Quand la génération Y s’engage autant pour les XX que pour les XY. Rencontre avec Emmanuelle Duez, présidente et co-fondatrice du réseau d’étudiant-es Women’Up

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Ils et elles ont 25 ans et des idées, de l’énergie et de l’enthousiasme à revendre. Ils et elles appartiennent à ce qu’on appelle à tort ou à raison la génération Y. Une génération qu’on dit individualiste quand on la renvoie à sa caricature. Plutôt une génération humaniste, quand on y regarde de plus près car sa caractéristique principale, c’est qu’elle place au centre de ses préoccupations la liberté de choix, autant dans la vie professionnelle que dans la vie privée. Cette liberté, ils et elles s’en donnent les moyens, notamment en oeuvrant concrètement en faveur d’une mixité profitable à tous, aux hommes et aux femmes, aux jeunes et aux moins jeunes, au top management comme à tous les niveaux de hiérarchie.
Pour en savoir plus sur la façon dont ils et elles perçoivent le monde, sur leurs attentes, sur leurs capacités d’action, le blog Eve est allé à la rencontre d’Emmanuelle Duez, diplômée de Sciences Po et de l’ESSEC, co-fondatrice et présidente du réseau Women’Up. Un entretien captivant avec une jeune femme impressionnante d’intelligence, de pertinence et de vivacité d’esprit.

 

Programme Eve : Bonjour, vous êtes la Présidente et co-fondatrice de Women’up, un réseau d’étudiants et étudiantes des grandes écoles qui veut agir en faveur de la mixité en entreprise et de l’accès des femmes aux responsabilités. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet?

Emmanuelle Duez : Women’Up est une association née il y a près de trois ans, à la suite d’une mission qu’Adeline Braescu-Kerlan, co-fondatrice, et moi-même avons effectuée dans le cadre de la chaire « leadership et diversité » de l’ESSEC. Nous avions choisi comme objet d’étude « le gender » et comme lieu de notre mission le cabinet Deloitte, une entreprise qui avait le sentiment d’avoir mis en place tout ce qui était possible pour favoriser la mixité et l’accès des femmes aux responsabilités mais n’avait pas obtenu de ses efforts les résultats escomptés. Notre objectif était de comprendre le pourquoi du comment et de faire des propositions pour que l’essai soit transformé. Notre méthode a été la suivante : d’abord, nous avons intégré « Capital Féminin », le réseau féminin interne à Deloitte. Ensuite, nous avons fait une étude de benchmark à l’international sur l’ensemble des réseaux féminins existants et sur tout ce qui s’y pratiquait d’intéressant, d’efficace, de porteur. Puis nous avons mené une cinquantaine d’entretiens en interne, ainsi que des focus groupes, auprès aussi bien des hommes que des femmes, toutes générations et tous niveaux de hiérarchie confondus. Et enfin, nous sommes allées à la rencontre des Responsables Diversité des entreprises membres du réseau EPWN (European Professional Women’s Network) pour dresser avec eux un panorama complet des meilleures actions possibles.
A l’issue de ce travail préparatoire, nous avons immédiatement pu faire trois observations. La première, c’est qu’en matière de mixité, l’implication du top management est fondamentale, et en particulier celle du DG. Les mesures en faveur de la mixité ne fonctionnent qu’à condition de s’inscrire dans une véritable stratégie business. La seconde, c’est que sur ces sujets, l’implication des hommes aux côtés des femmes est primordiale, depuis les phases de réflexion jusqu’à celles de l’action. La troisième, c’est que toutes les femmes, sans aucune exception, que nous avons interrogées souffraient au bout de 10 à 15 ans de carrière d’un déficit de visibilité. Une des raisons majeures du ralentissement de leur progression de carrière était là : elles manquaient de réseau, alors même qu’elles étaient arrivées à un moment charnière de leur vie professionnelle où d’une part, elles avaient des choix à opérer entre vie pro et vie perso – avec l’arrivée concomitante du 1er enfant – ; et où d’autre part la cooptation commençait à poindre son nez dans les process d’évolution de carrières. En faisant ce diagnostic, on mettait aussi le doigt sur ce que les femmes peuvent faire elles-mêmes pour dépasser le plafond de verre, on leur indiquait un levier d’action efficace pour apporter une réponse concrète à cette problématique endogène.
A partir de là, trois conclusions s’imposaient à nous, jeunes étudiantes de 23 ans qui avions intégré ce réseau féminin : 1) la mixité est un vrai sujet au sein des organisations, 2) le networking est une véritable compétence professionnelle et 3) comme toute compétence, elle s’acquiert, se développe et s’entretient. Une fois qu’on sait ça, c’est trop bête de se priver d’agir.

