« Le développement des soft skills est une question majeure d’employabilité pour les individus et de survie pour les organisations »

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Victoria Pell

Victoria Pell est la présidente fondatrice de la société Unatti qui propose des solutions de social learning. A ce titre, elle intervient pour le Programme Octave, où elle anime un programme de mentoring innovant, via la plateforme unatti.com, qu’elle a développée. Elle sera également aux côtés de Catherine Thibaux à partir de cette année pour le développement du programme EVE2EVE de cross-mentoring. Mais son actu du moment, c’est la parution du Livre blanc « Transformation digitale, soft skills et employabilité ». La rédaction du webmagazine EVE a voulu en savoir plus… Entretien.

 

 

Bonjour Victoria, présentez-nous Unatti…

Victoria Pell : Unatti est la société experte en social learning que j’ai fondée en 2013. Concrètement, nous proposons du conseil opérationnel, de la formation et une plateforme qui démultiplie l’apprentissage par et avec les autres, via la possibilité de créer des binômes qui vont collaborer et se co-développer. Cette offre prend différents angles : le leadership féminin, l’intergénérationnel, la diversité, les nouveaux métiers, le numérique…

 

Unatti sort ces jours-ci son premier Livre blanc, consacré aux soft skills. Pourquoi ce sujet ?

Victoria Pell : L’étude « The future of jobs » publié l’an dernier par le Forum Economique mondial a clairement posé la question des nouvelles compétences comme un sujet majeur d’employabilité. Ce qui était intuitivement pour chacun.e une évolution des attendus dans l’entreprise s’avère aujourd’hui un défi de premier plan pour l’économie.

Ces nouvelles compétences, transversales, comportementales et sociétales que sont par exemple, l’empathie, la capacité à comprendre les situations en contexte, à entendre les signaux faibles, à manager la diversité, à favoriser le frottement constructif des idées, à coopérer, à autoriser et assumer le droit à l’échec etc. challengent littéralement nos façons de développer les personnes. Nous avons des systèmes éducatifs et de formation encore trop orientés sur des logiques cartésiennes et individualistes. C’est plus ou moins vrai selon les régions du globe et globalement, on progresse vers plus de considération des « soft skills », mais il y a urgence à passer à la vitesse supérieure.

 

Iriez-vous jusqu’à dire que nos mentalités par trop « cartésiennes » sont distancées par une réalité qui a déjà pour état de fait la prééminence des « soft skills » ?

Victoria Pell : Il ne s’agit pas d’aller vers le remplacement des compétences classiquement reconnues, mais de les conjuguer avec les « soft skills » pour une meilleure réactivité, une plus grande agilité, davantage d’esprit d’innovation, dans des contextes qui ont pour caractéristiques d’être rapides et incessamment changeants.

Je pense qu’effectivement, il y a une certaine inertie des modèles traditionnels qui peut nous faire prendre du retard sur le temps présent et surtout sur l’anticipation de l’avenir. C’est d’autant plus préoccupant que ces freins sont le terreau de nouveaux risques et de nouvelles inégalités : quand la capacité à s’adapter rapidement au changement devient une question d’employabilité pour l’individu et de survie pour l’organisation, il est crucial d’agir pour que chacun.e puisse développer cette posture.

 

Votre Livre blanc sur les soft skills donne la parole à des expert.es et personnalités qualifiées du monde de l’entreprise*… Quel état d’esprit leur avez-vous trouvé sur toutes ces problématiques ?

Victoria Pell : Ce sont des grands témoins des transformations actuelles, ils et elles sont particulièrement éveillé.es à ces sujets et convaincu.es de la nécessité de former aux soft skills.

Mais toutes et tous ont aussi conscience que cela appelle de profonds changements culturels. Ils et elles soulignent aussi l’importance de faire les choses bien, avec méthode, tout en impulsant cette priorité. C’est un vrai grand challenge, qui demande beaucoup de courage aux leaders qui s’investissent pour le relever. Le courage, d’ailleurs, fait pleinement partie des qualités d’avenir du leadership.

 

Votre Livre blanc fait une place toute particulière au mentoring. Pourquoi ?

Victoria Pell : Le mentoring est une des pratiques du social learning. En l’occurrence, c’est la première qu’Unatti a véritablement développée. Notre expérience ainsi que le fait que 100% du CAC 40 dispose de programme de mentoring font que l’on a là un bon terrain d’observation des pratiques, des impacts, des freins et des bénéfices.

 

Dans le détail, quelles sont les pratiques du mentoring ?

