Le livre du mois : « Le coût de la virilité », de Lucie Peytavin

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Alors qu’elle rédige sa thèse sur le travail des femmes et des hommes dans l’artisanat et le commerce aux XIXe et XXe siècles, Lucile Peytavin tombe sur une statistique surprenante et difficile à croire : en France, la population carcérale est composée à 96,3% d’hommes. Pourtant, ce n’est qu’après être devenue docteure en histoire, et en tant que membre du laboratoire de l’égalité en charge de la question de la précarité des femmes qu’elle revient sur ce chiffre qui l’avait tant troublée. Elle décide alors d’approfondir le sujet en analysant les causes et les conséquences de la violence masculine et se lance dans son premier essai. Paru aux éditions Anne Carrière, celui-ci intitulé Le coût de la virilité a d’ores et déjà fait beaucoup parler de lui.

Le sujet, il faut l’avouer, n’est pas simple. Lucile Peytavin s’en empare pourtant avec courage et égrène des statistiques sur la violence, les infractions et le taux d’implication des auteurs par sexe qui ne laissent pas d’étonner. Une de ses premières conclusions ? Quelle que soit la nature des délits et des crimes commis, les hommes sont surreprésentés dans les systèmes judiciaire et pénitentiaire français. Tout en présentant des causes à l’origine de cette surreprésentation, l’auteure remet en question l’éducation viriliste inculquée aux hommes et décide de calculer le coût des conséquences engendrées par celle-ci. Elle présente sa démarche et ses résultats dans Le coût de la virilité. Cet ouvrage inédit entend déconstruire un grand nombre de mythes et donner des clés pour repenser une société construite sur une virilité omniprésente néfaste pour la société.

S’il y a bien un chiffre-clé à retenir de l’essai de Lucile Peytavin, c’est celui-ci : 95,5 milliards d’euros. Ce qu’il représente ? Ni plus ni moins que le coût annuel de ce système viriliste. Pour étayer cette estimation faramineuse qui, à titre de comparaison, correspond à plus d’un tiers des recettes nettes perçues par l’État (soit 250 milliards d’euros), Lucile Peytavin a tenu compte d’un grand nombre de paramètres. Car, comme elle l’écrit, calculer le coût de la virilité revient à évaluer les conséquences financières des comportements masculins asociaux causés par l’acculturation des hommes à la violence. Parmi les statistiques citées dans l’essai, nous retiendrons que les hommes sont à l’origine de :

  • 99% des viols
  • 97% des violences sexuelles
  • 96% des violences au sein d’un couple
  • 86% des homicides volontaires

La liste n’est pas exhaustive mais donne une première piste de l’évaluation du coût de la virilité faite par l’essayiste (aidée d’un statisticien) : les activités des ministères de la Justice et de l’Intérieur sont largement consacrées aux hommes. Le « coût de la virilité » est donc la somme des frais générés par la Justice, les forces de l’ordre, la destruction des biens, et les coûts supportés par le système de santé. Et ce, qu’ils soient directs ou liés aux souffrances physiques et psychologiques des victimes de la violence masculine. Si le milieu social, l’âge et l’environnement semblent jouer des rôles importants dans cette violence, Lucile Peytavin avance une idée assez peu souvent débattue en France : c’est avant tout l’éducation différentielle donnée aux enfants selon leur sexe qui est à l’origine du coût de la virilité.

Cette idée fait corps avec un des postulats de son essai : finalement, ne gagnerions-nous tou·te·s pas à être éduqué·e·s et à nous comporter davantage comme des femmes ? Afin de démontrer que la masculinité toxique, qui repose sur des mythes découlant de comportements asociaux et de démonstrations de force inopportunes, est un savant mélange de constructions sociales et de contre-vérités scientifiques, Lucile Peytavin s’attaque à ces dernières. Sont donc exposés et réévalués dans son ouvrage de nombreux préconçus coûteux sur le plan de l’égalité femmes/hommes. Ainsi :

  • L’ère de la préhistoire semble avoir été beaucoup plus égalitaire qu’on ne le dit généralement sur le plan social et ce n’est qu’au néolithique, au moment de la sédentarisation, qu’a émergé une hiérarchisation sociale basée sur des critères de genre.
  • Le rôle et les effets de la testostérone sur la violence masculine, non corroborés par la science soit dit en passant, pourraient orienter les tentatives d’explication de l’agressivité masculine dans la mauvaise direction.
  • Les différences relevées par les recherches entre cerveaux dits « masculins » et cerveaux dits « féminins » caractériseraient davantage une fracture genrée des acquis, les études étant fatalement menées sur des cerveaux dont les réseaux neuronaux sont déjà établis et de ce fait, biaisés par l’éducation.

Lucile Peytavin soulève également les problématiques liées à une éducation et à une culture trop virilistes. Reconnaissant que le sujet de l’éducation est délicat car il peut en amener certain·e·s à s’interroger sur leur propre identité et le bien-fondé des valeurs transmises à leurs enfants, l’essayiste aborde dans un premier temps la question des différences de traitement garçon/fille, et ce dès le plus jeune âge. Déjà constatés chez les nourrissons, celles-ci sont peu à peu confortées chez l’enfant par le culte de la virilité (étymologiquement, « vira » signifie héros), que ce soit à travers les jouets, les parents, l’adolescence, le groupe, la culture et enfin, l’école… ce qui, à long terme, peut produire bien des dégâts et des écarts de conditions. Une solution serait donc par exemple de féminiser l’éducation des petits garçons afin de développer leur empathie, leur respect des règles sociales et juridiques et de les rendre plus pacifiques, à l’image des petites filles.

Son ouvrage est une mine d’informations et d’idées intéressantes pour qui veut repenser l’éducation égalitaire et réfléchir aux enjeux de la masculinité. Loin de voir en l’homme un ennemi, il cherche plutôt à redéfinir le rôle que celui-ci peut jouer dans le destin des petits garçons. Car rien ne se fera sans les hommes, et c’est à eux d’être co-acteurs de nouvelles constructions de la masculinité rendant ce destin plus serein.

Un idéal apaisant à l’heure où guerres, homicides et démonstrations de violences font partie d’un quotidien médiatique plus qu’anxiogène… et parfois trop viriliste.

Lucie Peytavin, Le coût de la virilité, Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes, éd. Anne Carrière, 2021