Les toilettes, une question de genre ? On en parle !

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En 2012, la 67è Assemblée générale de l’ONU décide de consacrer une Journée mondiale des toilettes, qui se tiendra tous les ans le 19 novembre. « Les toilettes sont petites mais puissantes » lit-on sur la page du site de l’organisation internationale qui fait résonner cet événement annuel avec l’Objectif de Développement Durable n°6 : Garantir l’accès à tous des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable d’ici à 2030.

Il en va bien entendu de droit à l’hygiène et subséquemment, de prévention de nombreux risques de santé. Mais l’ONU évoque tout particulièrement l’enjeu de la condition des filles et des femmes au cœur de cette Journée mondiale. Mais pourquoi donc ?

Mais pourquoi y a-t-il plus d’attente chez les femmes ?

A la station-service, au cinéma, en entreprise à la pause méridienne, on peut observer un fait curieux : il y a de l’attente pour accéder aux toilettes des femmes tandis que celles des hommes semblent moins fréquentées.

Cela s’explique d’abord par un différentiel de temps passé dans les lieux des aisances : une récente étude indique que les femmes y séjournent 34% de temps en plus que les hommes ! En cause : la plus grande complexité du déshabillage des vêtements féminins, la position assise pour uriner et les exigences en lien avec les menstruations allongent la durée du séjour.

Il faut aussi y ajouter que les femmes sont davantage sujettes que les hommes à la dysurie et à la constipation. Parmi les causes de ces soucis de rétention susceptibles d’entraîner des troubles gastro-entérinaux et rénaux d’intensité modérée à sévère, il y a… Les stéréotypes ! Notamment ceux qui opposent le fonctionnement naturel du corps et l’imagerie de la féminité. Les femmes (plus que les hommes) se cachent pour aller aux toilettes.

Il faut aussi s’interroger à l’aménagement genré des WC : ceux des femmes sont constitués en cabines tandis que les hommes peuvent utiliser des urinoirs. Or, en termes d’occupation spatiale, il faut 3 urinoirs pour faire un cabinet. Donc, il y a effectivement moins de lieux accessibles aux femmes pour faire leurs besoins qu’il y en a pour les hommes. Et on ne parle même pas des lieux qui ne sont pas conçus pour, mais qui sont de fait utilisés comme tels !

Trois besoins clés : hygiène, intimité, sécurité

Mais peut-être qu’il faut en parler. Parce que le problème est massif, particulièrement dans certaines régions du monde où faute de toilettes, une forte proportion de la population est contrainte de se soulager en plein air. C’est par exemple le cas en Inde, deuxième pays le plus peuplé de la planète, où la moitié de la population ne dispose pas d’un accès aux toilettes. Et c’est une catastrophe genrée : les femmes craignent les agressions sexuelles (dans un pays qui compte officiellement 110 viols par jour) lorsqu’elles font leur besoin en plein air. Pour s’en prémunir, un grand nombre d’entre elles se privent de nourriture et d’eau.

Entre celles qui s’affament et/ou se déshydratent et celles qui développent des symptômes maladifs liés au fait de se retenir, auxquelles on peut ajouter celles qui retardent le moment de changer de protection hygiénique, on commence à bien cerner que cette histoire de Journée mondiale des toilettes n’a rien d’une plaisanterie rabelaisienne, mais représente bien un énorme enjeu de sécurité et de santé pour les femmes. Et de ce fait, l’absence de toilettes peut constituer un frein manifeste à leur empowerment.

Le sociologue Julien Darmon, auteur d’un essai sur les commodités urbaines avance le caractère parfaitement stratégique de la lutte contre les écarts d’accès aux sanitaires. Selon lui, toutes les inégalités du monde, dont bien entendu les inégalités de genre, sont révélées par cette problématique : « Se préoccuper des toilettes publiques revient à s’inquiéter du monde », dit-il.

Et de défendre une nouvelle approche des toilettes répondant moins à la séparation des espaces entre femmes et hommes mais davantage au droit de tou·te·s à l’hygiène, à l’intimité et à la sécurité.

L’avenir, c’est la mixité… Des toilettes, aussi !

Dans ces conditions, l’avenir serait plutôt aux toilettes mixtes, avec un soin équivalent apporté à l’ergonomie, à la propreté et au respect de la pudeur.

Les hommes approuvent, qui sont de plus en plus nombreux à exprimer leur embarras quant au fait de partager leurs besoins avec d’autres dans les urinoirs ouverts et de moins en moins rares à plaider pour le pipi assis (qui aurait aussi pour bienfait de prévenir un certain nombre de maladies urologiques). En Allemagne, c’est même devenu une pratique culturelle majoritaire, c’est en passe de le devenir en Suède et au Danemark.

Et dans nos entreprises, où en est-on de ces problématiques de petit coin ? On se souvient peut-être du passage de Lean in !, le livre de Sheryl Sandberg consacré au leadership des femmes, dans lequel elle manifeste sa surprise en découvrant qu’à l’étage de la direction, il n’y a pas de WC pour dames. Sous-entendu : rien n’a été prévu pour le cas où des femmes accéderaient aux plus hautes responsabilités. Mais rien ne dit que les toilettes que Sheryl a trouvé au bout du couloir ne soit pas mixtes et non « réservées aux hommes » comme elle le suppose. Car de très nombreuses entreprises aujourd’hui, notamment celles qui se sont créées depuis le début du XXIè siècle, optent pour la solution des WC non-genrés.

Une option plutôt maligne, qui permet de rationaliser l’espace disponible en offrant à tou·te·s de meilleures conditions d’accueil dans les lieux d’aisance. Cerise sur le gâteau : les toilettes mixtes se révèlent à l’usage mieux traitées par leurs usagers. Dans les entreprises, dans les lieux publics, dans les établissements scolaires, il s’avère qu’elles restent plus longtemps propres et qu’elles sont moins dégradées. Comment l’expliquer ? Probablement par un effet nudge : si vous savez que des personnes d’un autre genre vont utiliser un même lieu d’aisance que vous, vous êtes plus attentif·ve à l’image que l’état dans lequel vous laissez la place renverra de votre sexe… A méditer.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

 

 

 

 

 

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