L’intrapreneuriat, ou l’idée d’un·e employé·e-entrepreneur au service de nouvelles idées

Eve, Le Blog Responsabilité Sociale

Sur les pas de Danone, de Crédit Agricole S.A. ou encore d’Orange, SNCF, via son réseau féminin, se lance depuis l’automne dernier dans l’aventure intrapreneuriale. L’occasion pour nous de faire le point sur cette forme d’organisation alternative, au croisement des avantages du salariat et de ceux de l’entrepreneuriat.

L’intrapreneuriat, ou l’idée d’un·e employé·e-entrepreneur au service de nouvelles idées

Le concept d’intrapreneuriat n’est pas nouveau, et a prouvé son efficacité en 1974 à travers la success story d’Art Fry, le scientifique de chez 3M qui mit à profit ses 15% « timeframe » pour inventer un produit désormais emblématique : le Post-It.

Face à un environnement toujours plus concurrentiel, les entreprises se doivent d’être innovantes. Pour répondre à ce défi, elles sont de plus en plus nombreuses à parier sur leurs ressources internes. Ainsi, l’intrapreneuriat désigne « une nouvelle forme de gestion qui amène les employés d’une organisation à innover et à se comporter comme des entrepreneurs au service de celle-ci », selon la définition de Camille Carrier, experte référente du sujet. Proche de la notion de corporate entrepreneurship en ce qu’il associe un individu et une organisation, ce modèle permet à un·e collaborateur/collaboratrice de travailler sur un projet innovant, à temps partiel ou à temps plein, au diapason de la vision stratégique de son employeur.

Les piliers de l’intrapreneuriat

L’intrapreneuriat puise sa force novatrice au sein d’autres concepts contemporains, et notamment :

  • L’agilité : les modalités de l’intrapreneuriat s’adaptent au degré d’autonomie offert par l’entreprise : le dispositif peut ainsi être détaché dans une cellule spécifique ou intégré au reste de l’organisation. De même, l’intrapreneur·e peut se dédier entièrement à un projet intrapreneurial ou bien l’adjoindre à son activité « principale » d’employé·e.
  • L’inclusion : l’intrapreneuriat répond à des logiques de désegmentation/déverticalisation et de contournement des career paths traditionnels, entrant directement en résonnance avec les défis de l’inclusion. À la manière d’un cercle vertueux, la diversité grandissante se met à son tour au service d’un idéal intrapreneurial : celui d’optimiser les potentialités créatives des individus et des collectifs.
  • La motivation intrinsèque : les leviers de motivation interne (comme le sens que l’on trouve dans sa mission ou l’autonomie accordée) sont, selon Dan Pink, bien plus porteurs pour réaliser des tâches heuristiques nécessitant créativité et adaptabilité que les leviers de motivations extrinsèques, tels que la rémunération.

Quels bénéfices attendus de la collaboration intrapreneuriale ?

Outre le gain de créativité, un tel partenariat employeur/employé·e peut se définir dans un rapport gagnant-gagnant à de nombreux égards. Les intrapreneur·e·s considèrent en effet des bienfaits en termes de :

  • Responsabilisation: alors que les organisations en silo pointent leurs limites, la large autonomie organisationnelle offerte par ce mode alternatif apporte sens, fierté et reconnaissance, sources d’engagement au travail … et donc de performance !
  • Opportunité professionnelle : l’intrapreneuriat est perçu comme une voie d’accès plus rapide pour faire ses preuves et ainsi légitimer une progression vers des fonctions élevées au sein de l’entreprise. Les moyens (techniques, financiers, humains, etc.) que cette dernière met à disposition permettent de vivre une aventure personnellement enrichissante et professionnellement valorisante, sans sacrifier la stabilité de son activité.

Pour les entreprises, l’intrapreneuriat se révèle utile tant pour répondre à des objectifs internes qu’externes :

  • Révéler les talents en interne : En cultivant des gisements de créativité inexploités, l’intrapreneuriat est un moyen de déboucher sur des innovations radicales que peinent parfois à générer les entreprises dans un contexte plus classique. En outre, elles sont les premières bénéficiaires de l’engagement induit chez les intrapreneur·e·s.
  • Attirer les potentiels externes : Lorsque l’on connait la propension des nouvelles générations à s’orienter vers des voies indépendantes (selon une enquête réalisée par The BosonProject, 47% de la génération Z aimerait créer leur entreprise), le modèle intrapreneurial apparaît comme une solution à même de renforcer la marque employeur.

Des expérimentations fructueuses

Après le précurseur 3M, c’est au tour de Google de s’y essayer à partir de 2004, dégageant 20% de temps de travail des salarié·e·s pour qu’elles/ils se consacrent à l’innovation. Une recette qui a donné naissance à de nombreux succès pour le leader de la web-economy, à l’instar de Gmail, AdSense ou encore Google Talk.

D’autres ont suivi la tendance : le Crédit Agricole S.A. intègre depuis 2014 des intrapreneur·e·s dans ses « Village by CA » ; l’Orange Gardens, un écocampus entièrement dédié à la recherche et à l’innovation a vu le jour à Châtillon en 2016.

