Stéréotypes de genre : sortir du débat nature/culture

Eve, Le Blog Egalité professionnelle, Leadership

Les métiers ont-ils un sexe ? Le leadership a-t-il un sexe ? La confiance en soi a-t-elle un sexe ? L’ambition a-t-elle un sexe ? Avec ces questions pas si naïvement posées, les expert·es de l’égalité professionnelle soulignent la prégnance des stéréotypes de genre dans les perceptions collectives des rôles sociaux.

Une récente étude du Pew Research Center confirme un attachement persévérant des mentalités à l’idée de différences (d’aptitudes, de fonctionnement, de centres d’intérêt…) entre femmes et hommes. Et ces différences semblent d’autant plus irréductibles que la conviction est installée que c’est de la nature qu’elles procèdent. Synthèse commentée de cette enquête menée auprès 4573 Américain·es représentatif·ves de la population.

 

 

Les stéréotypes de genre ont la vie dure

Femmes et hommes n’ont pas les mêmes aptitudes physiques, estiment 76% des personnes interrogées. Cependant, ce n’est pas ce critère de différenciation qui arrive en tête des convictions de la population sur la différence des sexes : pour près de 9 personnes sur 10, ce qui différencie en tout premier lieu un homme d’une femme, c’est la façon d’exprimer ses sentiments.

En troisième position, on trouve les centres d’intérêt, réputés distincts selon le sexe pour 68% des sondé·es. Puis vient le rapport à la parentalité qui n’est pas le même pour une femme et pour un homme dans l’esprit de 64% de la population américaine. Mais ils sont presqu’autant (63%) à penser que les sexes n’ont pas de compétences professionnelles assignées.

 

Nature contre culture ?

A quoi sont attribuées ces différences perçues entre les sexes ? C’est la biologie qui le veut, pour 42% des personnes convaincues que femmes et hommes n’expriment pas leurs sentiments de la même façon, pour 46% qui distribuent les centres d’intérêt en fonction du genre et 47% qui voient des compétences professionnelles spécifiques à chaque sexe.

Sur tous les items, le poids des constructions sociales dans l’appréhension de l’origines des différences entre les sexes prend une courte avance sur les invocations essentialistes.

 

Les hommes plus essentialistes que les femmes

Ce sont les hommes qui donnent le plus de crédit à la nature biologique des différences d’appétences, compétences et comportements entre femmes et hommes. Ils sont presque deux fois plus nombreux que les femmes à être convaincus que si les qualités professionnelles ont un sexe, c’est à la biologie que cela tient !

La conviction que l’expression masculine des sentiments est par nature différente de l’expression féminine des sentiments est aussi nettement plus ancrée chez les hommes que chez les femmes. Pour les femmes, c’est toujours davantage aux constructions sociales qu’il faut se référer pour comprendre la différence des sexes.

 

Une morale de la différence des sexes ?

Dans l’ensemble, celles et ceux qui affirment que des différences séparent nettement le « monde » des femmes de celui des hommes n’y voient pas d’inconvénient, voire estiment que c’est une bonne chose. La différence des sexes est notamment plébiscitée quand il y va de parentalité… Et elle a bonne presse aussi quand il s’agit de se répartir les compétences professionnelles et les valeurs.

Aux hommes : l’honnêteté, le professionnalisme, l’ambition, la force de travail… Aux femmes : l’apparence physique ( ?!), l’attention portée à autrui, la douceur et l’intelligence. Des assignations qui font pression, sur les hommes pour réussir professionnellement et subvenir aux besoins de leurs foyers et sur les femmes pour être de bonnes mères et rester physiquement attirantes. Rien de bien neuf sous le ciel chargé des stéréotypes de genre !

A noter toutefois que la pression pour se conformer aux attendus sociaux du genre vient principalement des hommes pour les hommes et des femmes pour les femmes : en d’autres termes, ce serait surtout de l’intériorisation du stéréotype que se nourrirait l’injonction à être un homme, un vrai/une femme, une vraie.

 

Déconstruire les stéréotypes de genre, oui… Mais plutôt chez les femmes.

La pression liée aux stéréotypes de genre convainc une majorité de la nécessité de les déconstruire dès la petite enfance. Mais, la différenciation genrée s’invite jusque dans l’action en faveur d’une éducation non-sexiste : si 77% des sondé·es sont favorables à ce que l’on encourage les fillettes à s’approprier les jeux et activités réputés « de garçons », ils/elles ne sont que 64% à estimer qu’il est bon de faire l’inverse avec les petits garçons.

Où l’on retrouve les effets de la « valence différentielle des sexes » : il est accepté et valorisant d’aller vers le masculin, mais disqualifiant d’aller vers le féminin.

 

Changer de paradigmes pour lutter plus efficacement contre les effets des stéréotypes sexistes

Ce que l’étude du Pew Research Center révèle, c’est certes la permanence des stéréotypes de genre dans les esprits, mais aussi leur relative résistance à la conscientisation. Il ne serait donc pas suffisant pour se libérer de la pression que les stéréotypes exercent, de savoir les identifier et de se rendre compte qu’on en fait l’objet autant qu’on en véhicule. Il semble par ailleurs assez vain de prolonger à l’infini la discussion sur les fondements « naturels » ou bien « culturels » des visions assignant les individus à des fonctions sociales en fonction de leur genre.

La question se pose plutôt en termes de volonté collective de donner à chaque individu singulier les chances de se réaliser comme il le choisit. C’est la logique même de l’inclusion qui co-responsabilise chacun·e quant à ses postures et actes impactant autrui. S’il est improbable de se défaire de tous ses préconçus, ne serait-ce que parce que les mécanismes de la cognition procèdent en partie de catégorisations du monde, le psychosociologue Patrick Scharnitzky (ndlr : intervenant à EVE) invite à ne pas les laisser se transformer en biais décisionnels. Pour cela, il est essentiel de développer incessamment une ouverture culturelle favorisant l’empathie ainsi que de construire et entretenir un équilibre personnel et relationnel propice à des prises d’acte conscientes.

 

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE