Zhen Zhen Lan ou le roman vrai d’une femme d’exception chinoise

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Elle est de celles et ceux qui sont venu-es de très loin, qui ont même traversé la moitié de la planète pour participer à EVE 2013.

Arrivée de Shanghai, où elle occupe le poste de Vice-Présidente de L’Oréal Chine en charge de la Communication et les Affaires Corporate, Zhen Zhen Lan a ébloui toutes et tous celles et ceux qui ont eu le bonheur d’échanger avec elle au cours du séminaire. Sa grâce naturelle, son enthousiasme communicatif, son esprit d’une impressionnante vivacité en font à coup sûr une personnalité hautement charismatique.

En l’approchant, nous savions que nous allions faire connaissance avec un vrai « rôle-modèle« . Ce que nous ne pouvions deviner, c’est que l’histoire vraie qu’elle allait nous raconter, celle de sa vie, se lirait comme un ébouriffant roman d’aventures…

 

 

Née dans une « petite ville » de « petite province » au coeur d’un pays géant

Le roman vrai de Zhen Zhen s’ouvre dans les années 1960. En plein coeur de la Chine agricole, dans la « petite » ville de Chengdu, capitale de la « petite » province montagneuse du Sichuan. Une « petite ville« , à l’échelle de ce pays géant, c’est 5 millions d’habitants. Et la « petite province » dont on parle a une superficie plus ou moins équivalente à celle de la France. « Tout prend des proportions différentes, chez nous » admet Zhen Zhen dans un sourire tranquille.

Au gigantisme de la géographie et des ambitions d’un « Etat socialiste » alors aux abois, répond le minimalisme des droits individuels de la population. On ne choisit presque rien pour soi ou pour ses enfants dans une Chine plus que jamais inquiète de cacher au reste du monde l’échec dramatique du « Grand Bond en Avant« . Le système est verrouillé, les déplacements, même à l’intérieur du pays, sont ultra-contrôlés, les contacts avec l’étranger quasi-impossibles.

 

Le « rêve français »

L’Occident est un inaccessible. Malgré cela, la famille de Zhen Zhen entretient « le rêve français » d’un oncle qui a étudié à Paris dans les années 1930, y est tombé éperdument amoureux d’une demoiselle au teint diaphane et a précieusement conservé puis transmis aux siens une liasse de lettres d’amour transcontinentales. A l’adolescence, Zhen Zhen reprend cette passion française à son compte : elle veut entrer à l’Université du Sichuan, où entre deux cours sur l’histoire du Parti Communiste, on enseigne en option la langue de Molière.

La sélection est rude : 4% seulement des bachelier-es obtiennent leur ticket d’entrée pour la fac. A force de travail et de détermination, Zhen Zhen décroche le sien, à l’automne 1980. « Veste mao grise boutonnée au col et chaussures de coton aux pieds« , elle y apprend le français de La Fontaine, Balzac, Hugo, Flaubert et Stendhal « avec l’accent sénégalais » car c’est en Afrique que son professeur l’a lui-même appris. C’est écrivant et parlant une langue livresque, mais à la perfection, que Zhen Zhen sort quatre ans plus tard de l’Université, un master en poche.

 

Un travail de « première catégorie » 

Mais à l’heure où la Chine donne des gages d’ouverture au monde en envoyant pour la première fois une délégation d’athlètes aux Jeux Olympiques de Los Angeles, le système intérieur reste très fermé. On ne décide notamment pas de son activité professionnelle. « C’est l’Etat qui affecte à chacun un travail, explique Zhen Zhen. Il y a trois catégories d’affectations. Quand on a un diplôme en langues, la première catégorie, c’est les métiers du secteur international, les plus prisés, évidemment. La seconde catégorie, c’est les métiers du trading. La troisième catégorie vous envoie à l’usine, où vous serez chargé de traduire en chinois les notices de machines d’importation. »

Pour obtenir son affectation, il faut passer un examen. Derrière un système de notations présenté comme le garant d’une sélection juste, il y a « le jeu des relations et toutes les tricheries qu’il permet. » Zhen Zhen se voit ainsi souffler le poste de première catégorie auquel elle aurait droit par une concurrente « qui a eu de moins bonnes notes, mais dont la famille a de meilleures relations« . La mère de Zhen Zhen, « une femme incroyablement dynamique, extrêmement courageuse, qui aurait fait, sa fille en est convaincue, une formidable entrepreneure«  si elle avait vécu en d’autres temps et lieux, ne laissera pas une telle injustice passer. Avec une audace folle, elle porte plainte et provoque un tel scandale que les autorités finissent par accepter de faire repasser l’examen aux deux jeunes filles.

