La place des femmes dans les festivals

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Printemps 1997. Un tout nouveau festival voit le jour en France : Les Femmes S’en Mêlent. LFSM pour les intimes. Une programmation 100% féminine d’artistes rocks et indés. Derrière ce projet, Stéphane Amiel, un jeune régisseur qui fait ses premiers pas dans la direction artistique de talents musicaux. Fan de voix féminines, il a l’idée de lancer ce festival pour mettre en lumière celles qui ne sont pas suffisamment à l’affiche. 25 ans après, où en est-on de la place des femmes dans les festivals ?

État des lieux : des femmes largement sous-représentées parmi les artistes programmé·e·s

14% de femmes à l’affiche des festivals

Prenons 100 festivals de premier plan, en musiques contemporaines comme en musiques classiques et étudions-en la programmation au prisme du genre. C’est à ce travail d’étude que s’est livré le Centre National de la Musique en 2019, dernière année « normale » pour le spectacle vivant avant la crise COVID. Premier constat : seulement 14% de femmes parmi les artistes programmé·e·s.

La grande majorité des festivals comptent entre 10% et 30% d’artistes féminines programmées. Mais 19% d’entre eux ont moins de 10% de femmes à leur affiche, contre seulement 2% qui dépassent les 40% de femmes dans leur programmation.

Variations selon les genres musicaux

Les festivals spécialisés dans la chanson francophone sont en tête de la parité avec 19% d’artistes féminines programmées. En revanche, vous en verrez moins de 6% dans les festivals spécialisés dans le reggae et à peine 10% dans ceux qui se dédient au metal rock. Les genres « jazz & blues » et musiques électroniques » vous proposeront une programmation à 15% féminine.

Côté classique, la place des femmes se mesure à plusieurs indicateurs clés : la part des compositrices dont l’œuvre est jouée (8% des concerts en 2019), celle des chef·fes d’orchestre (6%), des solistes (32%) et des instrumentistes d’orchestre (28%)

Des femmes déjà stars

Quand les femmes sont invitées à se produire en festoche, elles cartonnent. En 2019, parmi les 10 artistes qui ont le plus tourné en festival, 4 sont des femmes (Clara Luciani, Jeanne Added, Hoshi, Angèle). Tout se passe comme si, pour être visibles sur les scènes incontournables de l’été, les femmes qui jouent et chantent devaient être déjà médiatisées tandis que leurs homologues masculins bénéficiaient davantage des festivals pour se faire repérer et lancer leur carrière.

Une conversation houleuse sur la parité dans les festivals

Festivals féminins ou féministes ?

Plusieurs festivals 100% féminin ou se présentant directement comme des événements de promotion de la mixité ont vu le jour au cours des deux dernières décennies : outre les Femmes S’en Mêlent, on peut citer Voix de Femmes en Belgique, Yola Fest fondé par la chanteuse suédoise Lykke Li, le Festival des Femmes d’Ici et d’Ailleurs au Québec, Un Temps pour Elles en musique classique ou le tout récent Sœurs Jumelles initié par Julie Gayet.. Tandis que certain·e·s s’émeuvent de ce que sororité puissent rimer avec discrimination positive voire carrément exclusion des hommes ; d’autres critiquent ces initiatives dédiées aux femmes pour leur potentiel fonds essentialiste et surtout parce qu’ils détourneraient les regards du vrai problème : la réticence des festivals déjà existants à faire des efforts signifiants en matière de parité.

Et si l’on ne gardait que les artistes féminines, que resterait-il des festivals ?

Aussi, certain·e·s préfèrent mettre la pression sur ces festivals reconnus : le collectif 99scènes a ainsi réédité les affiches de 13 grands festivals internationaux en ne laissant que les noms d’artistes féminines. L’image est frappante : un Skate & Surf déserté, un Coachella décimé, un Printemps de Bourges exsangue, des Eurockéennes dépouillées… Réponse immédiate des organisateurs : est-ce de leur faute s’il y a moins de filles que de garçons qui montent des groupes (un petit peu comme le DRH d’une entreprise industrielle n’y est pour rien s’il y a si peu de filles qui sortent des écoles d’ingénieur·e·s, hein !), leur faute si les filles se mettent moins en avant dans les réseaux qui permettent de se faire remarquer, leur faute si les groupes qui font venir les spectateurs ne sont pas ceux qui sont forcément mixtes mais avant tout ceux qui proposent de la bonne musique ?!! Et l’éternel argument « le talent avant le genre » nous mène rapidement dans l’impasse de la conversation sur l’égalité des chances et l’équité face à la visibilité.

Le spectacle vivant mobilisé

Toutefois, les choses bougent. En 2018, 46 festivals européens et américains signent une charte d’engagement pour que leur programmation, leurs commissions et leurs jurys soient composés en parité à l’horizon 2022. Bon, le CoViD (qui n’est pas l’ami des femmes, en général, en témoigne les reculs sur tous les plans de l’égalité de genre qu’il aura entraînés) a un peu modifié la donne. Le monde du spectacle vivant, particulièrement éprouvé par les conséquences économiques de la crise sanitaire, semble moins préoccupé de sa contribution au progrès sociétal aujourd’hui que de sa résilience immédiate. Affaire à suivre.

Et du côté des festivalier·e·s ?

Une expérience des festivals différenciée

Un autre sujet a émergé dans la conversation sur les festivals : le sentiment d’inclusion des festivalier·e·s. L’expérience d’un festival est-elle aussi satisfaisante pour une femme que pour un homme, pour une personne en situation de handicap que pour une personne valide, pour une personne racisée et pour une personne qui ne le serait pas ?

La question du handicap est la plus ancienne à être traitée par les festivals de musique, du fait notamment de la loi de 2005 obligeant les organisateurs d’événements accueillant du public à garantir l’accessibilité des espaces et la circulation en leur sein. Certains festivals en ont fait un point fort de leur expérience, transformant la contrainte d’aménagement en véritable projet inclusif permettant d’innover sur tous les plans de l’offre sensorielle. Mais on n’y est pas encore partout : 45% des personnes concernées estiment que le premier frein à leur participation à des événements culturels est l’accessibilité, avant le prix.

Pour ou contre les « safe zones » dans les festivals ?

C’est #MeToo qui va donner une nouvelle ampleur à la question de l’inclusion dans les festivals. Dès 2019, le collectif « Ici, c’est cool – Ne laissons pas la violence pourrir l’ambiance » embarque 25 festivals de la Région des Pays de la Loire dans une campagne de communication visant à sensibiliser le public sur l’homophobie, le racisme et le sexisme. Rapidement, de nombreuses manifestations d’autres régions rejoignent l’initiative. Le collectif propose également aux festivals de réserver des « safe zones » aux festivalier·e·s qui pourraient craindre de faire l’objet de comportements inappropriés, de harcèlement ou de violences. Sans se cacher vraiment que ces « safe zones » s’adressent principalement aux femmes et aux personnes LGBTQI+. Quoique la mesure repose sur la statistique effrayante de 43% de festivalières de moins de 40 ans ayant subi au moins une fois des agissements relevant du harcèlement sexuel ou de l’agression sexuelle dans un festival (l’association Consentis avance même un chiffre de 60%), elle n’a pas que des adeptes. Ici, on dénonce une ségrégation victimisant les femmes (et accusant en creux les hommes) ; là, on s’inquiète de ce que mettre sous bulle les populations susceptibles d’être agressées ne change rien au fond du problème. Et puis, les puristes de la fête ne sont de toute façon pas pour le principe « deux salles, deux ambiances ».

Pour une culture festivalière inclusive

Les festivals sont de plus en plus réceptifs à la question de l’inclusion. Mais comment faire évoluer la culture festivalière en ce sens ? Le rapport Music Festival and Social Inclusion de l’Université du Queensland met en évidence un certain paradoxe historique dans l’esprit des festivals : nés dans le creuset des rassemblements populaires, au cœur de la convivialité villageoise, les festivals ont été ensuite appropriés par une certaine élite socioculturelle qui en a fait une expression de contre-culture. Ce double héritage n’est pas naturellement propice au développement d’une culture inclusive, en ce qu’il favoriserait un entre-soi tacite, très peu régulé par les institutions et majoritairement orchestré par des codes informels de savoir-être et de vivre-ensemble,

Et c’est bien ce qui fait le charme des festivals, cet esprit de liberté et de créativité permis par le code informel. Y imposer des droits et devoirs explicites, voire carrément des obligations et du contrôle, c’est un peu un contre-sens, non ? Alors, pour imaginer la culture festivalière inclusive, il faut sans doute capitaliser sur ce qui fait l’essence des festivals : un goût en commun de la fête (toujours plus joyeuse quand on est en diversité), une aspiration à l’expression partagée des émotions, un désir collectif de rêver un autre monde… C’est à partir de ces valeurs fortes que l’on peut vraisemblablement penser la place et l’expression de tou·te·s au cœur de la fête et de la culture.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE