Comment « Gérer les ingérables »?

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A la plus épineuse question des relations de travail, Jean-Edouard Grésy apporte les réponses de l’art et la science de la négociation

 

 

Co-fondateur du cabinet de conseil en négociation et gestion de conflit AlterNego et intervenant régulier à EVE, Jean-Edouard Grésy est aussi l’auteur d’un livre au titre hautement prometteur : Gérer les ingérables!

 

Entre essai philosophique sur la nature du conflit et boîte à outils pratique pour traiter au quotidien avec les personnalités les plus retorses de son entourage, l’ouvrage de Jean-Edouard Grésy s’aborde aussi avec son sous-titre : « l’art et la science de la négociation au service de relations durables ».

En décryptant tous les réflexes qui nous conduisent à agir trop souvent en contradiction avec nos intérêts quand nous sommes aux prises avec une situation si délicate qu’elle semble inextricable, il nous initie pas à pas à un leadership aussi fin et efficace qu’humain et responsable.

 

 

 

Cet « ingérable » qui nous fait forcément penser à quelqu’un… Que l’on connait très bien!

On l’a toutes et tous rencontré (voire subi) « l’ingérable » de service : acariâtre ou gueulard, borné ou agressif, chercheur de petit bête ou enquiquineur stérile, voire tout ça à la fois. Pour le dire sans ambages, c’est le « con de bureau ». Sinon, dans la série d’Uderzo et Goscigny, ce serait Tullius Detritus, l’anti-héros de l’album La Zizanie, celui qui partout où il va sème le conflit. Car le vrai talent de « l’ingérable » est bien là, dans sa capacité à installer un climat de tension telle que les autres se trouvent à leur tour en situation, comme par mimétisme, d’adopter des comportements « ingérables« .

 

En d’autres termes, « l’ingérable« , c’est possiblement chacun-e de nous, quand, pris-e au piège d’une situation conflictuelle, nous sommes en partie dépossédé-e de nos belles et bonnes qualités humaines (la patience, la raison, l’empathie, la lucidité…) et que nous surprenons désagréablement à participer, presque malgré nous, à l’escalade de l’agressivité.

 

Stop! On ne se flagelle pas trop vite, car s’il nous arrive, quand nous en sommes en face d’un « ingérable » d’avoir précisément du mal à nous gérer nous-mêmes, ce n’est pas parce que nous avons mauvais fond ; c’est plutôt, explique Jean-Edouard Grésy, le résultat de mécanismes neurologiques parfaitement normaux en situation de stress ou d’émotion forte. Quand les zones les plus évoluées de notre cerveau (le cortex pré-frontal, pour parler comme les scientifiques) sont comme court-circuitées au profit des zones reptiliennes, et tout particulièrement du côté du « noyau amygdalien » qui commande, entre autres, nos réactions d’agressivité et de défense de notre territoire.

 

 

Piège n°1 : riposter

Aussi, quand « l’ingérable » attaque, la première tentation, c’est la riposte.

Il m’en met une, je lui en colle une plus forte. Selon toutes probabilités, il va répliquer et il verra bien de quel bois je me chauffe. Ca peut monter vite et fort, quand on commence à « grimper aux rideaux ». Et une fois suspendu à la tringle, il n’est pas rare de se sentir tout penaud là haut : mais comment en suis-je arrivé-e là, moi qui vaut assurément mieux que ce petit jeu-là?

La question, c’est surtout, pour Jean-Edouard Grésy, comment s’y prendre pour éviter l’escalade de la violence avant qu’elle s’enclenche, même quand on est face à quelqu’un qui n’attend que ça, voire parait y prendre du plaisir.

L’auteur livre 18 conseils, pas un de moins, pour s’éviter de « monter dans les tours » : entre, par exemple, « utiliser le pouvoir du silence », « imaginer l’autre dans une situation cocasse » ou « dissocier ce que l’on incarne de ce que l’on est », chacun-e trouvera forcément celle de ces astuces préservant de sa propre colère qui lui convient.

 

 

Piège n°2 : fuir

A côté de la riposte, il y a un autre modèle classique, quoique tout aussi inopérant, de réaction face au conflit : la fuite.

Au secours, Detritus est dans les parages, vite que je me cache! S’il me trouve malgré tout planqué-e derrière la plante verte de mon bureau, je l’esquiverai encore : « là, tout de suite, j’peux pas, mais promis, je pense à toi ». S’il m’adresse des mails en cascade, je n’aurai qu’à répondre « t’inquiète, j’ai pas oublié ce que tu m’as demandé, c’est dans les tuyaux ». Je m’accorderai un peu de répit, en somme, en attendant de… De quoi?

