Olivia Moore, une irrésistible « mère indigne »

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C’est une belle brune élancée qui s’annonce « gaulée comme un stérilet« . Tous les mardis soirs, à la Comédie des Boulevards, son one-woman-show sur la parentalité fait hurler de rire « tous ceux qui sont parents… Et aussi tous ceux qui ont des parents« .

Dans « Mère indigne », Olivia Moore ne rate rien ni personne : ni mères, ni pères, ni enfants, ni beaux-enfants. Ni beaux-parents, ni grands-parents, ni nounous, ni employeurs. Ni son banquier, ni les supermarchés, ni les smartphones, ni les paquets de gâteaux, ni le panier à la linge qui déborde. Son irrésistible comédie de la parentalité dégomme tout ce qui file des complexes à celles et ceux qui ont essayé d’être de « bons parents« , mais qui « ont finalement revu leurs exigences éducatives à la baisse« . C’est jouissif et nom d’une lotion anti-poux, que ça fait du bien là où ça grattouille!

Humoriste, Olivia ne l’a pas toujours été. Mère (indigne) non plus, d’ailleurs. Elle nous a raconté les coulisses du parcours qui l’a menée à faire des joies (et moins joies) de la parentalité un spectacle hilarant. Portrait.

 

* * *

 

C’est l’heure du goûter. Au bar d’un hôtel cosy des Batignolles, Olivia commande une belle assiette de charcuterie. Le ton est donné : cette femme n’est pas du genre à siroter un soda light en chipotant des crudités sans sauce. Elle est plutôt du côté de celles et ceux qui croquent la vie à pleines dents. D’un tempérament gourmand… Mordant, même.

Entre le salami et le cornichon, on voudrait bien la faire parler, pour commencer, de son enfance : a-t-elle toujours été drôle? Est-ce qu’elle était la joyeuse luronne du car scolaire? Elle a bien une petite anecdote de canular potache sorti de ses années collège à raconter? Elle s’excuse de ne pas satisfaire aux clichés (ce n’est qu’un début) mais de l’enfance, elle ne garde pas le souvenir d’une comédie poilante à rebondissements multiples. Plutôt celui d’un long, très long, fleuve bien trop tranquille. Celui de l’apprentissage obligé de la conformité, tiens-toi bien et mouche ton nez, dis bonjour à la dame et révise ton contrôle de maths pour avoir un bon travail plus tard.

 

« Ma mère disait que je finirais concierge au Ritz. Elle a un certain sens du standing, ma mère. Moi, concierge n’importe où, ça m’aurait plu.« 

 

Alors, à 18 ans, pensant avoir fait sienne cette exigence de suivre la voie tracée, elle s’inscrit poliment en fac de droit. Ce n’est pas une vocation mais pas non plus un non-choix : « Le droit, c’est ce qui se passe dans la société, et moi, depuis que je suis petite, il y a un truc qui m’intéresse, c’est les gens. Je suis très curieuse de ce qu’ils vivent en vrai. Ma mère disait que je finirais concierge au Ritz. Elle a un certain sens du standing, ma mère. Moi, concierge n’importe où, ça m’aurait plu. »

A défaut de suivre le cursus « conciergerie supérieure« , option « vie des gens en vrai« , Olivia assiste au cours du constitutionnaliste Guy Carcassonne. Toutes et tous celles et ceux qui ont eu la chance de l’avoir comme prof s’en souviennent : ce génial publiciste à l’oeil frisant, aux métaphores redoutables et au sens pédagogique unique faisait de de chaque chapitre d’un quelconque code Dalloz, l’occasion d’un show stupéfiant. Olivia n’a « pas encore identifié que c’est le spectacle qui l’attire, mais Carcassonne [lui] envoie des indices très sérieux » sur sa propre vocation. Et en attendant, il lui donne de la discipline juridique une vision si réjouissante qu’elle poursuit ses études jusqu’au troisième cycle.

 

« Il est toujours urgent d’être soi, être bien, ça n’attend pas »

 

Aspirant à l’indépendance, elle prend dans la foulée un poste aux ressources humaines d’un grand groupe. La mission est intéressante, mais quand elle regarde par la fenêtre du building, Olivia a le cafard. « L’impression que ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe au dehors, et qu’à rester enfermée toute la journée dans un bureau, [elle] passe complètement à côté. » Telle une plante qui fait morne feuillage derrière les vitres closes, elle éclôt vigoureusement les soirs où elle a cours de théâtre, avec Jacqueline Duc. Cette dernière l’encourage à passer le concours d’entrée au Conservatoire. La confiance que l’actrice de renom place dans le potentiel d’Olivia est un nouvel « indice« . A côté duquel elle passe toutefois, préparant le concours mais renonçant au dernier moment à se présenter aux épreuves.