 

Programme Eve : Votre mission chez Deloitte se termine et à ce moment-là, vous choisissez de prolonger votre réflexion en créant Women’Up…

Emmanuelle Duez : Oui, notre objectif en montant Women’Up était de reproduire à grande échelle ce que nous venions d’apprendre et de permettre à d’autres jeunes d’aller explorer cette passionnante matière dans des entreprises partenaires. Le principe de Women’Up est simple, nous proposons des missions de 6 mois basées sur les engagements respectifs des étudiants et des entreprises dans un esprit win-win : une entreprise s’engage à accueillir et à accompagner un-e étudiant-e qui souhaite travailler sur la mixité, lui ouvre ses réseaux, met à sa disposition des contacts, lui permet de monter en compétence sur la question et en échange, l’étudiant-e apporte son regard de jeune Y sur ces problématique de mixité et networking, donne de son temps et de son énergie, produit du « jus de cerveau » pour aider à faire évoluer les politiques internes et les rendre plus pérennes car plus adaptées aux aspirations des générations futures. C’est aussi une manière de dire que cette génération Y qu’on dit individualiste veut prendre et apprendre… Mais sait aussi donner!

Programme Eve : Parlons justement de ce qu’on appelle la génération Y, à laquelle vous appartenez et dans laquelle Women’Up s’inscrit volontiers. Comment définiriez-vous cette génération, ses problématiques et ses dynamiques?

Emmanuelle Duez : Women’Up est en effet un produit de la génération Y, quoi qu’on pense de cette dénomination, de plus en plus galvaudée. Et c’est la première association à faire le lien entre les problématiques de cette génération et celles de la mixité. Nous sommes en effet convaincus que cette génération pose un regard très novateur sur les sujets de mixité.
Ce positionnement est intéressant pour les entreprises partenaires, car la génération Y pose en permanence des problèmes de « gestion » des ressources humaines. On nous dit individualistes, et en effet, nous avons des comportements qui mettent profondément en cause les organisations. Par exemple, on n’hésite pas à claquer la porte d’une boîte au bout de deux ans, si le jeu n’en vaut plus la chandelle ou si les équilibres de vie nous semblent rompus. On est aussi une génération qui est en quête de sens : quand on lui demande de faire quelque chose qu’il ne comprend pas, le Y n’obéit pas. Sa question leitmotiv, c’est « pourquoi? » : pourquoi je me lève le matin, pourquoi je devrais faire quelque chose que je ne comprends pas, pourquoi je resterais là où je ne m’y retrouve pas? Vu sous cet angle, je dirais que nous ne sommes pas des individualistes, mais plutôt des humanistes, au sens noble du terme. On replace l’humain et sa liberté de choix au coeur des motivations. On ne se laisse pas imposer une conception de l’entreprise, de la réussite et du bonheur, mais on y donne chacun sa définition. Ce n’est évidemment pas nouveau, mais ce qui fait la véritable spécificité de la génération Y, c’est que c’est assumé, revendiqué, sans complexe.

Programme Eve : Est-ce que selon vous, les femmes de la génération Y bénéficient de plus de liberté et d’égalité que celles des générations précédentes?

Emmanuelle Duez : A 25 ans, oui, indéniablement. L’aspiration à la liberté de choix de toute une génération bénéficie à toutes et tous. On pourrait appeler ça un effet de génération horizontal. Mais on observe sur ces mêmes Y, vers l’âge de 30 ans, et souvent à l’arrivée du premier enfant, un retour en force des schémas dits « traditionnels ». Ce rétropédalage est majoritairement du au poids des stéréotypes, qui ressurgissent en même temps que la situation individuelle se complexifie, et produisent ainsi un effet dit vertical. Pour le dire simplement, les femmes et les hommes qui ont accédé à une grande liberté de choix dans leur prime jeunesse se trouvent rattrapées par des stéréotypes verticalement ancrés par l’éducation, la culture, les mentalités. Parmi les conséquences induites par ces stéréotypes il y a, bien sûr, la fameuse autocensure féminine qui entre en ligne de compte : quand les hommes disent qu’ils maîtrisent quand ils ne maîtrisent qu’à 80 %, les femmes se sentent obligées d’être plus humbles, plus sages… Et cela se reporte directement sur les différences de salaires, à l’embauche comme au cours de la carrière.

Programme Eve : On est au coeur d’un sujet qui vous intéresse et nous intéresse au plus haut point : les questions d’autocensure et d’inconscient collectif. Comment pensez-vous qu’on puisse agir à ce niveau?

Emmanuelle Duez : Je verrais trois leviers. Le premier, c’est l’importance des rôles-modèles. Pour ma génération, on a un peu loupé le coche (Pour l’anecdote, un des seuls rôle-modèles dont je me souvienne, ado, était Lara Croft et c’est notamment grâce à ce rôle modèle virtuel que j’ai passé récemment mon permis moto… comme quoi ça marche !). Mais aujourd’hui, la génération Z, celle qui fréquente les crèches et les écoles maternelles est mieux préparée à déconstruire les stéréotypes, on lui présente des hommes sages-femmes ou artistes et des femmes pompiers ou pilotes d’hélicoptères. Gageons que ça jouera favorablement sur les schémas mentaux de cette génération. Le second levier concerne ma génération : nous avons un rôle à jouer pour convaincre les entreprises d’accompagner le mouvement en faveur de la mixité, plutôt que de l’étouffer, car ce regard neuf de la génération Y est porteur de véritables innovations et d’atouts business indéniables. Le troisième levier concerne la génération des quinquas dans l’entreprise. Au sein de l’association nous considérons que la loi sur les quotas, un mal nécessaire, est fondamentale, à la fois pour habituer les dirigeants à la présence des femmes à un haut niveau de responsabilité et pour construire des rôles-modèles pour nous, les plus jeunes.