De ne jamais affronter la difficulté, dit Jean-Edouard Grésy, au risque que mon attitude de « Mister Tefal » sur qui il est impossible d’avoir prise, autorise, comble du comble, « l’ingérable » à se considérer comme une victime. Voire un martyr. A la machine à café, il se plaint de ne jamais avoir de réponses (c’est sûrement parce qu’il pose les questions qui dérangent, hin, hin), il liste toutes les promesses non tenues (qu’on lui a effectivement faites ou qu’il a supposé contenues dans des silences un peu lâches), il dit surtout qu’on ne lui témoigne aucune reconnaissance, et forcément, aux autres membres de l’équipe, tout ça, ça parle… L’ambiance est, comment dire, légèrement tendue dans le service. Si c’est pas injuste pour le boss qui voulait pourtant être « gentil » et faire comprendre implicitement à « l’ingérable » qu’on attendait qu’il se lasse… Peine perdue.

Car « gentil » et « implicite », ce n’est pas exactement comme à l’écoute, compréhensif, et plus que tout « reconnaissant », explique Jean-Edouard Grésy. Reconnaissant de l’existence de l’autre (même s’il est très pénible), de ses attentes (même si elles sont parfois extravagantes) et de son fonctionnement (même s’il n’est pas forcément très lisible ni même tout simplement supportable).

 

 

Piège n°3 : céder

Est-ce à dire que pour faire exister l’autre, le plus simple est de lui céder?

Avouez que c’est tentant : Allez, c’est vrai, au fond, est-ce que ça me coûte tant que ça, de lui faire plaisir? Au passage, je soigne un peu aussi mon ego en me montrant conciliant-e, même avec les plus ch***, ceux qui ont usé les autres managers et fait sortir de leurs gonds les plus grands calmes : moi, je suis le manager « doux », celui qui ne blesse personne, qui est arrangeant, qui sait donner du mou et faire des concessions…

Mais Jean-Edouard Grésy le rappelle : la concession sans contre-partie (ou « le don sans contre-don » pour citer un Marcel Mauss qu’en anthropologue du droit, l’auteur de l’ouvrage connait sur le bout des doigts), c’est tout sauf un échange équilibré. C’est surtout tout bénef’ pour « l’ingérable » qui n’a qu’à continuer à faire comme il a toujours fait, puisque ça marche et que ça ne lui coûte pas plus d’effort que de continuer à être impossible à « gérer » pour obtenir tout ce qu’il veut. En l’occurrence, davantage que les autres. Ce qui n’est pas non plus très juste, quand on y pense.

 

 

L’art de la contre-proposition

J.-E. Grésy – Atelier EVE « Pourquoi certains obtiennent plus que d’autres? »

Et c’est ici que, une fois évitées les tentations de la riposte, de la fuite et de la capitulation, l’art de la contre-proposition s’impose comme une qualité majeure du leadership.

Tournée vers la solution réaliste et responsable, la contre-proposition est la concrétisation du « terrain d’entente », de la zone de compréhension des enjeux de chacun-e et de formalisation d’une offre acceptable par les parties.

En ramenant la relation à un échange qui tient compte des intérêts de chacun-e, la contre-proposition désarme « l’ingérable« , le vrai, celui qui préfèrera toujours les impasses aux voies ouvertes. Mais sa plus grande vertu est de rendre à la raison, à la dignité, à la confiance et à la participation tous les faux « ingérables« , ceux qui dans la panique, dans le sentiment de ne pas être entendus ou d’être mécompris, dans la peur de l’échec, dans le stress, se sont trouvés en situation de ne plus pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes. Et qui ne demandent sans doute que ça, au fond, de repasser du côté de ceux qui savent « se gérer » pourvu qu’on les place dans des situations et des relations bien… Gérées!

 

 

A la clé de toute négociation : la pré-pa-ra-tion!

Faites le test du « canard-lapin » de Jastrow!

Une fois que l’on a compris, avec l’aide de Jean-Edouard Grésy, tout l’intérêt qu’il y a, pour soi comme pour son entourage, à laisser les réflexes reptiliens aux animaux des marigots et à faire préférablement appel aux extraordinaires capacités de l’humain à considérer simultanément son besoin, celui de l’autre ainsi que les contextes, c’est à dire ni plus ni moins à négocier, comment parvient-on concrètement à garder son calme et les idées claires dans les situations les plus délicates?

En se pré-pa-rant et en s’entraînant, répond sans hésiter l’auteur de Gérer les ingérables qui propose en fin d’ouvrage une foule d’exercices pratiques fichtrement bien conçus à destination de toutes et tous celles et ceux qui veulent se donner les moyens de construire et d’entretenir des relations humaines durables.

Où l’on apprendra à établir les conditions d’une négociation équitable, à cerner ses intérêts fondamentaux pour les défendre avec fermeté et confiance, à développer son sens diplomatique et à faire de la courtoisie une règle générale dans les intéractions, à oser la souplesse aussi, qui est soeur de la créativité et de l’ouverture d’esprit…

 

 

 

 

Marie Donzel

 

Références :

Gérer les ingérables, Jean-Edouard Grésy, éd. ESF