« L’autre triche à nouveau, en faisant jouer les relations de sa famille pour avoir les questions à l’avance » mais les résultats définitifs permettent malgré tout à Zhen Zhen de décrocher le poste de première catégorie qui correspond aux résultats qu’elle a, elle, obtenu sans truquage.

 

Des cassettes de Mireille Mathieu offerte par des alpinistes

Elle est titularisée au bureau des affaires étrangères de la ville de Chengdu. Sa mission : encadrer le séjour des touristes français dans la région, pour la plupart des alpinistes à la conquête des monts splendides du Sichuan.

Ces adorateurs de la Chine qui en connaissent la magnifique diversité parfois mieux que les Chinois eux-mêmes, apportent dans leur barda « la vraie culture française : des saucissons, des fromages des cassettes de Mireille Mathieu, des romans contemporains en poche... »

Des trésors qu’ils lui laissent en repartant, qu’elle chérit jalousement et qui nourrissent toujours plus son « rêve français« .

 

Mission impossible? 

N’y tenant plus, elle fait part à ses parents de son souhait le plus cher : « Je sais que c’est mission impossible, mais je veux aller en France. Il faut trouver une solution, aidez-moi… »

Son père a bien une idée, ça ne va pas être simple, mais ça mérite d’être tenté : une première joint-venture du nucléaire, en partenariat avec le leader français de l’énergie EDF, a ouvert à Shenzhen, dans la « zone spéciale » qui jouxte Hong Kong.

C’est à plus de 2000 kilomètres de Chengdu et il faut un visa interne pour se rendre à l’examen qui permettra de sélectionner 40 personnes sur plus de 1000 candidat-es qui pourront prétendre à un poste d’interprète. En réussissant cette épreuve, elle décroche son billet d’avion pour Paris.

 

Semi-liberté française

Ce qu’elle découvre à son arrivée en France, c’est bien sûr un « mode de vie » qui dépasse tout ce qu’elle avait imaginé, mais c’est aussi « un autre rapport au travail » : jamais « la notion de carrière » ne l’avait effleurée jusqu’ici, jamais elle ne s’était figurée que de « la qualité du travail que l’on fournit pouvait entraîner de la reconnaissance » et permettre de progresser.

Mais de ce qu’elle observe, elle ne profite pas : son salaire est bloqué sur un compte chinois, son passeport conservé par « un relais local du Parti » et elle n’est pas autorisée à accepter d’invitations chez des Français.

Ca ne l’empêche pas de nourrir des sentiments de liberté… Et pour un jeune Français. Alors, un jour, au prétexte d’aller acheter un cadeau pour ses parents, elle réclame son passeport et une permission de deux heures. Mais au lieu de rentrer à l’horaire fixé, elle s’envole le jour-même avec son petit-ami pour la Nouvelle-Calédonie.

 

Fugitive

Elle est désormais considérée par le régime chinois « comme une fugitive« , ses salaires sont confisqués, « on fait pression sur ses parents pour qu’ils remboursent sa formation« .

Son évasion inquiète d’autant plus le régime qu’elle crée un précédent : « J’ai appris qu’après moi, il y avait eu tous les ans des Chinois qui s’échappaient de la même société, comme je l’ai fait« , dit-elle avec la fierté légitime de celles et ceux qui ont tout risqué au nom de la liberté, la leur et celle qu’elle donne en exemple aux autres.

 

Ils la prennent pour une japonaise? Elle apprend le japonais!

A Nouméa, elle se marie et cherche du travail. « On n’a presque jamais vu de Chinois là-bas » et tout le monde la prend pour une Japonaise, sans bien comprendre pourquoi celle-ci cherche un emploi alors que les tokyoïtes qu’on croise en Nouvelle Calédonie sont d’ordinaire là pour profiter, une semaine par an, des plages.

