La place des femmes dans l’enseignement

Eve, Le Blog Actualité, Egalité professionnelle

Au lendemain de la journée mondiale des enseignant·e·s promue par l’UNESCO, nous vous proposons de faire le point sur la place qu’occupent les femmes dans un métier dédié à l’avenir de nos enfants.

Combien de (femmes) profs ?

A l’échelle mondiale, on dénombre 85 millions d’enseignant·e·s. 64% sont des femmes.

Les chiffres varient légèrement d’une région à l’autre : 74% de femmes parmi les profs en Europe & Amérique du Nord, 68% dans la zone Amérique latine & Caraïbes, 63% en Asie, 45% en Afrique sub-saharienne.

Ce qui ne varie pas, en revanche, c’est la diminution du taux de femmes à mesure que l’on monte dans les cycles d’études. Presque partout dans le monde, les femmes représentent plus de 90% des enseignant·e·s en école maternelle/pré-primaire (sauf en Afrique subsaharienne où elles ne sont « que » 80%). La moyenne tombe à 67% au niveau de l’enseignement élémentaire. On est 52% dans le secondaire… Et à 39% dans le supérieur.

A l’échelle de la France, les femmes représentent 67,8% du corps enseignant. Dans le primaire, c’est 82% ; dans le secondaire 58% et dans le supérieur 37%.

Cette répartition par niveau d’enseignement recoupe les statistiques genrées de l’obtention des diplômes donnant accès au métier : 68% de femmes parmi les CAPESien·ne·s et 53% parmi les agrégé·e·s.

Du côté des disciplines enseignées, on trouve 83% de femmes dans les langues vivantes étrangères, 67% dans les lettres et humanités, 63% dans les sciences économiques et sociales, 47% dans les sciences, 46% en éducation physique et sportive et 28% en techno.

La féminisation du corps enseignant, un fait historique

Prof n’a pas toujours été « un métier de femmes ». L’instituteur est une création de la Révolution française dans sa volonté de laïciser l’école. Mais nous ne sommes pas sans savoir que cette même Révolution a aussi consacré l’inégalité politique entre femmes et hommes.

Aussi de la fin du XVIIIè siècle jusqu’aux années 1830, le maître d’école est par défaut un homme. Mais on trouve déjà des institutrices, qui sont plutôt des femmes de tête. Le métier est en effet une voie privilégiée pour celles qui aspirent à l’autonomie et ont une âme d’intellectuelle et pourquoi pas l’esprit militant. C’est en effet parmi les institutrices que l’on trouve nombre de pionnières du féminisme.

Ce n’est qu’à partir de 1838 que sont créées des « écoles normales d’institutrices » destinées à la formation des enseignantes. Les femmes entrent dans la carrière. Elles y font une grosse percée comme « intérimaires » pendant la première Guerre mondiale. Du fait des tensions démographiques dans les années 1920 , elles sont encouragées à rester dans le métier. Elles s’y font de plus en plus nombreuses jusqu’à devenir majoritaires dans l’enseignement primaire et atteindre la parité dans le secondaire au cours des années 1950.

La féminisation massive du corps enseignant s’opère dans les années 1960-1970, dans un mouvement qui n’a connu depuis qu’une légère atténuation au début des années 1980 pour mieux repartir à la hausse ensuite.

Corrélations ou causalités ?
Féminisation du corps enseignant et réussite scolaire des filles

La féminisation du corps enseignant s’observe en même temps qu’apparaissent des écarts filles/garçons en termes de réussite scolaire. En effet, depuis plus de 30 ans, les filles obtiennent de meilleurs résultats à l’école et sont plus nombreuses à poursuivre des études dans le supérieur.

Certaines voix s’interrogent sur une discrimination touchant les garçons et sur ses éventuelles explications à trouver du côté du déficit de mixité parmi les profs. Cette interrogation est d’autant plus forte que les garçons semblent moins désavantagés dans les matières qui comptent le plus d’hommes enseignants (sciences, EPS…). L’hypothèse est nourrie dans les rangs du masculinisme et de ce fait traitée avec prudence par la recherche.

Mais la question de l’impact du genre de l’enseignant·e sur le parcours d’apprentissage de l’élève reste intéressante à poser. La psychosociologie s’intéresse de longue date à la relation éducative et au poids des caractéristiques intrinsèques du prof sur le rapport de l’élève à la matière, à l’école, aux apprentissages. Indiscutablement, des effets de projection jouent dans la conation scolaire. Toutefois, il s’agit moins d’une dynamique de « rôle modèle » (l’ambition de l’élève ne procède pas d’une identification au prof) que d’une dynamique de « relation pseudo-parentale » dans laquelle se rejouent les relations parents/enfants, ainsi que l’a théorisé le pédagogue Jean Repusseau avec le complexe de Möbius/complexe du bon élève.

En d’autres termes, le problème des impacts de la féminisation du métier d’enseignant sur le destin scolaire des élèves n’est pas celui d’un supposé favoritisme de genre privilégiant les filles que celui d’une reproduction des schémas familiaux (avec tous leurs stéréotypes et biais), dans le champ de l’école.

Féminisation du corps enseignant et dégradation de la condition socio-économique des profs

Une autre corrélation fait couler de l’encre : celle qui associe féminisation du métier d’enseignant·e et dégradation de la condition socio-économique des profs. Où se pose une question qui fâche : est-ce qu’un métier perd en valeur sociale quand il devient un « métier de femme » ?

Pour y répondre, objectivons les faits avec l’économiste Nicolas Chancel qui établit qu’entre 1980 et 2020, le salaire d’un prof débutant est passé de 2,2 fois le SMIC à 1,1 fois le SMIC. Avec ce vertigineux décrochage des rémunérations, le prestige social de la profession a aussi accusé un sérieux recul. Selon le sociologue Gérald Bronner, c’est d’ailleurs avant tout de ce côté-là qu’il faut chercher des explications à la crise des vocations. Et d’émettre l’hypothèse que la régression de l’estime collective pour les profs procède plus généralement d’un affaissement des valeurs républicaines.

Certains·e·s enfoncent le clou en accusant l’école d’avoir perdu en autorité, en légitimité, en capacité d’influence sur la société… Et les mêmes de souligner que cela ne serait pas sans lien avec la féminisation du métier. Parmi ceux qui font l’association féminisation/dégradation de la valeur du métier, il y a des commentateurs parmi les plus essentialistes (voire de francs masculinistes) qui estiment que l’école est infusée de qualités réputées féminines aux antipodes des compétences exigibles pour exercer l’autorité.

Mais il y a, à l’autre bout de l’échiquier, une pensée plus méthodologique qui analyse la façon dont un métier change de genre, selon qu’il se valorise ou se dévalorise dans une société donnée. Ainsi, aussi vrai que l’industrie du cinéma, initialement animée par une majorité de femmes est devenue le terrain de jeu d’hommes quand elle a brassé argent et prestige, les métiers de l’enseignement se sont féminisés à mesure que leur valeur sociale s’est dégradée. Ainsi pour l’historien Antoine Prost, parmi les premiers à avoir étudié la féminisation du corps enseignant, la féminisation du corps enseignant est davantage due à une désertion des hommes (attirés par des métiers mieux rémunérés et plus prestigieux) qu’à un déferlement de femmes dans la profession. Autrement dit, si l’on veut atteindre l’équilibre dans un métier au cœur de la formation des nouvelles générations, il faudra en passer par sa revalorisation.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE