Les EVEsien-nes à la rencontre de Claire Gibault, cheffe d’orchestre – Ou quand le leadership convoque la grâce

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Cet après-midi, à la suite des interventions de Tal Ben-Shahar, Delphine Ernotte, Franck Riboud et Dominique Turcq, les EVEsien-nes ont accueilli Claire Gibault, une figure exceptionnelle de la scène musicale internationale : cheffe d’orchestre de renom, elle a dirigé les plus grandes formations du monde… Avant de fonder son propre orchestre : le Paris Mozart Orchestra.

A mille lieux de tous les clichés sur les divas de la baguette, elle incarne, dans son métier comme à travers ses engagements multiples, ce que l’on peut appeler sans hésiter un leadership humain, responsable et éclairé.

Portrait.

 

 

 

La métaphore même du leadership

Ce pourrait être la métaphore même du leadership : une personne face à l’ensemble du groupe qui connait et comprend l’art et les instruments de chacun-e et poursuit l’objectif de les faire jouer de concert. Qui conduit l’ensemble en adressant les signes justes à chaque individu. Fait émerger de chacun-e le meilleur du potentiel et du collectif la puissance quasi-alchimique.

 

Musicienne depuis toujours

Claire Gibault est cheffe d’orchestre. Tombée dans la musique quand elle était petite, elle récuse le terme de prodige car, si elle a tâté d’un instrument pour la première fois à 4 ans, elle estime qu’il n’y a « rien d’exceptionnel à cela, quand on vient d’une famille de musiciens. Ca se transmet de père en fils… Enfin, en fille!« .

Mais tout de même : premier prix de violon et de musique de chambre du conservatoire du Mans, sa ville natale, à 13 ans ; premier prix d’harmonie, de fugue, de contrepoint, d’esthétique et d’histoire de la musique du Conservatoire national supérieur dix ans après ; premier prix de direction d’orchestre à 24 ans (ce jour-là, elle partage la Une de France Soir avec Neil Armstrong), directrice musicale de l’orchestre de chambre de Chambéry à 30 ans à peine… L’année de ces quarante ans, elle est la première femme à diriger l’orchestre de la Scala.

 

A la tête des plus grandes formations du monde entier

Puis on la retrouve à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin, à la Fondazione Musica per Roma où elle est directrice musicale, à la direction de l’Orchestre Philharmonique de Copenhague, de l’Opéra d’Anvers, de l’Orchestra de la Toscana, de l’Orchestre philharmonique de Slovaquie (à l’occasion de la clôture de la Présidence française de l’Union européenne), de l’Orchestre National de Bordeaux…

Au cours de sa carrière, elle dirige les plus grands ensembles et crée toutes les plus grandes compositions du répertoire : De La flûte enchantée à la Traviata, en passant par le Barbier de Séville, Pelléas et Melisande, Cosi Fan Tutte, L’enfant et les sortilèges, West Side Story…

 

Intermède politique

Au début des années 2000, on vient la chercher pour faire de la politique : élue au Parlement européen en 2004, elle y est membre de la commission de la Culture et de l’Education ainsi que de la Commission des Droits des Femmes et de l’Egalité des Genres. Deux thèmes qui lui tiennent à coeur, deux thèmes dont elle explore les problématiques fines et complexes, qu’aucune réponse simpliste ne saurait appeler.

Elle remet un rapport qui fait date sur le statut social des artistes… Et un second qui jette un pavé dans la mare, sur les discriminations à l’égard des femmes dans le monde du spectacle vivant. Où se révèle au grand jour ce qui se dit encore tout bas à l’époque : les institutions culturelles et artistiques ferment de fait l’étage des responsabilités aux femmes : « Ce n’est pas présenté comme ça, bien sûr, mais il y règne un certain rapport au pouvoir traité comme un privilège… Et où une certaine « paresse » conduit à préférer faire comme on a toujours fait, entre soi, sans interroger ses façons de faire« . Alors souvent, note Claire Gibault, pour diriger une compagnie, un théâtre, un orchestre, voilà les femmes peu ou prou obligées de le créer elles-mêmes.

 

Paris Mozart Ochestra : l’excellence de la musique… Et des valeurs humaines

Dont acte. En 2010, celle qui assume que malgré sa flamboyante carrière, elle a fait l’expérience du « plafond de verre », décide de créer son propre orchestre : le Paris Mozart Orchestra.

C’est un orchestre comme les autres, où le talent est un pré-requis, où le travail est sans relâche, où l’excellence est le minimum du résultat attendu. C’est un orchestre complètement différent aussi. Mixte? Pas seulement! Carrément paritaire et avec principe catégorique d’égalité des salaires.

C’est aussi un orchestre sans préjugés ni stéréotypes : il n’y a pas d’instruments plus féminins que masculins affirme celle qui rappelle qu’au XIXè siècle « les instruments qui mettaient en jeu le souffle, la salive et la force étaient interdits aux femmes« , en raison de connotations jugées inconvenantes. Dans le Paris Mozart Orchestra, il y a des femmes aux timbales, à la trompette, au cor, au basson, c’est comme ça.

 

Vivre la musique, une vie entière, passionnée et multiple

Dans le Paris Mozart Orchestra, il y a aussi des femmes et des hommes qui ont une vie en dehors de la musique. Leur « patronne », parce qu’elle tient à garder ses talents, veille à ce que, malgré le rythme parfois un peu fou de la profession de concertiste, ils et elles puissent concilier leur métier avec leurs responsabilités familiales. Elle s’assure que les jeunes parents (les musicien-nes de l’orchestre ont entre 20 et 37 ans) ont des conditions personnelles satisfaisantes pour travailler et des solutions de garde sécurisantes pour les soirs de concert, remboursant les baby-sittings au besoin, comme un frais professionnel à part entière.

« Je veux les meilleur-es, ceux dont le désir de jouer est entier, frais, aucunement émoussé« , déclare Claire Gibault qui n’a pas peur d’affirmer que non seulement prendre soin des personnes avec lesquelles on travaille ne nuit aucunement à la performance, n’encourage en rien au relâchement, mais qu’encore, c’est le levier-même d’un engagement profond et sincère.

 

Une mission sociale et éducative

On ne regarde pas sa montre quand on joue sous la direction de Claire, parce qu’on se sent là où l’on doit être, sans peur de passer à côté du reste ; mais aussi parce qu’on participe à un projet artistique fantastique et à un projet humain inédit. Car le Paris Mozart Orchestra se donne aussi une mission sociale et éducative essentielle, inscrite dans sa Charte que tous les musiciens entrants signent.

Cette mission d’accès à la culture, qui tient plus que tout au coeur de celle qui est aussi rapporteure de la Commission « pour l’éducation artistique tout au long de la vie » au Conseil Economique, Social et Environnemental, s’incarne notamment dans les concerts que l’Orchestre donne dans les hôpitaux, les prisons et les « quartiers », aux Tarterêts, à Saint-Denis, au Val Fourré

Un échange avec des jeunes que presque rien ne prédispose à aimer la musique classique que Claire Gibault qualifie de « jouissif« ! Parce qu’il est gratifiant, certes, mais aussi parce qu’il oblige à questionner son propre rapport à la musique, son choix d’une langue autre que les mots pour dire ses vérités, ses émotions, ses convictions

 

Le charisme, cet « air de rien » qui provoque la grâce

Pour conclure, on demande à Claire Gibault, de nous dire ce qui selon elle, fait un-e grand-e chef-fe d’orchestre. « La première qualité d’un chef, c’est la confiance qu’il inspire. C’est quelqu’un qui sait écouter et réunifier, qui fait le choix des tempi pour mettre en valeur les talents. »

Elle convoque alors la figure d’un de ses mentors, Claudio Abado, pour décrire cet art à part entière qui consiste à « diriger presque sans en avoir l’air« . « Le charisme, c’est cet air de rien qui provoque la grâce, le brio. C’est ce qui fait que l’orchestre joue quasiment tout seul mais jamais en pilote automatique, et qu’un signe, un seul, parfois minuscule, un doigt qui se soulève à peine dans un moment unique, est tellement évident-e pour les musicien-nes que l’instant magique a lieu. »

 

 

Marie Donzel

 

L’agenda de Claire Gibault

Retrouvez Claire Gibault en concert avec le Paris Mozart Orchestra

Le 3 octobre 2013 à l’hôpital Necker

Le 24 octobre 2013 au Festival les Automnales du Mans

Le 6 novembre 2013 à l’Opéra de Marseille

Le 13 décembre 2013 au collège Jean Lurçat de Saint-Denis

Le 25 janvier 2014 à la Salle Pleyel

 

Comments 4

  1. Quelle belle présentation de Marie pour nous faire découvrir une femme d’exception. Il aura fallu aux passionnés de musique classique tant d’années pour voir arriver des femmes sur les prestigieux podiums de des grands chefs/ffes d’orchestre.
    Avec Claire Gibault, on est loin du Karajan caractériel et misogyne d’autrefois…
    Merci ! Belle journée.

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