Elle voit dans ce quiproquo une occasion de faire sa place dans l’industrie touristique locale et décide d’apprendre le japonais. Elle décroche une bourse d’étude de 6 mois à Tokyo où elle vit les heures les plus éreintantes de toute sa vie professionnelle : sans ressources, elle doit travailler la nuit, d’abord dans un restaurant qui sert 24h/24, puis chez un fleuriste ouvert jusqu’à 3 heures du matin ; le jour, elle suit des cours de langue.

 

Hong Kong, « en pionnière »

De retour en Nouvelle Calédonie, elle est engagée par Toyota. Mais rapidement, elle a le mal de l’Asie. En 1991, elle fait ses valises pour Hong Kong, où elle part « en pionnière« , convenant avec son mari qu’une fois qu’elle y aura trouvé du travail, il la rejoindra.

Elle fait connaissance sur place avec un autre pionnier : un manager de L’Oréal envoyé par le siège pour étudier l’opportunité de développer le marché des cosmétiques en Chine.

Elle n’a pas trente ans, elle parle quatre langues, fait montre de capacités d’apprentissage hors normes, d’un tempérament volontaire inouï et avec ça, elle connait intimement la Chine, sa culture, ses usages mais aussi les aspirations profondes de sa population. On ne trouvera personne qui colle mieux qu’elle à la mission. Et quelle mission! « Tout est à créer! Il faut bâtir la stratégie en partant de zéro, importer les produits, avec tous les aspects logistiques que ça implique, lancer des comptoirs, former des vendeuses, faire de la publicité… » En d’autres termes, c’est un monde à construire dans un monde en changement. Difficile d’imaginer plus exaltant.

 

« Keep going! »

Zhen Zhen traverse une période radieuse. Que la défection de son conjoint vient un temps ombrager : Hong Kong l’infatigable où travail et réussite font office de devise ne convient pas à cet homme et, à peine ses bagages posés, il veut repartir. C’est sans discussion possible.

Zhen Zhen qui veut rester, accepte le divorce. Elle craint que cet « échec personnel » l’affaiblisse aux yeux de son patron. Au lieu de ça, elle reçoit son soutien : « C’est la première fois que quelqu’un d’autre que mes parents me dit que je suis une battante, qu’on croit en moi, que je peux choisir ma vie, que l’on me montre que les chemins que je prends ne sont pas « contre » quelqu’un, « contre » un système, « contre » des obstacles ; mais que c’est « pour » moi, « pour » avancer, « pour » construire… ».

Alors « keep going ! » s’exclame celle qui évacue, à travers l’affirmation de son droit à l’épanouissement personnel, tant de culpabilités accumulées depuis les débuts de sa vie de femme.

 

La fabuleuse aventure de L’Oréal Chine

Le succès de sa mission professionnelle donne raison à ses ambitions désormais assumées. Au bout de quatre années de préparation à la pénétration du marché, le groupe L’Oréal estime que le temps est venu de s’implanter officiellement sur le territoire chinois. En 1996, la première filiale du leader mondial de la beauté est ouverte à Shangai. On en confie la direction de la communication à Zhen Zhen.

Au départ, ils ne sont que 10 collaboratrices et collaborateurs. Mais en quinze ans, L’Oréal Chine va passer à 3000 salarié-es. Entre-temps, la société chinoise s’est énormément transformée, c’est un fait, mais « L’Oréal a su y créer littéralement tout le rituel de beauté, y installer toute une culture de la mode, de la tendance, du soin, de l’esthétique.«  explique Zhenzhen, fière à raison d’avoir contribué à « la croissance à deux chiffres, pendant 12 années consécutives, de L’Oréal Chine, un succès unique dans l’histoire des sociétés étrangères dans ce pays. »

Aujourd’hui vice-présidente en charge de la communication et des affaires corporate de la filiale la plus successful d’une multinationale florissante sur un marché hautement stratégique, Zhen Zhen est une leader modèle qui tout en conduisant une équipe « jeune, dynamique, brillante et engagée » sur les voies d’une performance exceptionnelle, se vit aussi en femme pleinement épanouie, remariée et mère de deux enfants de 9 et 10 ans, sportive, bonne vivante et d’une jeunesse d’esprit irradiante.

 

 

Marie Donzel, avec la complicité de Stéphanie Oueda, pour le blog EVE.