Le livre du mois : « La révolution du féminin » de Camille Froidevaux-Metterie

Eve, Le Blog Leadership

Nous suivons avec attention, depuis déjà un moment, le stimulant blog de Camille Froidevaux-Metterie, « Féminin Singulier », sur le site de Philosophies Magazine. Cette universitaire y partage ses réflexions sur les dynamiques complexes de l’égalité femmes/hommes en combattant inlassablement la binarité du discours.

Aujourd’hui, cette agitatrice de la pensée féministe livre un ouvrage complet sur les transformations sociales impulsées par le mouvement en faveur de l’égalité et  qui le dépassent aujourd’hui largement : La Révolution du féminin.

 

 

* * *

 

Tout n’est pas gagné, tant s’en faut, dans le champ des droits effectifs des femmes. Mais le mouvement qui les a promus et les fait progresser encore a provoqué, selon Camille Froidevaux-Metterie, un véritable « séisme« . Et entraîne une authentique révolution, en marche aujourd’hui : celle de la « désexualisation du vivre-ensemble« .

Les femmes conquièrent l’espace public, ce qui, par delà le mythe du « having it all », n’est pas sans effets sur l’espace privé, à son tour poussé à se reconfigurer quand il n’est plus du domaine exclusif des femmes ni leur seul univers de vie (sinon d’existence).

Il suffit d’ailleurs de constater la porosité croissante entre les zones de l’exposition et celle de l’intimité, pour se convaincre que femmes et hommes sont dans les faits, amenés à se répartir les territoires de façon moins figée qu’autrefois.

Selon l’auteure, cette confluence des espaces s’accompagne d’un rapprochement des aspirations, voire des comportements des femmes et des hommes, laissant entrevoir une « convergence des genres » qui pourrait aboutir à « un modèle unique d’individu« . Prophétie de politique-fiction qui fera froid dans le dos à qui s’inquiète de toute forme d’uniformisation?

Les choses ne sont pas si caricaturalement écrites à l’avance, mais pour Camille Froidevaux-Metterie, le risque de « désincarnation«  n’est pas à prendre à la légère. D’autant que les femmes pourraient être les premières à en payer la facture.

 

Car, ayant fait l’objet de définitions de la féminité extérieures à leur propre vécu de l’ « être femme », aussi bien au travers des projections sociales traditionnelles que via la rhétorique de la domination masculine adoptée par une majorité du mouvement féministe, elles se trouveraient désormais contraintes d’endosser les habits d’une (prétendue) « neutralité » emmenée par la mixité, sans avoir jamais pu prendre pleinement possession de leur féminité.

Comme si à force de craindre l’essentialisme, réputé producteur de sexisme, et de privilégier les discours universalistes facilitant le déni de la condition des femmes, on avait réduit à une voie quasi-unique le chemin de leur libération, passant par le refus d’une féminité suspecte (d’être en particulier au service d’une « servitude volontaire »)… Et les privant de vivre et dire leur propre « expérience du féminin« .

En l’occurrence, pour Camille Froidevaux-Metterie, c’est de l’expérience de leur propre corps que les femmes se trouvent le plus dépossédées. De la beauté à la maternité, en passant par la sexualité, les transformations du corps avec le temps, les sensations de l’activité physique ou le ressenti des émotions, tout ce qui a trait au corps des femmes fait l’objet de préconçus et d’interprétations qui parasitent leurs visions d’elles-mêmes et en silencient l’expression personnelle.

On leur soupçonne par exemple des intentions guidées quand elles se « font belles » (séduire, suivre la mode ou le style d’une idole, chercher à cacher leur âge…), sans imaginer que ce puisse être tout simplement un plaisir individuel, de se plaire à soi et de plaire aux autres, en toute « gratuité » esthétique. Ou bien, on leur propose des archétypes de la maternité (de « la bonne mère » à la « mère indigne » avec tous les intermédiaires envisageables) sans tenir compte de la complexité fondamentale des sentiments maternels et de leur évolution au cours du temps long de la parentalité, qui croise aussi celui des autres « vies » de la féminité. De plus, ces « autres vies » de la féminité ne sont pas seulement celles que l’on catégorise le plus couramment, comme la conjugalité et la la vie professionnelle ; mais aussi celles de l’amitié, du « temps à soi », de l’oisiveté, de l’imaginaire, de l’intimité…

 

Il est donc temps, pour le féminin, de faire sa révolution : que chaque femme puisse enfin affirmer son absolue singularité, être entendue et reconnue dans ce qu’elle perçoit de sa situation unique en son genre (!), que cela flatte ou non les imageries et théories qui ont été bâties pour lire sa destinée…

 

L’essai dérange, il met les schèmes habituels de la pensée de l’égalité au défi de la compréhension d’un féminin qui s’affirme à sa façon, sans se soumettre ni aux injonctions traditionnelles de qui entend « remettre les femmes à leur place » ni aux recommandations de celles et ceux qui, « pour leur bien » leur désignent une « autre place » à prendre en leur recommandant notamment de se défaire de l’attachement à l’univers privé. En somme, c’est à choisir sa place que Camille Froidevaux-Metterie invite chaque femme, en les autorisant toutes à composer avec des éléments « réappropriés » du féminin culturel (qu’ils soient traditionnels ou plus progressistes), des ingrédients élus de la mixité mais aussi et surtout toutes les nuances de leur identité unique d’humaine.

 

 

Marie Donzel, pour le blog EVE