Programme Eve : Mais dans tout ça, que devient la génération X, celle des femmes qui ont entre 35 et 45 ans aujourd’hui? Est-elle condamnée à être sacrifiée?

Emmanuelle Duez : Je crois qu’elle peut elle aussi agir, tout de suite. D’abord, au point de vue individuel. Même si à mon âge, la perspective du premier enfant semble à des années lumière, je pense qu’une femme qui veut faire carrière doit aussi prendre ses responsabilités et admettre de faire certains sacrifices. On peut partir en congé maternité trois mois plutôt que deux ans en congé parental, on peut aussi se donner les moyens de suivre ses dossiers à distance, avec les moyens actuels d’information et de communication. Les femmes ne doivent pas baisser les bras quand elles voient leur carrière se ralentir au moment où elles fondent une famille. Et ce d’autant moins que de plus en plus d’entreprises sont sensibilisées à cette question et tâchent d’y apporter des réponses pertinentes. Une entreprise partenaire de Women’Up a pris une mesure particulièrement novatrice en la matière : toute femme qui part en congé maternité s’y voit automatiquement promue à son retour. C’est le signe d’une vraie prise de conscience de la période cruciale qu’est la maternité dans la carrière des femmes.

Programme Eve : On fait parfois le reproche aux femmes qui s’investissent sur les questions de leadership au féminin de mener un « combat de classe » et de ne pas se préoccuper assez de la condition des autres femmes, notamment précaires ou en proie aux violences ordinaires. Avez-vous déjà essuyé ce genre de commentaires? Que répondez-vous à cela?

Emmanuelle Duez : Ce qu’on me lance parfois, c’est « Est-ce que tu ne penses pas que la génération Y, c’est seulement limité aux gens qui ont fait des grandes écoles et que ça ne concerne pas le commun des mortels de ton âge? » C’est faux! L’aspiration à la liberté de choix, c’est vraiment le fait de toute une génération. Ca ne veut pas dire que c’est accessible au même rythme pour tout le monde, mais ça signifie que nous avons tous cette même attente, à laquelle la société dans son intégralité se confronte et doit répondre, et ce notamment dans un contexte économique complexe de refonte des schémas sociétaux. Une autre caractéristique commune à toute notre génération, tous genres et toutes « classes » confondus, c’est que nous avons grandi en nous appropriant les acquis des combats féministes des trente dernières années. Nos mères, qui majoritairement travaillaient, se sont battues contre les réunions après 18 heures et pour le 4/5è. Nous revendiquons cela comme un droit, sans avoir à nous justifier et à dire si c’est pour consacrer du temps à nos enfants ou bien à notre groupe de rock alternatif ou à l’association de défense des baleines dont laquelle nous militons. Nous sommes en train de « dégenrer » les acquis féministes, en les plaçant au rang de mesures de bien-être pour la société dans son ensemble. A Women’Up, nous le voyons bien : les garçons de l’association sont là parce qu’ils y croient et parce qu’ils savent que c’est aussi bien pour eux, que c’est un combat qui est aussi le leur et dont ils recueilleront personnellement les fruits. La mixité n’est plus un problème exclusivement féminin, c’est une question de société, pour tous.

 

Le club Women’Up : un levier de talents pour assurer la relève

Programme Eve : Vous venez de finir vos études. D’ici quelques mois, vous entrerez de plain-pied dans la vie active. Que va alors devenir Women’Up?

Emmanuelle Duez : Une chose est sûre, Women’Up est une association par et pour la jeunesse, il serait par conséquent ridicule de ne pas laisser la place aux suivants. Autre point essentiel : depuis sa création, Women’Up a vocation à vivre indépendamment des personnes qui l’ont créé et qui s’y investissent, car nous portons un vrai message innovant et optimiste dans lequel nous croyons profondément. Donc évidemment, Women’Up a un avenir au-delà des 10 membres actuels de son équipe. Nous avons monté un club de 35 étudiants impliqués sur les questions de mixité, aujourd’hui intégrés aux réseaux de nos 12 entreprises partenaires, ce qui constitue un formidable vivier de talents pour préparer notre succession. Dans les mois qui viennent, certains d’entre eux formeront des binômes avec les responsables actuels de Women’Up de façon à assurer de façon optimale la passation.

Programme Eve : Merci Emmanuelle, et longue vie à Women’Up!

Propos recueillis par Marie Donzel

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