La barbe des histoires de poils (à épiler ou pas) ? On en parle !

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La barbe des histoires de poils (à épiler ou pas) ? On en parle !

Le 4 septembre, c’est la journée mondiale de la barbe. Si, si, ça existe. Lancée en 2010, cette fête du poil au menton dit trouver ses origines dans une tradition viking : le jour des barbes fières, les hommes s’en allaient célébrer leur formidable virilité en pillant quelques villes et en saccageant quelques faubourgs. De nos jours, la barbe est plus sage, volontiers sophistiquée… Quoique portée aussi en postiche par un collectif féministe plein d’humour « la Barbe ».

Mais alors, il y aurait des enjeux d’égalité femmes/hommes planqués sous le pelage ? On en parle !

La barbe, tout un symbole !

En avoir ou pas ? L’histoire de la barbe est pleine de rebondissements. Symbole de pouvoir dans l’Égypte antique, elle n’était autorisée que chez les hommes de haut rang. A Sparte, elle était réservée aux guerriers, mais à Athènes, elle était l’apanage des philosophes. Mais chez les Romains, elle est d’abord vue comme un marqueur de saleté avant de devenir après le Ier Empire, l’attribut des hommes murs et expérimentés.

Ça va encore changer… Et rechanger.

Comme dans l’empire byzantin, où on se distingue selon sa religion par le poil ou le non-poil au menton. Au Moyen-âge en Europe, c’est tour à tour un signe de noblesse ou de marginalité. Au début du XVIè siècle, on est prié de se raser de près. A la fin du XVIIè aussi. Mais entre les deux, c’est mieux d’avoir le bouc touffu. Toute l’histoire de la barbe, jusqu’à nos jours est une histoire de valorisation ou de disqualification, au gré des croyances, des évolutions de l’ordre social, des perceptions morales et bien sûr des modes.

C’est peu dire que la barbe n’a décidément rien d’anodin !

Brève anthropologie d’un « caractère sexuel secondaire »

Pourtant, la barbe ne sert physiologiquement à (presque) rien. Pour se tenir chaud, mieux vaut se raser et porter une peau de bête en cache-col, ce que faisaient les hommes préhistoriques. Ben oui, contrairement à ce que nous en propose l’imagerie populaire, l’ancêtre se rasait… Avec des silex taillés !

Ce « caractère sexuel secondaire », apparaissant avec l’augmentation des taux de dihydrotestostérone au moment de la puberté, a pour fonction principale de distinguer l’apparence féminine de l’apparence masculine. Selon certains anthropologues de la pilosité (c’est une spécialité qui existe, si ! si !) et autres historiens du crin humain, la barbe aurait cependant une fonction dans la parade amoureuse : comme le plumage spectaculaire du paon, la belle barbe serait un argument de séduction annonçant des qualités de bon reproducteur (suggestion de présentation, hein ! Ce n’est pas une promesse opposable). Si l’on suit ce raisonnement, cela explique pourquoi dans certaines cultures et à certaines époques, la barbe fait l’objet de soins coquets : elle est parfois cirée, taillée, tressée, cirée, voire ornementée. Cela explique aussi pourquoi en certaines époques, il est de bon aloi d’avoir la joue lisse en société car de la même façon qu’on ne montre pas ses attributs sexuels primaires au tout-venant, il y a quelque chose d’osé voire d’indécent dans le fait de présenter à la vue de tou·te·s un aperçu évocateur de ses qualités d’amant !

Monstrueuses femmes à barbe

Si l’on hésite, d’une époque et d’une culture à l’autre, entre barbe assumée et barbe effacée chez l’homme, il semble entendu que la femme est glabre. Il arrive que certaines soient barbues, notamment quand elles sont sujettes à un dérèglement hormonal entraînant de l’hirsutisme dans des dimensions variables.

Mais la femme à barbe est monstrueuse : c’est un phénomène de foire, objet de curiosité, de moquerie, de fascination et/ou de rejet… C’est que son apparence transgresse les lois socialement rassurantes du dimorphisme sexuel : on veut qu’homme performe la masculinité et femme la féminité, percevant comme dangereux pour la société d’introduire de l’ambiguïté dans l’ordre genré. La montagne de commentaires suscitée par la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision de 2014 indique que ce n’est pas de l’histoire si ancienne, même si à l’heure actuelle, la visibilité queer et trans fait un peu évoluer le regard sur la non-binarité.

Mais avant cela, c’est en jouant de ce fantasme de la monstrueuse femme à barbe que, pour dénoncer l’appropriation des espaces de prises de parole et de pouvoir par les hommes, des militantes de l’égalité de genre lancent en 2008 le mouvement « La barbe ! ». Le groupe activiste ironise à grands coups de postiche sur la faible assise d’une domination masculine qui ne tient qu’à un poil !

Combats de tout poil ?

