Le livre du mois : « Manager avec les philosophes » de Flora Bernard

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Oubliez l’image du Penseur de Rodin, celle de l’homme assis, une main sur le genou, l’autre tenant la tête, censée représenter la philosophie. Pour Flora Bernard, le philosophe n’est pas quelqu’un qui reste à réfléchir sur la vie sans rien faire. Au contraire : c’est en faisant des choses, et par son action, qu’il pense. Suivant cette logique, l’autrice de Manager avec les philosophes : 6 pratiques pour mieux être et agir au travail propose une approche qui renouvelle la culture managériale en s’inspirant de philosophes de toutes époques.

« Pratiquer la théorie » est le fil rouge de l’ouvrage de Flora Bernard. Et pour bien donner l’exemple, ses recommandations « philosophiques », divisées en 6 chapitres, sont accompagnées de 6 entretiens avec des managers et des dirigeant·e·s qui racontent comment ils et elles arrivent à appliquer, dans leur conduite professionnelle, la philosophie. Et qui dit « philosophie », dit « éthique », « morale », « principes »… des notions importantes pour les entreprises qui veulent renouer avec une humanisation du travail.

Se transformer et transformer son entourage : telle est l’utilité de la philosophie dans le monde de l’entreprise. Flora Bernard nous rappelle que, dès ses origines, la philosophie n’a jamais été « seulement des réflexions », mais une pratique, un mode de vie basé sur la capacité de l’être humain à agir en réfléchissant, à penser en travaillant. Vivre la philosophie à travers des exercices quotidiens mélangés aux autres activités de la journée était déjà, il y a bien des années, le principe de Socrate.

Vouloir sans le vouloir

Première leçon de Flora Bernard, sur les pas d’Epictète : apprendre à distinguer ce qui dépend de nous de ce sur quoi nous n’avons pas de pouvoir. Cet exercice exige une compréhension de l’environnement professionnel comme un lieu producteur d’événements stimulants mais aussi frustrants. Certains nous concernent, comme nos pensées, nos actions, notre perception de nous et de notre entourage. D’autres ne relèvent pas de notre responsabilité, comme les décisions d’autrui, l’humeur de nos collègues…

Accepter que nous n’avons pas le contrôle de tout ne veut pas dire pour autant que nous sommes apathiques. Nous devons nous concentrer sur l’intention de notre action dans le monde, sans être sous la pression d’un résultat précis (puisque les conséquences de nos actes sont parfois aléatoires et ne dépendent pas entièrement de nous). Nous avons des objectifs, bien sûr, mais il est important de prendre en compte nos efforts dans l’analyse des résultats.

Il nous faudrait donc, selon le philosophe indien Krishnamurti, « vouloir sans le vouloir ». En d’autres mots, pratiquer le désir d’une chose sans y accrocher le besoin absolu qu’elle se réalise comme on veut et quand on veut. Faire de notre mieux sans croire que nous sommes des super-héros… Pour cela, il faut bien se connaître : il est utile donc de savoir s’écouter, d’analyser ses pensées et d’imposer ses limites.

Pensées, émotions, sentiments

Pour arriver à une transformation profonde de son environnement professionnel, voici l’autre « tip » philosophique de Krishnamurti : commencer par nous changer nous-même. Tout changement vient d’abord de l’intérieur : nous devons initier le mouvement que nous attendons des autres. Sourire plus, par exemple, si nous désirons que nos voisins le fassent aussi ; être bienveillant envers ses collègues ; démontrer de l’intérêt pour ses missions avant de demander que ses employés soient motivés.

La philosophie ne concerne pas seulement nos pensées, mais aussi nos ressentis. Et pour aborder ce sujet, Flora Bernard est allée chercher les conseils de Spinoza, qui nous dit de ne pas essayer de « dominer » les émotions, mais plutôt de les accueillir et de les analyser. Nous devons aussi faire la distinction entre l’émotion (ce qui est ressenti dans le corps) et le sentiment (l’idée que l’on se fait de ce que l’on ressent). Nous réagissons aux événements du quotidien avec de la joie, de la rage, de la tristesse, de la peur… Cependant, nous pouvons avoir un sentiment approprié par rapport à ces émotions : nous analysons ses origines et ses raisons pour décider de ce que nous sommes en capacité de faire pour changer notre rapport à une situation donnée.

La philosophie nous aide aussi à contrer nos idées reçues. Avec Henri Bergson, Flora Bernard nous apprend à changer notre regard sur l’intuition, d’habitude vue comme une décision prise sans conscience, « sur le coup » et sans réflexion. Le philosophe français propose une compréhension de l’intuition comme un outil d’orientation basé sur notre expérience, notre vécu, nos pensées accumulées au fil des années sur un sujet donné. « L’intelligence permet à l’instinct de devenir intuition ; l’intuition utilise l’intelligence pour expliciter ce qu’elle a vu ». Bref, l’intuition serait le « regard intérieur » qui nous guide vers un choix nous semblant être juste. Et lorsque nous faisons confiance à notre intuition, nous sommes prêts à accepter un possible échec : ce n’est pas grave puisque se tromper fait partie du parcours vers la maturité.

Le sens du travail et le dialogue

Trouver le sens de notre travail : voici la recommandation d’Hannah Arendt, cinquième philosophe de l’ouvrage. Si nous obéissons à des ordres et exécutons des tâches sans y réfléchir, nous courrons le risque de perdre la capacité d’analyser l’impact de nos actions sur le monde. Penser, comme nous rappelle Flora Bernard, c’est une négociation intérieure, un dialogue avec nous-même où nous analysons chacun de nos actes. Et c’est en pensant que nous réduisons la possibilité de faire du mal aux autres avec nos actions, parce qu’un questionnement aura eu lieu.

Flora Bernard conclut son ouvrage avec un philosophe emblématique : Socrate. Et ce, pour parler de l’un des sujets de prédilection de ce penseur grec : le dialogue. Devenu un enjeu majeur pour les entreprises d’aujourd’hui, le dialogue, selon la pensée de Socrate, a quelques buts principaux : « donner du sens à l’action et ainsi susciter l’adhésion des équipes ; distinguer l’essentiel du secondaire ; entrevoir des nouvelles possibilités pour innover ». Autrement dit : le dialogue est au centre d’un environnement où se nourrissent des liens humains de qualité et où chacun·e apprend des avis et expériences de l’autre.

Marcos Fernandes, pour le wemagazine EVE