que pour la communication, elle a cependant accepté de rencontrer la rédaction du blog EVE, pour se livrer à l’exercice du portrait. Cela parce que la thématique du leadership des femmes lui est particulièrement chère, entre autres valeurs de justice qui s’expriment tout au long de son parcours.

 

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Janvier 2000. Florence Parly est nommée secrétaire d’Etat au budget. Les médias, qui ne la connaissent pas encore, cherchent des points de comparaison avec les autres (rares) femmes qui sont alors au premier plan de la scène politique française : « Ni la réserve hautaine d’Elisabeth Guigou, ni l’intransigeance féroce de Martine Aubry, ni le narcissisme flamboyant d’Edith Cresson » annonce d’entrée de jeu le grand quotidien national qui brosse son portrait, au lendemain de sa nomination. Voilà les autres rhabillées pour l’hiver, tandis qu’on insiste sur les « minijupes colorées » de la nouvelle ministre et que l’on cherche dans l’humilité, la prudence et la discrétion qui la caractérisent le signe peut-être d’un excès de doute, voire d’un défaut de confiance en soi, tout en saluant une capacité de travail hors norme et un sens aigu de la « discipline ».

 

 

Témoin privilégiée d’un leadership au féminin qui a à se bagarrer pour se faire accepter

Le sexisme en politique, Florence Parly l’a « évidemment croisé ». Et pas qu’entre les lignes ponctuées de stéréotypes d’une presse portant un regard ébaubi sur la femme, jeune et enceinte de surcroît, qui vient de prendre un portefeuille clé. Elle se souvient dans un sourire mi-figue mi-raisin de l’atmosphère « parfois à peine respirable » de l’Assemblée, quand tous les coups sont permis, les plus scabreux étant réservés aux femmes, pour s’invectiver d’un camp à l’autre.

Alors, aujourd’hui, Florence Parly se réjouit de voir  « l’ormeta » tomber quand des élues ou des femmes journalistes protestent enfin publiquement contre le machisme ambiant dans les arènes du pouvoir : « Les femmes crachent le morceau, commencent à cesser de craindre de se nuire en dénonçant, le niveau de tolérance au sexisme s’abaisse et c’est une très bonne chose. Ca n’a rien à voir avec le politiquement correct, c’est juste une question d’exemplarité : le législateur ne peut pas voter des lois dont il ne s’applique pas les principes à lui-même. » La cohérence et l’intégrité, au cœur des principes de Florence Parly, dans toutes les sphères de l’existence.

 

C’est quinze ans après le début de son expérience gouvernementale que nous la rencontrons, au siège du groupe SNCF, dont elle a pris la direction générale déléguée en charge de la stratégie et des finances. Elle a donc littéralement changé de vie, quittant le monde politique pour celui de l’entreprise dont le « rythme », plus vif, et la culture de « la mise en oeuvre » lui conviennent mieux. C’est « un choix positif », sans amertume ni dépit à l’égard de la politique, sans rien trahir non plus de ce qui fait sa ligne directrice depuis toujours, « l’intérêt général ».

« Le terme est devenu galvaudé », elle hésite à le prononcer avant d’en proposer une définition en forme de matrice pour l’action : « oeuvrer pour l’intérêt général, c’est se rendre utile là où il y a des besoins, là où c’est le collectif qui fait la différence pour donner de la réalité concrète aux valeurs qui surpassent les intérêts particuliers ». Aux premiers rangs : la solidarité et l’accessibilité.

 

 

L’aventure du RMI : une réforme majeure, une méthode inédite, un management d’avant-garde

Sur ce terrain, ça a commencé fort pour Florence Parly, dès sa sortie de l’ENA, en 1987 : affectée à la direction du budget en responsabilité de la synthèse des comptes sociaux, elle est missionnée sur ce qui restera comme les deux réformes les plus marquantes et les plus innovantes du second septennat Mitterrand : le RMI et la CSG.

L’idée du « minimum social garanti » traverse l’histoire des idées économiques depuis que, dans les années 1930, Jacques Duboin, banquier et industriel proche de Poincaré, a théorisé « l’économie distributive ». Mais personne n’a encore mis en place un dispositif pour faire d’une réalité ce qui est autant un principe de justice, le droit à une vie décente pour toutes et tous, qu’un postulat de bon sens économique, la pauvreté n’étant jamais facteur d’enrichissement. La feuille de route est ambitieuse, « il faut inventer quelque chose qui n’a pas de précédent dans le paysage français » et « du fin fond de la soute de son petit bureau » à Bercy, Florence Parly, avec d’autres, planche.

« En mode projet, même si le dire comme ça est un peu anachronique », car en France, à l’époque, on n’a pas ce mot-là à la bouche comme aujourd’hui. Et sans doute encore moins dans l’administration d’Etat, où l’on n’a pas non plus l’habitude de passer de la volonté à l’application  en temps réel ou quasi. C’est pourtant ce qui va se passer pour le RMI : projet lancé au printemps 1988, loi votée le 1er décembre de la même année, décrets adoptés deux semaines plus tard, premières indemnités versées dans le courant du mois suivant.

 

 

L’intelligence de terrain : quand le temps de l’analyse et celui de la mise en oeuvre se rejoignent au croisement du sens 

L’expérience en apprend autant à Florence Parly sur elle-même que sur les questions économiques et sociales dont elle s’est emparée pour ne plus jamais les lâcher. Elle se révèle en femme de « mise en œuvre » qui ne se sent jamais aussi mobilisée que quand le temps de l’analyse et celui du pragmatisme se rejoignent pour construire de « l’intelligence de terrain ».