Au-delà du seul sujet barbe au menton, le poil comme symbole de la distinction de genre se pose en nouveau sujet du féminisme depuis quelques années. Les égéries de la quatrième vague du féminisme assument l’aisselle touffue, la gambette pelucheuse et le maillot moustachu ; des comptes communautaires sur les réseaux sociaux défendent le bon droit du poil et surtout de sa propriétaire à se laisser friser en paix ; on accuse ici et là l’épilation d’entretenir une vision doloriste de la beauté et de contribuer à la pink tax… Cela n’empêche pas que des femmes gardant tout ou partie de leurs poils soient harcelées (comme récemment la mannequin Mara Lafontan).

Un débat un poil tendu quoique souvent considéré comme dérisoire : est-il bien urgent de causer pelage et toison au quand la France stagne au 16è rang (sur 156) des pays avancés en matière d’égalité professionnelle ? Faut-il vraiment s’arracher les cheveux et se crêper la touffe sur des affaires de follicules quand les violences conjugales persistent et que le changement climatique menace massivement les femmes du monde entier ?

La police de la peau lisse : un système de croyances

Pour les militant·e·s du poil libre, tous les combats certes, ne se valent pas, mais l’injonction à la peau lisse en direction des femmes n’est pas si anodine. Elle serait même un symptôme, pour ne pas dire une incarnation (rien à voir avec les poils incarnés) des stéréotypes sexistes qui limitent la liberté des femmes et favorisent insidieusement autant de fléaux que la haine de soi, le repli sur l’espace intime, l’infantilisation, la possession du corps des femmes.

Tout ça ? Pour comprendre, remontons aux sources culturelles de l’épilation en passant par les croyances entourant le poil :

1/ De la préhistoire, nous héritons d’un poil réputé sale. C’est le nid des bestioles, croit-on (aujourd’hui, on sait qu’au contraire, le poil est une barrière contre l’accumulation des saletés : il agit comme un terrain d’atterrissage pour les poussières et se révèle indispensable pour filtrer l’air et retenir les particules irritantes, notamment à l’abord des muqueuses. Enfin, tout ça, bien sûr, pourvu que l’on shampooine régulièrement son pelage et hors période épidémique où la barbe fournie peut retenir les particules virales)

2/ La période antique nous a légué l’idée d’un poil barbare. Le poilu, c’est l’étranger, la menace qui cache son visage, la créature plus proche de la bête que de l’humain, le corps piquant qui se défend. Par extension, le poil indique un déficit de civilisation : celui ou celle qui ne se rase pas n’est pas entré·e dans la modernité, il n’a pas fait preuve du génie nécessaire à inventer pinces, pierres à poncer et autres lames affutées supposées dire la capacité de l’humain à s’augmenter pour s’améliorer.

3/ Les religions nous mettent en désaccord (pour ne pas changer) : si dans la tradition catholique, le poil féminin doit normalement être conservé pour cacher ce que seul Dieu et l’époux a permission de voir ; en Islam, il y a des poils qu’il est exigé d’ôter, ceux qui sont en lien direct la maturité sexuelle (aisselles et pubis, s’il est nécessaire de préciser), et des poils auxquels il est interdit de toucher (s’épiler le sourcil n’est que coquetterie déplacée) mais rien n’est dit dans le Coran sur l’épilation des jambes et des bras ; le judaïsme orthodoxe investit fortement le poil et le cheveu dans les rites de passage, de la première coupe des garçons qui annonce la séparation des sexes jusqu’à l’interdit formel d’ôter tout poil de son corps en période de deuil en passant par l’épilation quasi-totale (cheveux compris) des femmes pour la noce…

4/ D’autres mythologies s’en mêlent : l’orientalisme qui fait le récit d’une sensualité d’autant plus gourmande qu’elle serait soyeusement épilée au sucre ; le progressisme qui associe technologies toujours plus sophistiquées pour s’épiler avec esprit de modernité ; culte de la performance et de la vitesse regardant le poil comme un frein (matériellement chez le sportif recherchant l’aérodynamisme ou plus symboliquement chez le quidam recherchant à gommer ses aspérités pour évoluer en fluidité dans ses environnements) ;  le jeunisme qui entretient la nostalgie de l’âge prépubère et valorise volontiers la « femme enfant » dans la comédie de la séduction etc.

Reconquérir un poil de liberté d’agir

A partir du moment où l’on conscientise comme le poil est inscrit dans une série de système de croyances, « se raser ou non », telle n’est plus vraiment la question. La question serait plutôt : dans quelle mesure mes perceptions et mes décisions en matière de pilosité sont-elles biaisées et par quoi ? A partir de là, chacun·e peut regagner en liberté pour construire ses choix, que ces choix soient en cohérence avec ses besoins et ses convictions ou bien qu’ils assument une part de contradiction.

Car oui, on peut être une femme libérée, consciente que l’injonction à l’épilation n’est pas neutre en termes de contrôle des corps, mais souhaiter tout de même pour diverses raisons engageant la complexité d’une personnalité socialement construite et influencée, continuer à se faire la peau lisse. Mais on doit aussi tolérer que pour toutes sortes de raisons pas moins valables que les siennes, d’autres s’approprient différemment le rapport à leur corps et à la douceur, sans faire disparaître (tous) leurs poils. Il y va tout simplement d’une symétrie de l’acceptation de soi et de l’autre, débarrassée de jugements sur son hygiène, son apparence, sa façon d’être soi et d’être au monde.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE