Connaissez-vous l’amae, ce concept japonais de « proximité émotionnelle » ?

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« Care », « empathie », « neurones miroirs », « bienveillance »… Du projet de société à l’expression de la vertu en passant par le vocabulaire des soft-skills ou les apports des neurosciences, nous sommes indiscutablement préoccupé·e·s par les tenants et aboutissants de l’intérêt que nous portons aux autres. Le concept japonais d’amae apporte sa part de réponses à ce grand questionnement.

Le besoin qu’on prenne soin de soi… Comme d’un enfant !

C’est au psychiatre Takeo Doi que l’on doit la formalisation du concept d’amae et sa diffusion en Occident, au travers de l’ouvrage amae no kozo paru en 1971 au Japon et traduit sous le titre The anatomy of dependence en 1973 aux États-Unis.

L’amae évoque le doux et le sucré, les bruits du nourrisson qui veut téter, les murmures de bien-être du bébé qui s’assoupit bienheureux dans la chaleur de bras aimants. L’amae désigne ainsi cet état de contentement dans la dépendance infantile, le plaisir d’être pris en charge, pouponné tendrement… Et le plaisir que prennent en même temps ceux qui répondent aux besoins du bébé. Bref, tout ce qui se passe de doux et réconfortant, tout ce qui produit du bien-être et de l’attachement dans la relation de soin entre le petit et l’adulte.

Mais nous sommes supposé·e·s être des adultes autonomes

Il est effectivement bien compris que le tout-petit a besoin, vitalement besoin, d’être choyé et de ressentir la force de l’interdépendance… Mais quand on grandit, est-on bien reçu quand on manifeste un gros besoin de retenir l’attention des autres, de leur inspirer la même tendresse que celle dont on gratifie les enfant, de recevoir des soins « maternants » de son/sa conjoint·e, ses collègues, son/sa manager ; de tisser avec les un·e·s  des relations d’attachement confinant à la dépendance ? A minima qualifiables de puériles, ces expressions de besoins pourront être perçues comme envahissantes, inappropriées voire carrément malsaines. Nous sommes supposé·e·s avoir en quelque sorte « fait le plein » d’attachement inconditionnel dans la petite enfance, suffisamment pour avoir construit une personnalité autonome, capable de se prendre en charge et n’attendant pas des autres qu’ils nous chouchoutent.

Quand le déficit de sentiment d’attachement nous rend dysfonctionnant·e·s

C’est lors de l’un de ses premiers séjours aux Etats-Unis que Takeo Doi prend conscience d’un grand paradoxe : plus les sociétés sont individualistes (reposant sur le postulat que chacun·e est responsable de soi), plus le déficit de sentiment d’attachement produit des dysfonctionnnements chez les individus : égoïsme et narcissisme mal placé, mal-être, culpabilisation (de soi et des autres), réactions d’agressivité et d’auto-agressivité, systèmes de domination et d’emprise…

Il est illusoire de croire que nous avons été armé·e·s pour toute la vie par le fait d’avoir été aimé·e, protégé·e, rassuré·e, même si ce fût de la meilleure façon qui soit, dans notre petite enfance. Ce besoin de soin, nous le ressentons à vie, et tout particulièrement quand nous traversons des moments plus difficiles, périodes de fatigue, de doutes ou de confrontation à des épreuves douloureuses.

La « bénévolence » au cœur d’une saine proximité émotionnelle

Mais alors comment construire une saine proximité émotionnelle entre adultes autonomes ? Takeo Doi répond à cette question en s’en référant aux valeurs confucéennes de « bénévolence » contenues dans le « ren ». On s’explique : le « ren », c’est la ligne de conduite de « l’homme bon », bon avec lui-même et bon avec les autres, quand il respecte quatre grands principes :

  • La loyauté : c’est le fait de respecter ses engagements vis-à-vis de soi-même (intégrité) et vis-à-vis d’autrui (fiabilité) ;
  • La fidélité : il s’agit de reconnaître l’existence d’un lien (familial, amical, professionnel, de voisinage etc.) et d’agir pour le faire vivre (au travers d’un certain nombre d’actes, parfois très simples, comme le fait de saluer, de remercier, de prendre des nouvelles et d’en donner…) ;
  • Le discernement : cela consiste à faire la part des choses entre ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, pour se prémunir notamment de la tentation de (pré)juger
  • Le courage : c’est la capacité à cerner ce qui est juste, par-delà son seul point de vue sur les choses.

Faire amaeru ou prendre soin de la relation

Renforcé par cet héritage confucéen, l’amae entre adultes devient l’amaeru, qui n’est autre que le verbe d’action dérivé de l’amae. Faire « amaeru », c’est se rendre disponible pour aider l’autre et recevoir de l’aide dans une libre interdépendance. Il ne s’agit donc plus tant de prendre soin de l’autre comme s’il était un bébé (ce qui serait assez lourd à porter !) ni d’être pris·e en charge par l’autre comme si on était soi un bébé (ce qui aurait tôt fait de virer à l’infantalisation condescendante), mais de prendre soin de la relation. Concrètement, et finalement de façon assez simple, il est question de s’interdire l’indifférence, d’exprimer ses sentiments et émotions, donc de se donner aussi les moyens d’affronter les conflits (plutôt que de rompre le lien quand ils surviennent), de jouer la solidarité et de partager les réussites.

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