La place des femmes dans le changement climatique

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L’ONU alerte depuis de nombreuses années sur le fait que les femmes sont les premières victimes du changement climatique… Et dans la foulée, d’en appeler à ce qu’elles soient considérées comme les premières actrices du changement politique dans le sens d’une meilleure préservation des écosystèmes et des ressources.

Qu’en est-il exactement de la vulnérabilité de la population féminine face aux effets de la crise environnementale ? Où en est-on de leur participation aux décisions concernant la construction d’un avenir plus durable ? Comment envisager en mixité les défis de la protection de la planète ? La rédaction du webmagazine EVE fait le point.

Un bilan édifiant à l’échelle mondiale

Un accroissement de la pauvreté dont les femmes sont les premières victimes

A chaque conférence mondiale du climat, les chiffres s’égrènent pour dire l’importance de lire les effets de la crise climatique au prisme du genre. Où il est d’abord rappelé la sur-représentation des femmes dans les populations les plus pauvres en situation de dépendance des ressources naturelles (70% des 1,3 milliards les plus pauvres de la planète sont des femmes).

Les effets du changement climatique sur la raréfaction des denrées alimentaires ont des  conséquences directes sur la faim mais produisent aussi une recrudescence des mariages précoces, quand les familles cherchent toutes les solutions pour avoir une bouche de moins à nourrir.

Des effets directs sur l’éducation et la formation des filles et des femmes

Cette extrême pauvreté des femmes est aussi à rapprocher des taux d’analphabétisation qui marquent des écarts femmes/hommes croissants dans les pays en développement : de plus en plus mobilisées pour assurer leur subsistance quotidienne et celle des enfants, les femmes les plus pauvres renoncent plus que jamais à se former.

Cette dégradation du niveau d’éducation des filles et des femmes les expose encore davantage aux impacts du changement climatique : ne pas savoir lire les prive d’informations sur les risques et les précarise terriblement face aux soins ; ne pas savoir nager les met en péril direct en cas d’inondation ou de tsunami ; le manque de connaissances, de façon générale, réduit leur mobilité et leurs capacités de réaction en cas d’événements climatiques extrêmes…

Une moindre mobilité surexposant les femmes aux violences

Pourtant, la mobilité est vitale pour qui doit fuir une zone de danger immédiat comme une terre en voie de désertification ou un espace menacé par la montée des eaux. Or les migrations climatiques se révèlent propices aux violences faites aux femmes agressions sexuelles et viols, violences conjugales, prostitution forcée se multiplient au cours des déplacements de population.

Un recul des droits

Le rapport de l’ONG GBV Aor Helpdesk sur les liens entre changement climatique et violences de genre tire la sonnette d’alarme : le recul des droits des femmes serait observable en contexte de crise aiguë (lors d’une catastrophe, d’une pandémie, d’un mouvement migratoire…) mais aussi dans le contrecoup politique de ces crises. Objectivant le célèbre mot de Simone de Beauvoir selon lequel « il suffira d’une crise […] pour que les droits des femmes soient remis en question », l’ONG souligne des phénomènes de repli conservateur des sociétés à mesure que croissent les tensions sur les ressources en même temps qu’une éviction de fait des femmes dans les instances décisionnaires de l’avenir des populations.

 

Quid de la participation des femmes aux décisions ?

Une place à table, une voix au chapitre

Cette question de la présence des femmes à la table des discussions sur l’avenir de la planète est clé. Depuis 2012, est acté par l’ONU le principe de la parité dans les discussions internationales concernant le climat et l’environnement.

A l’occasion de la COP26, la vérité des chiffres est dévoilée : les femmes représentent 33% des délégués présents dans les organes constitués de l’ONU sur le climat ; 27% des chefs et chefs adjoints de délégation aux conférences mondiales sont des femmes ; lors de ces conférences, le temps de parole en plénière des hommes est deux fois supérieur à celui des femmes.

Qui tient les cordons de la bourse ?