L’intrapreunariat s’est également développé dans une déclinaison à caractère dit « social », répondant ainsi aux enjeux RSE de l’entreprise et à la réalité de certains profils d’intrapreneur·e·s aspirant à conjuguer performance économique et performance sociale. C’est ainsi que Danone a développé des projets d’éducation alimentaire et que BNP Paribas soutient les micro-entrepreneurs dans les pays en développement, rapporte le Livre Blanc édité en 2014 par Crédit Agricole S.A.

Un modèle paradoxal ?

Le modèle intrapreneurial n’est pas dénué d’un certain nombre de paradoxes. Bien que convaincues des bienfaits de l’agilité, certaines entreprises éprouvent des difficultés à basculer d’un mode d’organisation traditionnel de « contrôle/validation » vers un modèle encourageant la prise de risque inhérente à l’esprit de l’innovation.

Les dispositifs « en entonnoir », initialement largement plébiscités, montrent également leurs limites. Selon Véronique Bouchard, professeure de stratégie à l’EM Lyon, ce « processus de sélection-appui – très ouvert à l’entrée et se rétrécissant rapidement – semble plus apte à écrémer qu’à générer de nouvelles idées. (…) Ce mécanisme pêche par excès, ne laissant passer que quelques individus très bien armés et des projets, en général, peu risqués. On observe en fait un mimétisme entre le fonctionnement du dispositif et celui de l’organisation existante ».

Cette résultante est également décriée par certain·e·s, qui perçoivent l’expérience de l’intrapreneuriat comme un vernis séduisant correspondant en réalité à de la « gestion de projet déguisée » plus qu’à un réel changement de paradigme, selon la consultante Alena Busko. Ainsi, Google a officieusement sonné le glas de sa politique des 20% au début des années 2010. De nombreux témoignages rapportent en effet que « les « 20% » s’ajoutent désormais aux « 100% », autrement dit les ingénieurs sont encouragés à travailler sur des projets annexes, mais le soir et le week-end… ».

Par ailleurs, l’aventure intrapreneuriale exige une vision long-termiste pour révéler son potentiel d’innovations et de performance. De fait, sur le moyen terme la plus-value s’apprécie davantage en termes de capital social, avec tout ce que cela représente d’intangibilité.

Une dynamique inspirationnelle plus qu’un modèle organisationnel

L’intrapreneuriat ne se définirait donc pas comme une fin en soi, mais plutôt comme une force de transformation destinée à proposer un modèle alternatif souple apte à répondre aux besoins d’agilité des organisations. Il s’agit donc avant tout pour ce modèle expérientiel d’irriguer de nouvelles pratiques managériales.

Il reste cependant à noter que si les bénéfices de l’intrapreneuriat, comme par ailleurs ceux de la diversité, sont incontestés, ils n’en demeurent pas moins soumis à des conditions contextuelles. Comme le souligne le Livre Blanc publié en 2014 par le Crédit Agricole en partenariat avec The Boson Project : « Sans culture propice, pas d’intrapreneuriat ! ».

Cette « culture propice » doit être pensée à une échelle systémique :

  • Au-delà de la myriade de facultés traditionnellement attendues pour ce type de profil (créativité, confiance en soi, audace, autonomie…) les employees-entrepreneursdoivent être en mesure de développer une certaine flexibilité et de rechercher un soutien auprès de leurs pairs qui peuvent leur apporter du feedback constructif. Il convient également de prêter attention aux potentiels risques de surengagement.
  • Le middle management doit veiller à gérer efficacement les éventuels conflits de ressources engendrés par les dispositifs intrapreneuriaux, surtout lorsque ces derniers sont intégrés à l’organisation.
  • Pour limiter ces conflits, les instances dirigeantes favoriseront donc les entités détachées et indépendantes qui ne concurrencent pas les ressources « traditionnelles » du management. Ces dernières doivent aussi veiller à garantir une confiance authentique envers leurs intrapreneur·e·s, qui s’inscrive dans une réelle marge de liberté et une promotion du droit à l’erreur. D’autre part, une réflexion sur le partage des bénéfices doit être engagée. La reconnaissance est posée comme une pierre angulaire du modèle intrapreneurial, mais elle ne saurait se limiter à une simple opportunité de développer un projet ! Au-delà de la reconnaissance symbolique et des effets sur la carrière, se pose la question de la valorisation économique, notamment en matière de propriété intellectuelle.
  • Plus largement, la société doit participer à valoriser les valeurs propices à l’émergence d’un climat d’innovation, telles que la proactivité, la prise de risque ou encore le non-conformisme. Cela passe par l’éducation : notons à ce titre les actions de la fédération d’associations « Entreprendre pour Apprendre », membre du réseau mondial « Junior Achievement Worldwide ». Bien entendu, l’évolution des mentalités dans notre société est aussi l’affaire de tou·te·s !

Valentine Poisson & Marie Donzel, pour le webmagazine EVE