Alors, elle ne rechigne pas aux « jobs de l’ombre », ceux où l’on fait plus qu’on ne montre. Elle se sent donc bien au cab’  des ministres Michel Durafour puis Paul Quilès, exerçant sa « capacité d’influence et de recommandation au plus près des circuits de décision » sans se laisser griser par « un  mode de vie » qui étourdit de travail autant que de standing.

Pas question de « perdre en recul et en lucidité ». Pour garder les pieds sur terre, elle s’en remet à la femme en elle : « c’est peut-être un stéréotype, mais sans doute que nous, les femmes, sommes plus terre à terre, plus méfiantes aussi à l’égard du pouvoir pour le pouvoir qui fait perdre la tête ». Que ce soit le fait de sa féminité ou celui de sa personnalité, fondamentalement humble, reste que Florence Parly n’a pas l’intention de changer, au prétexte que les responsabilités et les honneurs ont tourné la tête de plus d’un-e avant elle.

 

 

Une ministre aux pieds sur terre et à la tête froide

C’est dans cet état d’esprit qu’elle accueille sa nomination au gouvernement comme Secrétaire d’Etat au budget. « Extrêmement heureuse » mais aussi en proie au vertige quand elle se souvient que ça lui est « tombé sur la tête sans prévenir » et sans qu’elle fût préparée à des « fonctions aussi exposées » qui la jettent « dans le grand bain du jour au lendemain ».

Sa tête froide lui est d’un recours salutaire : elle s’appuie sur du tangible, des compétences reconnues dans le domaine technique où elle exerce ; compte sur l’administration solide de Bercy pour continuer à faire avancer les projets quand l’agenda politique est tourmenté ; et garde en tête le mot de confiance que Lionel Jospin, qu’elle a eu comme « patron » avant de le connaître en chef du gouvernement, lui a glissé le jour où il lui a proposé le portefeuille : « Si, si, c’est sûr, tu vas y arriver ».

L’un des points forts de Parly est là : dans la confiance. Qu’elle fait aux autres et accepte de leur part. Tout le contraire d’une cavalière solitaire, elle insiste systématiquement sur le fait qu’elle n’a pas fait les choses seules, que c’est toujours en équipe qu’elle a pu accomplir ce qu’on lui attribue et dont elle redistribue la part juste des honneurs.

 

 

Le « choix du privé » : sans amertume ni dépit, avec la force du désir renouvelé d’agir

Que fait-on après avoir été ministre ? Difficile de reprendre un poste de fonctionnaire dans une administration qu’on a dirigée. Poursuivre une carrière politique ? Florence Parly, qui a été propulsée au devant de la scène sur le critère premier de son expertise des questions budgétaires, ne se sent pas l’âme d’une politicienne de métier. Elle consent à « faire le service après-vente en allant défendre le bilan du gouvernement devant les électeurs » aux législatives de 2002 puis aux Régionales de 2004, mais se rend à l’évidence : « Ce n’est pas ma voie, admet-elle. Tellement de gens ont envie de ça ! Pourquoi se forcer quand on n’est pas dans son élément et qu’on peut faire le bonheur d’autres, en laissant sa place ? ».

C’est dit sans ironie, par celle qui défend avec vigueur les élu-es quand ils et elles lui semblent injustement attaqué-es à grands renforts de procès d’intention et de simplifications binaires : « N’oublions pas que ce sont avant tout des personnes qui s’engagent avec une vraie générosité, dans un job très prenant, très complexe et très exposé », plaide-t-elle, en même temps qu’elle en appelle à un rapprochement entre deux mondes, le politique et l’économique, qui ont « besoin de s’entendre et de se comprendre » plutôt que de se renvoyer incessamment la balle, si ce n’est la faute.

Ce n’est donc pas par hasard que, pour sa reconversion, Florence Parly choisit Air France, puis SNCF, deux entreprises à l’histoire, aux valeurs et au fonctionnement empreints d’une double culture, privée et publique. Et un secteur, le transport public, au cœur de l’intérêt général, son indéfectible guideline.

 

 

Autorité honnête, leadership direct, empathie profonde et humilité bien placée

D’abord directrice à la stratégie des investissements d’Air France, elle prend en 2008 la tête de l’activité Cargo et devient en 2013, Directrice Générale Adjointe du Groupe en charge de l’activité passagers à Orly et Ecales France, membre du ComEx. Une série de missions stratégiques dans le cadre du plan de restructuration Transform 2015 qui doit moderniser le groupe et booster sa compétitivité. Des mots qui, rien qu’à les prononcer, peuvent provoquer des séismes dans le paysage social. Florence Parly, qui n’a rien sacrifié ni de ses convictions ni de sa vision terrain des sujets financiers mène la réforme avec une habileté et un humanisme qui lui valent le respect aussi bien des dirigeant-es que des responsables syndicaux.

 

Cette femme inspire l’autorité honnête, exerçant un style de leadership simple et direct, sans pose ni vaines sophistications mais avec une conscience permanente des enjeux humains et une palpable empathie pour tous ses interlocuteurs. Sans doute une des raisons, parmi d’autres, dont son brillant parcours et son expérience concluante dans l’aérien, qui en font une candidate idéale pour le poste de directrice générale déléguée de la SNCF en charge du pilotage stratégique et de la cohérence économique. Depuis novembre 2014, elle est aux commandes de cette direction transverse qui orientera le Groupe dans l’un de ses plus importants défis à relever, l’ouverture à la concurrence.

 

 

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité de Catherine Woronoff-Argaud (SNCF) et Virginie Abadie-Dalle (SNCF au féminin).