Pourquoi, mais pourquoi? « Parce qu’il faut du temps pour savoir qui on est vraiment, pour que les pièces du puzzle se rassemblent ». Et aussi « parce que quand on est jeune, on pense que la vie est très longue et qu’on a tendance parfois à reporter à plus tard le moment d’être bien. On ne sait pas qu’il est toujours urgent d’être soi, que ça n’attend pas. A 22 ans, je me disais que je n’avais plus qu’à attendre la retraite pour vivre enfin ma vie. Ca faisait loin… »

 

Retrouver cet « état de soi », libéré des injonctions et puissamment porté par la joie de vivre

 

Tellement loin qu’elle prend tout de suite quelques quartiers libres, en demandant un congé sabbatique qu’elle occupe à voyager en Asie du Sud Est puis en se faisant employer comme surveillante dans un centre de loisirs. C’est là qu’elle fait connaissance avec le monde de l’enfance : « je suis fascinée, dit-elle, par ce que sont les enfants avant d’être enserrés dans quelque chose qui n’est pas eux« . Nouvel indice : on a toutes et tous été soi, naturellement et spontanément avant de se conformer à une image de ce qu’il « faut » être. Cet « état de soi » libéré des injonctions et puissamment porté par la joie de vivre, on doit donc bien pouvoir le retrouver.

Pour cela, il faut commencer par réapprendre à dire non à ce qu’on ne veut pas, à ce qu’on n’est pas. Olivia refuse donc le poste de commercial qu’on lui offre à son retour de congé, elle démissionne et se lance dans le conseil en marketing où elle excelle dans l’animation de groupes de consommateurs. Animer n’est pas un vain mot pour celle qui adore « faire le show » et le fait si bien que L’Oréal a tôt fait de la « chasser« . A 30 ans, elle entre chez le leader mondial de la beauté comme directrice des études de la marque Biotherm.

 

Des bébés et de (très bonnes) questions

 

C’est à ce moment-là que, selon ses propres mots, elle « commence à pondre » : un enfant, puis deux, puis trois. En moins de cinq ans et en plus des deux que son mari a apportés en dot. Entre le deuxième et troisième bébé, L’Oréal la nomme chef de groupe pour Helena Rubinstein. C’est une rampe de lancement pour un poste de directrice de marketing à moyen terme. Sauf que, entre le deuxième et le troisième bébé, Olivia se pose… Beaucoup de (bonnes) questions qui tournent toutes autour de la seule qui vaille : « Qu’est-ce que je veux vraiment faire?« .

Méthodiquement, elle liste : ce qui compte vraiment (« être autonome financièrement« ) et ne compte pas tant que ça (« le titre, par exemple [elle] s’aperçoit qu’au fond, [elle] s’en fout un peu« ). Dans la colonne envie(s), le mot « spectacle » s’inscrit en lettres majuscules, souligné plusieurs fois. Cette fois-ci, les indices concordent et l’évidence est là : depuis toujours, elle rêve de ça, elle rêve de scène.

 

« Trucs de mère indigne », d’une page facebook qui cartonne à un spectacle qui remplit les salles

 

Dont acte : enceinte de 6 mois, avec « un ventre qui [la] précède de deux fuseaux horaires« , elle s’inscrit à l’école du One Man Show. Et s’attèle dans la foulée à l’écriture de sketchs. « Comme tout le monde« , elle commence par « faire des vannes sur le boulot« , mais ça fait plutôt « rire jaune« , elle comme les autres. Elle s’inspire aussi, pour créer des pastilles drolatiques d’une page Facebook qu’elle a créée quelques semaines plus tôt et sur laquelle elle partage avec des fans chaque jour plus nombreux-ses des « trucs de mère indigne« .

Elle y consigne quotidiennement des anecdotes de la vie de famille, la vraie, pas celle des pubs pour chicoré café ou pâte à tartiner avec leur brushing maternel laqué, leurs sourires dentifrice et leur progéniture bien repassée. Non, la vraie vie de famille échevelée et barbouillée, avec ses panières de chaussettes orphelines, ses fresques murales enfantines, ses dérapages incontrôlés sur legos éparpillés, ses chewing-gums dans les couettes et ses pizzas surgelées micro-ondées… La communauté des « mères indignes » cartonne et dans le tout jeune spectacle d’Olivia, les sketchs qui y font écho sont aussi ceux qui font le plus rire. Elle le tient, son sujet. Et décide d’en faire tout un show.

A la date précise où elle est supposée reprendre le travail chez L’Oréal, elle joue la première de « Mère Indigne« . La critique est enthousiaste, la mummosphère twitte de joie à tout va, les salles se remplissent, tordues de rire du lever de rideau jusqu’au salut. Car ça sent le vécu! Et ça fait grand bien d’en rigoler à gorge déployée, dit celle qui « mise sur le second degré pour mettre le doigt sur les faux-semblants et soigner par la dérision ce qui fait mal, ce qui complexe, ce qui angoisse, ce qui agace« .

 

Le « second degré », cette véritable « intelligence de l’humoriste »

 

Sur le second degré, précisément, Olivia Moore tient un discours qui fait du bien à entendre : loin de celles et ceux qui y voient un prétexte au tout et n’importe quoi de l’humour bête et méchant qui s’auto-absout de toute forme de responsabilité, elle en parle comme d’une véritable « intelligence de l’humoriste« , celle qu’il faut pour trouver « le bon niveau de décalage« . Et c’est chaque soir, devant chaque nouvelle salle que ça se joue : parce qu’elle a choisi de rire « avec » son public (et non « contre » quiconque), Olivia Moore s’interdit « la vanne pour distraire à tout prix » mais s’oblige au contraire à « cerner son public pour sentir jusqu’où il peut rire, jusqu’où ça lui fait du bien« . Un subtil jeu d’équilibriste qui repose sur l’écoute audacieuse des réactions des spectateurs et spectatrices à ses effets.

Avec une lecture fine de la formule desprogienne selon laquelle « on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui« , Olivia refuse de renvoyer celles et ceux qui ne rient pas d’une blague à leur manque de savoir-vivre. Si la blague fait chou blanc ou si elle heurte au lieu d’amuser, c’est peut-être qu’elle n’est pas si bonne que ça, ose affirmer celle qui « ne voit vraiment pas ce qu’il peut y avoir de drôle dans une vanne raciste ou sexiste« . Et de citer l’une de ses idoles pour décomplexer celles et ceux qui craignent de passer pour bégueules : « L »immense humoriste américain Louis C.K., qui est une référence pour la génération d’humoristes à laquelle j’appartiens, dit que la meilleure réponse à faire, face à une blague sexiste ou raciste, c’est de dire qu’on n’a pas compris et de demander à la personne qui se croit drôle d’expliquer sa blague. Nous les humoristes, nous sommes très orgueilleux, nous détestons devoir décortiquer notre vanne pour démontrer qu’elle devrait être marrante. Rien ne nous est plus vexant que d’être dans la position de celui qui se retrouve tout seul à rigoler de son propre gag. »

 

Drôle sans être jamais méchante, décapante sans être jamais blessante, affûtée et délicieusement piquante, Olivia Moore est une humoriste excellente doublée d’une fille épatante qui respire autant la vivacité d’esprit que la joie de vivre, la pétulance que la bienveillance. Son goûter de pain-beurre-salami englouti, elle file se préparer pour sa séance du soir. « On va encore bien rigoler, je sens » prédit-elle, comme si au lieu de partir travailler, c’est une bande de copains et de copines qu’elle s’en allait rencontrer parmi ceux qui d’ici quelques heures l’applaudiront à s’en brûler les mains après avoir ri jusqu’aux crampes!

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE

 

 

« Mère indigne »

 

One woman-show écrit et joué par Olivia Moore

 

http://youtu.be/sMoalbfNhvk

 

Tous les mardis soirs à la Comédie des Boulevards
Jusqu’au 11 mars 2014
Réservation

 

 

Drôles de femmes

 

Pas drôles, les femmes? Le stéréotype a la vie dure!

Quand on a interrogé Olivia Moore sur ce cliché sexiste s’il en est, elle nous a cité tout de suite « au moins dix femmes humoristes, au-delà des plus connues que sont Muriel Robin ou Florence Foresti. Elles sont peut-être moins visibles, moins médiatisées, mais elles sont vraiment drôles et remplissent les salles« .

 

Dans un esprit de résolue bonne camaraderie, elle nous invite à découvrir notamment :

Marine Baousson (qui ne sera jamais une James Bond Girls)

Christine Berrou (et son humour absurde très anglo saxon)

Shirley Souagnon (qui ne fait pas de cadeaux à « l’art intello »)

Candiie (et son corrosif humour anti-raciste)

Marie Desroles (et sa trentaine célibattante)

Berengère Krief (la « Marla » de Bref!, qui qui ne rate rien ni personne)

Nora Hamzawi (que l’on retrouve sur Canal + et en chroniqueuse régulière sur France Inter)

Julie Gallibert (parfaite en Mamie Whisky)

Charlotte Gabris (25 ans et une foule de questions existentielles traitées par le rire)

Nadia Roz (en exquise Desperate Blanche Neige)

Anne-Sophie Girard (qui en a plus qu’assez des « gens parfaits »)

Caroline Vigneaux (et ses aventures drolatiques avec le prince charmant)…

 

Et Olivia d’ajouter « Ca, c’est la partie émergée, mais il y en a plein en France, en Belgique, en Suisse, au Québec… Et je ne vous parle pas des blogueuses, twittos et illustratrices qui débordent d’humour aussi, partout sur la toile. »

En somme, les femmes drôles, c’est un peu comme les expertes dans les émissions de débat ou les cadres dirigeantes en situation d’entrer dans un CA : quand on dit qu’on n’en a pas trouvé, c’est peut-être parce qu’on n’a pas beaucoup cherché… :-)