Victoria Pell : Les situations sont très variées. Certaines entreprises ont des programmes pilotes, d’autres ont massivement développé le mentoring à tous les échelons de l’organisation, comme pratique de développement au même titre que la formation professionnelle, et en ont démultiplié les formes. Au mentoring classique, on voit de plus en plus s’ajouter du reverse mentoring, du cross-mentoring interentreprises, du mentoring de pair à pair etc. Le temps où le mentor était le grand sachant, un peu intimidant et à qui on devait tant, est révolu. Il y a bien la nécessité, pour transmettre, d’avoir une expérience et on ne transmet par la même chose quand on est cadre dirigeant.e avec 30 ans de carrière derrière soi que lorsqu’on est débutant.e ; mais il est acquis que chacun.e sait quelque chose, a quelque chose à partager.

Selon moi, la déverticalisation se situe dans cette vision là des échanges : il y a bien encore des hiérarchies, ou à tout le moins une organisation définissant des positions, des objectifs et une ligne directrice, mais elles ne vont plus faire obstacle comme avant à l’échange d’individus à individus.

 

Quels sont les bénéfices constatés du mentoring ?

Victoria Pell : Les bénéfices sont multiples. Le premier est la montée en compétences des collaborateurs et collaboratrices quand ils et elles se transmettent de façon plus fluide leurs savoirs. Il permet à ce titre de renforcer l’employabilité mais aussi de détecter des talents et des personnes en posture de transmission.

On constate aussi des effets positifs sur les relations entre générations dans l’entreprise : le dialogue immédiat entre jeunes et moins jeunes permet de trouver des terrains d’entente et de collaboration. Sans compter le fait que l’on répond à une forte attente de relationnel direct exprimée par la GenY.

Pour toutes et tous, il y a des bénéfices en matière de qualité de vie et de convivialité au travail. Ce qui revient le plus souvent quand on interroge les personnes sur leur expérience de mentoring, c’est l’expression « bulle d’oxygène ». C’est une respiration et c’est un moment pour prendre du recul. C’est aussi un espace-temps de confiance qui donne confiance, en soi, en l’autre, en l’entreprise, en ses projets.

Le mentoring, en provoquant la rencontre, souvent en face à face, entre des personnes qui n’ont pas beaucoup d’occasions et de raisons de travailler ensemble, contribue à réduire les silos et à augmenter le niveau d’empathie dans l’organisation. Mieux comprendre ce que sont les enjeux de l’autre et ses façons de travailler permet tout simplement de mieux formuler ses demandes, d’anticiper ce qui va peut-être faire frein ou au contraire, de jouer plus efficacement sur ce qui fait levier.

Le mentoring a enfin une vertu indirecte majeure : il donne de l’écho aux signaux qui s’expriment dans l’organisation via l’accès à des statistiques anonymes de sujets de mentoring plus ou moins choisis sur unatti.com, il fait caisse de résonance pour l’état d’esprit, les préoccupations, les besoins, les envies des collaborateurs et collaboratrices.

 

Tout ce que vous décrivez des bénéfices du social learning en général et du mentoring en particulier se rapporte à la relation humaine. N’est-ce pas un paradoxe que ce soit la transformation digitale qui l’amène ?

Victoria Pell : La transformation digitale amène des outils qui démultiplient les occasions et les solutions pour la relation humaine. Il est important de remettre l’outil à sa juste mesure et à sa juste utilité : il nous facilite les choses, mais il ne doit pas nous dépasser. Plusieurs chercheurs ont démontré que la technologie conduit à être « seuls, ensemble »**, il est donc essentiel d’utiliser l’outil numérique pour créer des opportunités pour un lien humain dans le réel.

L’essentiel dans la transformation digitale, ce sont les transformations culturelles qu’elle entraîne, avec en leur cœur une demande renouvelée et accrue d’humain.

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

 

 

Patrick Werquin, Anne Thevenet-Abitbol, Sylvie Bernard-Curie, Christophe Deval, Valérie Gaudart

* Patrick Werquin (Professeur au Conservatoire national des arts et métiers de Paris, consultant auprès d’organisations comme l’Agence française de développement, le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, la Commission Européenne, l’UNESCO ainsi que des gouvernements étrangers), Anne Thevenet-Abitbol (Directrice Prospective et Nouveaux Concepts de Danone, Directrice éditoriale et artistique des programmes EVE, Octave et Noé), Sylvie Bernard-Curie (Associée DRH-Talents de KPMG, Présidente du Comité des Sages d’EVE) & Christophe Deval (directeur du développement des talents de KPMG, co-auteur avec Sylvie Bernard-Curie de Vous avez tout pour réussir et de Simplifiez vos relations avec les autres) et Valérie Gaudart (Directrice Attraction des talents et marketing RH chez Engie).

**Turkle, S. (2015). Seuls ensemble, de plus en plus de technologies, de moins en moins de relations humaines. Editions l’Echappée.

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