Mais ce n’est pas forcément au niveau des instances les plus immédiatement identifiées comme porte-drapeaux de la transformation environnementale que la participation des femmes est la plus stratégique. Il faudrait aussi les voir en nombre suffisant dans les organisations en charge du financement de cette transformation. Or, elles sont en large minorité parmi les gouverneurs de la banque mondiale, elles sont des exceptions à la tête des banques centrales et rarissimes au sommet des entreprises et organisations membres de la Net Zero Asset Owner Alliance qui réunit les acteurs privés du financement de l’action climatique.

Actrices de terrain

Il y a encore la question de la participation des femmes aux décisions à l’échelle des communautés. Tout un volet de la stratégie onusienne en matière de justice climatique repose sur l’empowerment des femmes au niveau local. S’adossant à des données mettant en évidence une plus grande préoccupation du bien commun chez les femmes que chez les hommes, ainsi qu’une meilleure implication dans les actions concrètes pour améliorer la vie des communautés, les organisations internationales entendent miser sur elles pour prendre des initiatives socialement innovantes, œuvrer à la transformation des usages quotidiens, déployer des modèles alternatifs de production et de consommation.

 

Du micro-changement au changement d’échelle pour l’action des femmes

Championnes du micro-changement ?

L’approche par le soutien des femmes de terrain n’est pas absurde quand il est constaté que, partout dans le monde, les femmes sont à la barre du micro-changement : plus économes en ressources dans les pratiques du quotidien (alimentation moins carnée, déplacements moins polluants, loisirs plus sobres en consommation d’énergie..), elles sont par ailleurs plus assidues dans les gestes pour la planète (tri des déchets, recyclage, rationalisation de la consommation énergétique des messages…) et plus ouvertes aux solutions alternatives en matière de consommation et de mode de vie (plus réceptives au marketing vert, mais aussi moins réceptive au marketing tout court ; plus promptes à renoncer à des éléments de confort, elles sont par exemple moins attachées au renouvellement du matériel hich-tech, moins demandeuses de climatisation des espaces etc.).

Des risques de l’ « écodisparité » essentialiste

Cette vision des femmes comme premières actrices des petits gestes bons pour la planète n’est pas sans gêner aux entournures… Car elle recoupe volontiers stéréotypes (d’une féminité « essentielle » tournée vers l’attention et le soin, le souci du collectif et de l’avenir, la proximité avec l’état de nature…) et assignations genrées (les femmes font la lessive et le ménage à la méaison avec des produits écolos pendant que les hommes font des discours dans l’espace public sur l’enjeu global du changement climatique). Il faut se méfier, nous dit le rapport Mintel sur l’eco gender gap des interprétations de l’écodisparité : en renvoyant la quotidienne « charge environnementale » (cousine de la charge mentale) aux femmes, on ancre du conservatisme au cœur de la nécessité du changement.

Pour un écoféminisme bien compris

Un formidable contre-sens dénoncé par un écoféminisme qui fait le lien entre organisation sociale virilo-centrée et prédation du vivant. Aussi, si l’on veut réussir la transition environnementale, il faudrait commencer par engager une transformation sociale impliquant la déconstruction des modèles de masculinité toxique.

Les recherches des socio-économistes scandinaves Annika Carlsson-Kanyama et Riita Räty mettent en évidence que si les hommes polluent en moyenne davantage que les femmes, ce n’est pas parce qu’ils sont des hommes mais parce qu’ils sont plus nombreux dans des positions sociales induisant des activités polluantes. Par positions sociales, il faut entendre ici des métiers et fonctions (appelant davantage de déplacements, de consommation de ressources, de production de déchets…) mais aussi une socialisation valorisant la masculinité à travers la conquête, la possession et l’exploitation des terres, des ressources, des biens et des êtres animés…

En d’autres termes, pas de révolution écologique possible sans remise en question d’un ordre social qui avant même d’être genré, privilégie la possession et la domination par rapport au partage et la participation.

 

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE